Virage numérique : une carte à jouer pour sortir le sport amateur de la crise
La médecine et Doctolib, le cinéma et Allociné, l’hôtellerie et Airbnb, le commerce et Amazon... Le digital a bouleversé en profondeur tous les secteurs d’activité et s’est confortablement installé dans notre mode de vie. Mais que se cache-t-il réellement sous le terme franglais "digitalisation" (aussi appelée numérisation, ndlr) depuis l’arrivée d’internet ? Sur le "papier", c'est un outil dont l’objectif est de transformer les processus traditionnels par le biais de technologies digitales, afin de les rendre plus performants. Aujourd'hui, une majorité de personnes ont pris l'habitude de commander leur nourriture, leur taxi ou encore leurs livres via une application : en 2020, 52% des achats en ligne se faisaient depuis un mobile, selon une étude menée par l'agence We are social et la plateforme Hootsuite. Crise sanitaire oblige, la tendance s'est accélérée et le gouvernement a mis en place différentes mesures pour soutenir la numérisation des entreprises… mais aussi du sport.
Dans un contexte de forte baisse du nombre de licenciés, le secteur du sport a dû s'adapter : digitaliser ses actions et communiquer s’avèrent être des solutions pour faire revenir les licenciés dans les clubs. Ainsi, sur les 120 millions d’euros du plan de relance du sport amateur, neuf millions seront consacrés au développement numérique des fédérations et des clubs.
"Digitaliser", une notion encore floue
"On croit aux bienfaits de la digitalisation pour le sport. Certains acteurs ont pensé que ce n’était pas le moment. Mais au contraire, cette crise est peut-être l’occasion de nous faire basculer sur autre chose", explique Benjamin Dirx, député de la Saône-et-Loire et rapporteur spécial de la mission sport, jeunesse et vie associative à l'Assemblée nationale. Et de poursuivre : "Maintenant, il faut savoir bien expliquer les outils et l’intérêt de tout ça aux fédérations et aux clubs. Neuf millions d’euros, c’est énormément d’argent. Cela doit servir à récupérer des pratiquants et des licenciés supplémentaires."
Aujourd’hui, digitaliser ses contenus est une notion encore floue pour un grand nombre d’acteurs du monde du sport. Mais la crise de la Covid-19 a permis de faire évoluer les mentalités. "Avec le confinement, beaucoup de personnes ont réalisé que le digital n’est pas le grand méchant loup, mais un outil important pour maintenir le lien et continuer les activités à distance", souligne Samy Bouclet, fondateur de l’Observatoire Sport & Digital. Selon lui, digitaliser le sport permet avant tout "de préserver le lien, mais aussi de créer et d’automatiser des choses plus facilement entre les fédérations, les clubs et les adhérents".
Les start-up au secours des clubs et des fédérations
Dans cette logique, trois start-up françaises, Joinly, Be Sport et MyCoach ont décidé d’unir leurs forces. Leur ambition ? Apporter aux fédérations et aux clubs des innovations pour profiter des opportunités de la transformation numérique. Joinly est un outil de gestion des inscriptions et des paiements en ligne (8 000 clubs et 700 000 transactions par an), Be Sport est un réseau social du sport gratuit qui connecte les sportifs, les fans et l’ensemble des acteurs (160 000 clubs amateurs référencés), et MyCoach est spécialisé dans la conception de solutions numériques pour tous les acteurs du sport (4,3 millions de licenciés l'utilisent).
Convaincues que leurs solutions digitales peuvent favoriser le retour des adhérents dans les associations sportives, les jeunes pousses ont rencontré la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, afin de lui exprimer leur volonté de faire partie du plan de relance. "Aujourd’hui, les associations sportives sont en manque de visibilité sur internet et connaissent une baisse d’inscriptions massive. Le fait de proposer une offre plus digitale et davantage adaptée à ce que les gens consomment au quotidien va favoriser ce retour dans les clubs", s’accordent les dirigeants.
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Le Paris Université Club (PUC) fait partie des clubs qui ont amorcé leur digitalisation depuis quelques années déjà. Il est utilisateur de Joinly depuis deux ans. "Avant, on enregistrait tous les papiers de nos adhérents manuellement", explique le directeur, Charles-Henri Bernardi. "Joinly nous a permis de gagner énormément de temps sur le traitement des données - licences, certificats médicaux - et des cotisations." Le PUC enregistre également davantage d’inscriptions depuis qu’il a recours à l’application. "Les adhérents n’ont plus besoin de venir sur place pour remplir leur bulletin d’inscription : ils le font directement sur Internet et ça leur facilite la vie."
Le PUC développe également une application, en collaboration avec Team’r, qui permettra aux sportifs de s’inscrire à des séances "à la carte", tout en payant une adhésion au club. "Les gens ne veulent plus s’engager à l’année", fait remarquer le directeur. "La personne sera adhérente de l’association mais pourra découvrir de nouvelles activités chaque semaine et payera son activité au cours. L’application facilite la visibilité des sports proposés toutes les semaines et c’est beaucoup plus rapide pour s’inscrire".
"Franchir un cap"
Pour Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), tout ce qui a vocation à faciliter les inscriptions au sein des fédérations et à maintenir le lien entre les adhérents doit être regardé avec "attention et positivité".
C’est ce qui a conduit le CNOSF à lancer, en partenariat avec la start-up Be Sport, la plateforme Mon club près de chez moi, réservée aux clubs fédérés. Elle permet aux internautes de voir quels types de clubs existent près de leur lieu de résidence pour les encourager à pratiquer eux-mêmes ou y inscrire leurs enfants. "Bientôt, l’internaute pourra filtrer les recherches selon sa catégorie d’âge, son niveau et ses disponibilités. Les résultats afficheront les clubs qui répondent aux critères dictés. Ensuite, il pourra s’inscrire directement grâce à Joinly", se félicite le fondateur de Be Sport, Edouard Donnelly.
"L’objectif est de trouver le moyen le plus simple de mobiliser les parents, afin qu’ils inscrivent leurs enfants dans un club fédéré", complète Denis Masseglia. Mais pour l’instant, sur les 160 000 clubs référencés, seuls 20 000 d’entre eux ont rempli leur page. "Nous devons faire en sorte que la plateforme soit la plus documentée possible pour le grand public, afin qu’elle soit efficace", insiste le président du CNOSF.
Pour Samy Bouclet, le fondateur de l’Observatoire Sport & Digital, les clubs et les fédérations doivent franchir un cap. "Pendant des années, le secteur privé a été mis de côté par le monde du sport. C’était 'l’ennemi' numéro 1. Désormais, ils se rendent compte que les solutions proposées par les acteurs privés, comme les start-up, sont pertinentes. S’ils veulent survivre, il y a urgence pour les fédérations et les clubs à penser au sportif, à ce qu’il attend réellement de sa pratique. C’est très important d’avoir des acteurs comme les clubs et les fédérations, ils représentent d'importants vecteurs de lien social."
La digitalisation : "une condition non-suffisante"
Cependant, il ne faudrait pas tout attendre non plus de la digitalisation. "C’est un plus évident qui peut offrir aux clubs et aux fédérations de la visibilité. Mais ce n’est pas en un ou deux mois qu’on va tout régler et qu’on va créer un Amazon du sport", nuance le député Benjamin Dirx. "Il y a beaucoup de choses à mettre en place, et le plan de relance doit servir à cela."
Pour lui, il est aussi primordial de faire le lien entre le sport et l’école. "Le sport à l’école, c’est un budget de 4 milliards d’euros. Le fait que le ministère des Sports soit rajouté à l’Éducation nationale doit nous permettre de faire aller plus d’enfants vers nos clubs", détaille-t-il. Il y a aussi la future mise en place du pass sport, qui doit permettre d'inciter les jeunes de moins de 16 ans (pour les familles bénéficiant de l'allocation de rentrée scolaire, ndlr) et les personnes en situation de handicap à se réinscrire dans les clubs grâce à une aide financière de l’État.
Une opinion partagée par Denis Masseglia, qui reste prudent sur l’utilisation de ces nouveaux outils. Pour lui, la digitalisation est une "condition non-suffisante" pour faire revenir les adhérents dans les associations sportives. "C’est tout un ensemble de choses qui font que le club offre une image de dynamisme et de modernité. L’absence de contact digital peut être préjudicable. Mais si on a le lien digital et qu’on ne rend pas les services que l’adhérent attend, ça ne sert pas à grand-chose", relève-t-il. Surtout, il ne souhaite en aucun cas que la digitalisation ne vienne se substituer à la pratique en club. "Internet ne peut être que complémentaire. Il doit aider à entretenir la relation, mais pas la remplacer", insiste-t-il.
Le président du CNOSF en est persuadé : après la Covid, le sport aura changé. Les relations entre le club et la fédération d’une part, celles entre le club et l’adhérent d’autre part, ne seront plus comme avant. "D’où la nécessité d’imaginer comment le digital peut aider non pas à la pratique, mais à créer un lien entre la pratique et l’institution sportive".
En attendant, les acteurs du monde du sport regrettent toujours l’absence de vision à long terme sur la situation du milieu amateur. Car le digital, lui, ne peut rien faire pour lutter contre l’arrêt des compétitions, ni sur les problèmes de trésorerie que peuvent rencontrer les clubs et les fédérations actuellement. "Ce serait peut être un peu présomptueux de dire aux acteurs ‘misez sur la digitalisation pour résoudre tous vos problèmes’ alors que certains ont 20%, 30%, ou 50% de recettes en moins par rapport à d’habitude", fait remarquer le président du CNOSF. "Est-ce que la digitalisation fera toujours partie des priorités à un moment où on se pose des questions sur la sauvegarde des emplois ou sur la pérennité des activités proposées au sein des clubs et des fédérations - championnats, formations ? C’est une vraie interrogation."
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