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Végétarisme, végétalisme : l'alimentation de demain pour les sportifs de haut niveau ?

Défendre l’environnement et améliorer ses performances en modifiant son assiette, est-ce possible ? De plus en plus de sportifs et sportives de haut niveau s’interrogent sur la question, autour d’une problématique centrale : celle de l’alimentation moins tournée sur la consommation de viande. Gain énergétique, meilleure récupération après l’effort... les régimes favorisant les protéines végétales semblent avoir le vent en poupe. Une impression confortée par des documentaires sortis récemment. Mais la réalité est-elle à la hauteur de ces démonstrations télévisuelles ? Demain, des terrains de hand aux salles d’escrime, verrons-nous uniquement des champion(ne)s vegétalien(ne)s ?
Article rédigé par Clément Mariotti Pons
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 15min
 

Des corps de dieux grecs que l’on croirait tout droits sortis d’une gravure de l’Antiquité. Dans les mains, de la fonte par centaines de kilos qui se fait soulever sans l’ombre d’une grimace. Et dans l’assiette, aucune trace de viande. Arnold Schwarzenegger, quintuple Mister Univers, a viré sa cuti : lui l’ancien apôtre de la protéine carnée se veut désormais le messager d’une alimentation raisonnée dans un documentaire qu’il produit, en collaboration avec d’autres grands noms du sport (Novak Djokovic, Lewis Hamilton, Chris Paul entre autres).

L’heure de “changer la donne” ?

Ce documentaire, intitulé “The Game Changers” et disponible sur la plateforme Netflix, est sorti en septembre dernier. Depuis, il n’a cessé d’alimenter (c’est le cas de le dire) les conversations entre sportifs de haut niveau. Le propos ? Ceux-ci pourraient parfaitement se passer de protéines animales et se tourner vers des régimes plus respectueux de l’environnement tels que le végétarisme (pas de viande mais consommation possible de sous-produits d’origine animale tels que les oeufs et le lait) ou le végétalisme (alimentation exclusive par les végétaux), le tout en améliorant leurs qualités physiques. “Je côtoie pas mal d’athlètes toutes disciplines confondues et j’en ai beaucoup entendu parler, on en a même discuté avec mon frère Olivier”, confirme Romain Giroud, diététicien ayant officié au FC Grenoble Rugby et plus récemment à l’AS Monaco. “On est dans une société de l'image. Ce reportage a le mérite d'exister, de soulever des interrogations donc c'est toujours intéressant. Il est très bien marketé, américanisé... C’est très vendeur.”

Surtout, il aurait le mérite de rompre avec l’idée que la pratique d’un sport professionnel s’accompagne inévitablement d’une consommation de viande. Un vecteur comme un autre permettant une prise de conscience environnementale… et au service de la performance, comme l’expliquait l’attaquant du SCO d’Angers Stéphane Bahoken il y a encore quelques jours.

Une prise de conscience qui rime avec prise de recul

Cela fait maintenant plusieurs années que le porte-étendard du handball tricolore Nikola Karabatic - meilleur joueur du monde (2007, 2014, 2016), double champion olympique (2008, 2012), quadruple champion du monde (2009, 2011, 2015, 2017) ou encore triple champion d'Europe (2006, 2010, 2014) - a modifié ses habitudes alimentaires. “Le documentaire n’a pas changé ma vision des choses mais il m’a conforté dans cette voie-là", nous a-t-il confié. "Même si c’est vrai que j’ai essayé de réduire encore un peu plus les protéines animales.” Certain(e)s moins au courant ont foncé consulter un spécialiste après leur visionnage, comme l’affirme Mickaël Dieleman, diététicien nutritionniste à Lyon : “On a clairement eu des demandes, des gens qui me disaient 'j'ai envie de me mettre à l'alimentation végétarienne ou végétalienne, comment on fait ?'. Dans la même veine il y a "The Magic Pill", un autre documentaire (également sur Netflix, NDLR) sur l'alimentation cétogène, qui repose sur une réduction drastique de l’apport en glucides au profit d’un apport massif en lipides. On a eu à peu près les mêmes retours.” 

Des documents télévisuels accessibles au grand public et qui bouleversent des croyances parfois solidement ancrées, même s’il faut garder un certain recul. Car certains bienfaits immédiats exposés dans “The Game Changers” interrogent et sont probablement liés - à l’origine - à une alimentation très peu diversifiée et excessivement grasse ou sucrée… De quoi relativiser l’effet “formule magique” qui peut filtrer au montage.

“Je pense que le végétalisme ou le végétarisme est tout à fait viable pour les sportifs de haut niveau, par contre il doit être bien accompagné” (Nikola Karabatic)

Reste à savoir comment s’inscrire au mieux dans cette démarche plus végétale sans opérer un virage à 180°. “Un rugbyman de haut niveau m’a appelé après avoir vu le docu”, se souvient Romain Giroud. “Je lui ai demandé 'combien de fois cette semaine tu as mangé de légumineuses (lentilles, haricots rouges, pois chiches...)' ? Il m'a dit 'aucune fois'. Donc tu vas passer du tout au rien. Essaie d'être dans un juste équilibre, avec ce nouveau terme de 'flexitarien', d'être plus raisonné dans ta consommation de protéines animales.” 

Prendre le temps de s’adapter, de se renseigner avant de tout changer pour construire un nouvel équilibre alimentaire. Des conseils de bon sens auxquels vient s’ajouter un suivi nutritionnel renforcé. D’autant que les sportifs ont des besoins caloriques totaux supérieurs, en vitamines et minéraux, en micro-nutriments… “Il va surtout falloir veiller à avoir un statut en protéines satisfaisant, avec les bons acides aminés”, précise Mickaël Dieleman. Une surveillance qui nécessite certaines notions en nutrition ou un appui renforcé, ce que souligne Nikola Karabatic : “Je pense que le végétalisme ou le végétarisme est tout à fait viable pour les sportifs de haut niveau. Par contre il doit être bien accompagné, et cela ne doit pas être fait n’importe comment. Je l’ai testé moi-même, mais il faut avoir quelques connaissances ou être aidé.” 

Aujourd’hui, des athlètes de haut niveau comme Charline Picon, championne olympique de voile RS:X en 2016 à Rio, suivent par exemple des formations en ligne afin d’être informés au mieux.

Demain, que des sportifs végétaliens ?

Lui aussi est champion olympique (2012 à Londres) et au coeur du mouvement. Samuel Honrubia, ailier gauche du PAUC Handball, suit des études à l’école de diététique et nutrition humaine (EDNH). Au début du mois, il a effectué un travail de recherche autour de la question suivante : “être végétalien et sportif de haut niveau, est-ce possible ?”. Le manque d’études réalisées sur le régime alimentaire des sportifs de haut niveau - voire leur absence totale pour les sportifs végétariens - l’ont conduit à observer de plus près la problématique. 

Pour Samuel Honrubia, les contre-indications n’existent pas vraiment : “Chez les athlètes, les glucides sont la source d'énergie. Les végétaliens n’ont aucun problème avec car il y en a dans les légumes ou les fruits”, précise-t-il. “Les gros débats qui existent, ce sont autour des protéines. Il y a la question de la digestibilité, c’est-à-dire que les protéines animales sont mieux digérées par le corps que les végétales. Mais il n’y a pas d’études biologiques qui tendent à le prouver. Le deuxième point concerne les huit acides aminés indispensables. C’est le pilier de la critique du végétarisme et du végétalisme, à savoir que ceux-ci n’existeraient pas en quantité suffisante. Or on peut très bien apporter tous les acides aminés essentiels avec une alimentation végétale complémentée.” 

“Le végétal est intéressant à condition qu'on en limite la transformation"

Vitamine B12, huile d’algue, eaux à forte teneur en calcium… Autant d’éléments avec lesquels il faut se familiariser et qui permettraient, lorsque le régime alimentaire est bien rôdé, de favoriser la récupération post-effort ou de réduire certaines inflammations. D’où l’importance d’avoir, là encore, un suivi rigoureux. 

Le seul inconvénient notable, et peu souvent souligné, concerne la forte teneur en fibre amenée par les végétaux, qui vient combler des apports énergétiques pour un sportif de haut niveau. La gêne du transit accéléré peut être très handicapante pour un trailer ou un marathonien sur des efforts longs. Mickaël Dieleman met en garde contre un autre problème : “Le végétal est intéressant à condition qu'on en limite la transformation. J'évoque cela avec mes patients mais le fameux "fauxmage" vegan - fait avec de la pâte de noix de cajou qui ressemble à du fromage - bon j'ai envie de dire que si on choisit de ne pas manger de produits d’origine animale, on peut s’en passer. C’est comme les knackis végétales... On va avoir un produit ultra-transformé, bourré d'édulcorants, d'additifs pour que ça ressemble à une saucisse mais sans vouloir manger de la viande ! Il faut aussi avoir de la cohérence. Dans ce cas-là le végétal n'a pas d'intérêt.”

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Garder un juste équilibre et écouter son corps

Les portes s’ouvrent donc vers une transition alimentaire davantage centrée sur les protéines végétales pour les sportifs de haut niveau. Mais les différents nutritionnistes et diététiciens contactés mettent en garde contre l’excès inverse : entre manger de la viande tous les jours et ne plus en manger du tout, il y a probablement un juste milieu à conserver. Une opinion partagée par Romain Giroud : “Il faut être dans l’équilibre, dans la variété, travailler avec les fruits et légumes de saison, respecter l’environnement, manger local quand c’est possible… C’est un tout. Combien de sportifs trouvent normal de manger des fraises en hiver, des tomates ou des courgettes en janvier ? Certains n’ont pas d’éducation sur le sujet et lorsqu’ils voient un documentaire comme “The Game Changers”, ils se disent : 'bien sûr ! pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt ?'. Et le changement de régime se fait souvent au détriment de leurs performances. J’ai connu des athlètes qui ont tenté des modifications assez drastiques, et bien certains ont fait des années blanches.” Preuve qu’au final, la performance et les ressentis alimentaires demeurent propres à chacun et sont multi-factoriels.

“Je pense qu’il faut activer un peu son libre-arbitre et manger ce qui nous fait nous sentir bien” (Cécilia Berder)

Championne du monde par équipes en 2018 avec l’équipe de France d’escrime, la sabreuse Cécilia Berder a observé certaines de ses collègues passer au végétarisme avec grand intérêt. Avec le sommeil et la performance d’entraînement, l’alimentation est l’un des trois piliers fondamentaux, explique-t-elle. Raison de plus pour y être particulièrement attentif même si d’autres paramètres doivent aussi entrer en compte : “Personnellement je suis guidée par la curiosité et le plaisir. Quand je mange, cela doit être un moment de plaisir, ça doit me faire du bien, je ne dois pas avoir le sentiment de me priver de quelque chose. D’autant que mes parents sont restaurateurs, alors cette notion est au cœur de tout. Je pense qu’il faut activer un peu son libre-arbitre et manger ce qui nous fait nous sentir bien.”

Et rester à l’écoute de son corps et de ses sensations, poursuit-elle : “Par exemple je tiens un carnet et lorsqu’après le repas je me sens trop fatiguée, que j’ai mal au ventre, que c’est plus dur à digérer, je le note. Ça m’aide aussi à redécouvrir le sentiment de satiété. C’est un peu comme un grand jeu de société, je trouve cette recherche très intéressante. Tout le monde peut apprendre à connaître son corps.” 

Le sport comme point d’entrée pour changer nos manières de manger ?

Un avenir plus respectueux de l’environnement grâce à des assiettes moins carnées. Une éthique renforcée sur tout un tas de problématiques liées à la protection de la planète. Le sport n’échappe pas à l’importance mondiale de ce sujet de société et de santé publique. Et l’alimentation en est peut-être le fer de lance. De là à imaginer des consultations chez un nutritionniste remboursées par la Sécurité sociale, il n’y a qu’un pas… “Aujourd’hui beaucoup de personnes se documentent mais on trouve parfois des erreurs monumentales”, explique Mickaël Dieleman. “On mange tous les jours de notre vie, plusieurs fois par jour, et si on n'a pas la chance d'être suivis car cela a un certain coût, on exclut peut-être une certaine partie de la population.”

Les sportives et sportifs peuvent-ils défendre un rôle de modèle dans cette transition ? Pour Cécilia Berder, si l’alimentation constitue “l’essence de notre corps”, il revient à chacun de se rendre heureux à travers son assiette. “Je ne considère pas que le sportif doit donner des leçons, mais plutôt dire : "voilà, moi je fais ça". C'est la démarche de Nikola (Karabatic), et c’est cela qui m'intéresse.” 

Et c’est au joueur du PSG Handball que revient le mot de la fin : “Je pense que le sport peut inciter mais je connais beaucoup de sportifs autour de moi qui ne sont pas prêts à changer leurs modes de fonctionnement. Il faut avoir une volonté forte et prendre conscience que l’alimentation a un impact énorme sur notre santé.”

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