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"Un accord européen est encore possible" sur les stations de ski, analyse une spécialiste de la coopération européenne

Tara Varma est directrice du bureau de Paris du think tank European Council on Foreign Relations (ECFR). Elle a récemment écrit un article sur la solidarité européenne au temps du Covid-19. Elle analyse pour France tv sport les ressorts géopolitiques de la fermeture des stations de ski cet hiver.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6min
 

Il y a deux semaines, Emmanuel Macron annonçait une "harmonisation européenne" à venir pour la fermeture des stations de ski pendant la période de Noël, pour prévenir toute concurrence déloyale pour les domaines skiables français et pour limiter les flux de personnes. Ce mercredi, Jean Castex a annoncé qu'il y aurait des contrôles aux frontières pour les Français souhaitant aller skier dans d'autres pays. Est-ce que, selon vous, il s'agit d'un échec diplomatique pour l'Etat français ? Pour la coopération européenne ? 
Tara Varma :
"Je crois pas que ce soit un échec français car la chancelière Angela Merkel s'est aussi engagée à ce qu'il y ait une coordination européenne sur le sujet, c'est l'Allemagne qui détient la présidence du conseil de l'UE...D'ailleurs je ne désespère pas qu'il y ait un accord qui se fasse. Il reste quelques jours, ça ne m'étonnerait pas que le sujet soit abordé au conseil européen la semaine prochaine. Pour l'instant ce n'est pas un échec, il y a des avis divergents, deux camps : la France, l'Allemagne, l'Italie. On sait le rôle que ces stations ont joué dans la propagation du virus, notamment entre l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie en début d'année ; et je pense qu'il y a une vraie crainte que ça se reproduise, voire qu'il y ait un contre-coup et un rebond de l'épidémie pour les vacances de février 2021." 

Pensez-vous qu'un rétropédalage sur le contrôle aux frontières pour les skieurs soit encore possible ?
T.V :
 "Le gouvernement est déjà en train de reculer. Au départ c'était une quarantaine de dix jours, maintenant c'est sept jours...Cela ne m'étonnerait pas qu'il y ait un changement d'attitude dessus. La priorité reste de se mettre d'accord pour une tentative d'ouverture en février qui bénéficiera à tout le monde. Donc je pense qu'ils peuvent encore reculer. Il faut une approche coordonnée. Il faut des protocoles identiques et c'est ça qui est compliqué dans la coordination européenne par rapport au Covid-19, l'harmonisation prend du temps. On a réussi à le faire sur des sujets assez durs, notamment la mutualisation des dettes (ndlr, un accord historique avait été trouvé en avril dernier entre la France et l'Allemagne, alors que cette dernière avait toujours rejeté ce principe) qui était un tabou absolu, je pense que ça devrait être possible sur le ski. Le fait que l'Allemagne, la France et l'Italie soit d'accord sur ce point devrait jouer. La Commission Européenne semble plutôt sur la ligne de la France et de l'Allemagne. Il faut convaincre l'Autriche, qui a l'air de pouvoir changer de direction." 

Pourquoi avoir fait cette annonce, qui semble acter l'échec des négociations, s'il y a encore la possibilité d'une harmonisation et d'une fermeture conjointe des stations de ski européens ? Est-ce un effet d'annonce pour s'affirmer dans les négociations  ?
T.V :
"C'était peut-être une déclaration un peu précipitée. Il y a eu une vraie inquiétude au sein du gouvernement je pense, car les déclarations suisses et autrichiennes étaient assez claires. A partir du moment où les gens se sont mis à dire : il suffira d'aller en Suisse, le gouvernement s'est inquiété et a fait ses déclarations. Il arrive qu'il y ait ce type de déclaration, puis qu'il y ait une rétractation. La priorité reste la coopération européenne pour les gouvernements, les différents ministères concernés continuent d'ailleurs de se parler. Ça ne m'étonnerait pas que le sujet soit ajouté à l'agenda du prochain Conseil, même de manière informelle. Je ne sais pas si cela valait le coup de faire des déclarations aussi sonnantes et trébuchantes là-dessus, dans la mesure où, à mon avis, il n'y aura qu'une minorité de la population prête à aller traverser la frontière pour aller skier..." 

Pour le moment, l'Autriche, l'Espagne et surtout la Suisse semble inflexibles. Le camp Allemagne-France-Italie a-t-il un levier d'influence sur un pays comme la Suisse qui, comme elle le martèle elle-même, ne se sent pas concernée par la coopération politique européenne vu qu'elle ne fait pas partie de l'UE ? 
T.V :
 "(Soupir) Je ne saurais pas vous dire. Peut-être que la fermeture des frontières serait un moyen, je pense que ça a été d'ailleurs le recours immédiat du gouvernement français. Mais on ne peut pas forcer les Suisses à fermer leurs stations de ski, et ils ont l'air de déjà réfléchir à des protocoles sanitaires adaptés. L'Autriche en revanche, c'est jouable. L'Espagne aussi."

Si un accord est trouvé entre tous les pays, à part la Suisse, peut-on toujours parler d'harmonisation dans la mesure où la possibilité d'aller skier en Suisse subsiste, et donc d'une forme de concurrence déloyale par rapport à l'industrie du ski française par exemple ?
T.V :
"L'accord va concerner les états membres de l'UE. C'est la première priorité. Certes il y aura une forme de concurrence déloyale si les Suisses restent ouverts...Mais je vois mal la Suisse résister jusqu'au bout si l'ensemble des pays autour accepte de fermer les stations de ski. Elle peut décider de le faire, mais ce serait une pression politique énorme. Est-ce que tous les Italiens, Allemands, Français qui avaient prévu d'aller skier iront en Suisse ? Je ne saurais pas le dire."

Cet épisode est-il symptomatique de l'état de la solidarité européenne en ce moment, ou au contraire, va-t-il à contre-courant de la dynamique actuelle, notamment quelques mois après cette mutualisation des dettes inédite ? 
T.V : "
J'ai plutôt l'impression que les gouvernement n'avaient pas anticipé que cela deviendrait un sujet de coordination européenne. Ce n'est pas étonnant qu'il y ait de la compétition au départ. Les négociations sont encore en cours, les discussions ont commencé il y a deux semaines, on peut leur donner encore une dizaine de jours pour trouver une solution. Je reste optimiste. Cette année a permis l'affirmation de cette solidarité de manière plus ouverte et explicite, je pense qu'elle fait partie de l'agenda politique en ce moment."

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