"Trois mois sans nager, mon corps a changé" : de retour à la piscine, les nageurs soufflent enfin
Trois mois après leur fermeture, les grandes portes du centre aquatique de l'Île verte, à Hirson dans l'Aisne, s'ouvrent de nouveau. A l'intérieur, la même odeur de chlore émane des trois bassins. Les maîtres-nageurs du matin, casquette sur la tête, sont fidèles au poste, perchés sur leur chaise. Au fond, le grand toboggan vert pomme, star des gamins l'été, crache toujours son eau. Rien n'a changé... ou presque. A bien y regarder, la piscine n'est pas la même. Les premiers courageux du matin s'ébattent dans des couloirs beaucoup plus larges qu'habituellement. Lignes d'eau espacées, marquages au sol, vestiaires et douches adaptés : si l'Île Verte est de nouveau opérationnelle, c'est que la structure s'est pliée aux recommandations de la Fédération française de natation et de l'ARS Haut-de-France. "Oui, il y a beaucoup de mesures à respecter, mais ce n'est pas grave, tant qu'on peut retrouver l'eau" dit, accoudée au rebord de la piscine, Tereza, dans un soupir de soulagement. Les piscines sont d'ailleurs parmi les dernières structures sportives à pouvoir rouvrir leurs portes, tant la pratique de la nage en groupe - souvent dans un lieu fermé - appelle de nombreuses adaptations.
Des vestiaires à la piscine, un véritable ballet
Dès l'entrée, les flux sont régulés. Il est dix heures trente, l'heure des premiers créneaux en pratique libre de la journée. Baptiste, en contrat d'alternance mais provisoirement posté devant la porte d'entrée, sépare en deux files les nouveaux arrivants : ceux qui n'ont pas réservé, et ceux qui ont réservé. Les derniers cités peuvent ainsi directement passer aux vestiaires, non sans avoir écouté les consignes répétées à chaque fois par Audrey, l'agente d'accueil. "C'est ce qu'il y a des plus contraignant : les consignes, on les répète au téléphone, à leur arrivée, par mail. Au lieu de 40 secondes d'explications, j'en suis à 5 ou 6 minutes par personne. Mais c'est nécessaire. Ce sont des habitudes qui doivent rentrer au fur et à mesure pour ceux qui reviennent souvent"
Il leur est ensuite donné à chacun un bracelet de couleur. Orange pour ceux qui sont arrivés à 10h30, vert pour ceux de 10h40, et ainsi de suite. "C'est pour qu'à la fin du créneau, on les appelle groupe par groupe pour qu'ils sortent de l'eau", indique Isabelle Dauvé, directrice adjointe de l'Île Verte. Le but est bien sûr "d'éviter les regroupements" à la sortie de l'eau, dans les vestiaires, dans le pédiluve. Dans les vestiaires, chacun se voit donner un code, assorti d'une couleur précise. "C'est pour qu'en sortant de leur cabine, ils n'aient pas à chercher un casier pour poser leurs affaires, précise Isabelle Dauvé. Ils voient d'emblée la couleur du casier qui leur est réservé, ils y vont directement. De cette manière, les gens se croisent le moins possible".
Les vestiaires sont probablement le lieu le plus problématique. Il est demandé aux autres complexes sportifs soit de les fermer, soit de les limiter à un nombre très réduit d'utilisateurs à la fois. Ce n'est pas possible pour les piscines. "On ne peut pas demander aux gens de venir torse nu, c'est interdit d'ailleurs !" fait remarquer Isabelle Dauvé, dont les yeux malicieux laissent deviner un grand sourire sous son masque chirurgical.
Dans la piscine, le mot d'ordre est le même : éviter les croisements, les regroupements. Il y a donc trois larges lignes d'eau, de façon à permettre une pratique ordonnée et sécurisée."Les lignes d'eau sont plus espacées, il n'y en a que trois dans tout le bassin, confirme Alizée, maître-nageuse de 27 ans. C'est pour qu'il y ait un vrai sens de circulation, que les nageurs puissent avancer en cercle, sans trop se rapprocher". Pour les nageurs, cela signifie surtout une plus grande discipline, avec des points d'entrée et de sortie de l'eau définis. "Nous, les nageurs confirmés, ça nous convient parfaitement de nager en cercle dans les lignes d'eau plus grande, sourit Brigitte, 60 ans. C'est pour les autres que ça peut être compliqué, les familles qui viennent là avant tout pour s'amuser, les enfants qui rentrent d'un côté, sortent de l'autre, sautent partout".
Brigitte est une vraie adepte. Elle vient à la piscine cinq fois par semaine. "Passer trois mois sans nager, c'était très frustrant. Et aujourd'hui, je le vois, mon corps a un peu changé, mes épaules sont douloureuses. C'est normal, c'est la reprise". Ce matin, ce sont les compétiteurs et nageurs expérimentés qui se sont rués à l'Ile Verte dès les premiers créneaux ouverts. Dans la ligne d'eau voisine, Tereza est une ancienne nageuse professionnelle. "C'est la première fois que je passe trois mois sans nager depuis la petite enfance, dit-elle, mi-amusée, mi-étonnée. Les sensations ne sont pas là, et ça mettra du temps. Si j'ai peur du virus ? Franchement, je trouve qu'on se sent finalement beaucoup plus en sécurité ici qu'au supermarché."
"Sur le papier, ça marche bien... Mais qu'en sera-t-il cet été?"
Les familles, elles, ne sont pas au rendez-vous de l'ouverture ce jour-là. Nous sommes un jeudi, les vacances scolaires n'ont pas débuté, et il fait gris dehors. "Mais dès le début des vacances, et les jours de canicule, oui, le défi sera tout autre pour nous, confirme Isabelle Dauvé, la directrice adjointe de l'Ile Verte. Nous sommes limités à 144 nageurs à la fois sur l'ensemble des bassins avec les nouvelles mesures. Sur les jours de canicule, on atteint parfois les 900 personnes".
Les doutes de l'été
Cette reprise en douceur (13 personnes seulement ont réservé ce jeudi matin) est un vrai trompe-l’œil pour évaluer l'effectivité des gestes barrières mis en place. La directrice s'en rend bien compte : "Sur le papier, ça marche bien. Mais on se pose des questions : comment va-t-on réagir s'il y a un orage, et que tous ceux qui sont à l'extérieur vont devoir se réfugier à l'intérieur, se regrouper sur les plages ? Comment faire respecter la distanciation sociale dans ces cas-là ?"
Alizée, aujourd'hui heureuse de reprendre son poste de maître-nageur après une si longue période creuse, relève aussi quelques incohérences potentielles lorsque les familles débarqueront. "Et si quelqu'un se noie ? Comment voulez-vous qu'on respecte la distanciation ? On va juste balancer notre masque, plonger, et aider la personne sans réfléchir aux distances, évidemment". De son côté, son collègue Benjamin craint les regroupements devant l'attraction phare des gamins et adolescents : "Le toboggan, en temps normal, c'est déjà très compliqué à réguler, ils y grimpent à plusieurs alors que c'est interdit. Là, ce sera un vrai défi". Un dispositif spécial a été mis en place devant : chacun devra patienter au bas du manège, que la lumière rouge passe au vert.
Il est midi passé. Plus personne dans l'eau : le premier appel aux bracelets orange ou verts ne sera donc pas fait. Les nageurs étaient pressés ce matin. Cela n'empêche que 15 minutes plus tard, c'est l'heure de la désinfection. Il y en aura désormais trois par jour, sans compter ceux du matin et du soir, avant de fermer le complexe. Emilie, 39 ans, est agente d'entretien à l'Île Verte depuis plus de 17 ans. "Oui, on en a beaucoup plus à faire maintenant. Mais c'est le premier jour, ça va !", sourit-elle.
En raison des nettoyages beaucoup plus réguliers, l'Ile Verte a dû employer un nouvel agent d'entretien pour les prochaines semaines. Ils seront désormais trois à se relayer de 6 à 22h tous les jours "pour qu'il y ait quelqu'un à tout moment" précise la directrice adjointe Isabelle Dauvé. Pour Emilie, la routine est bouleversée. "Mais franchement, je pense que ce sera mieux comme ça. Avant parfois, quand on arrivait, c'était un vrai carnage. Là au moins, ce sera tout le temps propre". Sur le papier.
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