Armel Le Cléac'h : "On reste des aventuriers"
Avec 37’30 d’avance sur Xavier Macaire (Groupe Snef) et 43’59 sur Sam Goodchild (Leyton), ses deux poursuivants immédiats au classement, le skipper de Banque Populaire s’est construit un petit matelas lui permettant de croire plus que jamais en ses chances d’intégrer le cercle des triples vainqueurs de La Solitaire du Figaro à Saint-Nazaire le 19 septembre. Mais le Breton bien qu’ayant les cartes en main, reste méfiant, il ne va pas se préoccuper des autres.
"Je vais aborder cette troisième étape comme les deux premières, j’oublie un peu le général, tout peut basculer, on l’a vu l’année dernière à Aurigny avec des gros écarts (près de 8 heures). Sur cette étape on passe donc le raz Blanchard, le raz de Sein, le Four, tous des passages compliqués au niveau des courant. Je me dis que tout est possible. Je vais essayer de naviguer devant, être libéré au niveau des options, avec mon plan dans la tête et mes idées."
Naviguer façon Vendée Globe
Naviguer devant, inévitablement le parallèle se fait avec le Vendée Globe qu’Armel Le Cléac'h a remporté en janvier 2017. Il avait alors résisté aux assauts d’Alex Thompson qui lui avait repris près de 800 miles entre les Kerguelen et le Cap Horn.
"Sur cette Solitaire, je préfère être chassé qu’être chasseur même si c’est toujours un peu sous pression. Je me dis que c’est toujours ça de pris, alors que derrière, tu attends que l’autre devant toi fasse une erreur. Ça donne un avantage psychologique sur la suite, comme sur le Vendée."
C’est clair le marin de Saint-Pol-de-Léon a mis un coup sur la tête aux autres, même si on sait que dans la Solitaire il y a toujours des renversements de situation. "Il nous a quand même donné une leçon de voile, c’était beau à voir", souligne sportif Gildas Mahé (Breizh Cola), 10e au général à mi-parcours. "Ça me rappelle son état de grâce quand il avait gagné la Solitaire en remportant trois étapes sur quatre en 2010. Quand il est comme ça, il fait peur."
Les deux courses proposent deux formats différents, entre un marathon et un long sprint de quatre étapes, sur l’une il faut tenir jusqu’au bout et l’autre est plus difficile moralement, mais la Solitaire rajoute beaucoup plus de jeu tactique. Armel Le Cléac'h déguste tout ce qui vient, avec gourmandise : "Beaucoup de Figaristes aimeraient venir sur le Vendée, mais ils n’arrivent pas à franchir le pas. Sur le Vendée on a différents bateaux, des marins viennent vivre une pure aventure et pas que le côté sportif. Sur le Figaro c’est le sport avant tout et on est à armes égales."
"Le Vendée Globe reste un monument, la Solitaire du Figaro est une super école, j’ai pris autant de plaisir à aller sur l’un que sur l’autre."
Armel Le Cléac’h
Clore le bec aux détracteurs
De l’avis des observateurs, ce qu’Armel Le Cléac'h a fait lors de la deuxième étape est très fort. Francis Le Goff directeur de course le confirme : "Armel n’est pas venu pour faire deuxième, il s’en fiche d’être sur le podium, il veut juste gagner. Du coup, quand il sent qu’il y a une bonne option, il la pousse à fond."
Martin Le Pape (Fondation Stargardt) qui côtoie Armel au Pôle de Port-la-Forêt a un point de vue particulier mais non dénué d’intérêt : "La différence avec nous, c’est qu’Armel ne joue que la gagne, s’il prend une bâche, il se dira tant pis, alors que pour beaucoup d’entre nous, c’est important de finir à une bonne place au général, on est forcément un peu plus conservateurs."
Il fallait remettre les choses au point. Comme un sentiment de revanche par rapport à son « annus horribilis » de 2018 (chavirage puis abandon dans la Route du Rhum). Certains le voyaient à terre, il en faut plus pour mater le chacal, lui ne s’en formalise pas.
"Je ne sais pas, je m’en fiche un peu" concède–t-il. "2018, c’était compliqué mais on a remis en place un projet Figaro pour deux ans avant l’arrivée du prochain trimaran au printemps 2021 (ndlr le maxi trimaran Banque Populaire XI est en construction chez CDK à Lorient) et j’ai eu envie d’aller chercher la gagne. C’est ma façon d’être, quand j’ai une idée en tête, je vais au bout. Avec Arnaud Hebert mon préparateur on a travaillé sur cette Solitaire, je n’ai pas de regrets, il reste à terminer le boulot, ça ne va pas être le plus facile."
Et ça ne marche pas à tous les coups, l’édition de 2019 fut ratée pour le Breton : 10e à quatre heures de Yoann Richomme.
Chacal for ever
Singularité d’Armel Le Cléac’h son surnom très souvent utilisé : le chacal. Pas si simple que cela à porter, presque une image négative, quelque fois amplifiée par le regard d’acier du marin. Que nenni, vous n’y êtes pas du tout. Voici l’explication, très simple et cartésienne, que donne le Politain (il a démarré la voile à l’école de voile de Saint-Pol-de-Léon) : "J’étais étudiant en prépa math sup à Lorient, un jour je naviguais avec des copains étudiants et il y en a un qui a sorti ce nom-là, car j’étais accrocheur sur l’eau, ça m’a suivi. En 2000 lors de ma première Solitaire, un journaliste voit sur ma coque le dessin du chacal. C’est parti de là. Ça ne me gêne pas ce surnom, je suis un personnage avec deux caractères : à terre calme, posé, cartésien ; sur l’eau je corresponds plus au personnage du chacal avec la rage, comme une deuxième nature. J’aime bien ce côté-là, même si ce n’est pas l’animal le plus imposant, il est redouté par ses adversaires."
Que les fans bretons se rassurent, même s’ils en sont déjà convaincus, Bernard Hinault était bien surnommé le blaireau et ça ne l'a pas empêché de gagner cinq fois le Tour de France. De là à penser qu’Armel Le Cléac'h peut inscrire cinq Figaro à son palmarès… A 43 ans il peut encore relever le défi.
Car sa vie est équilibrée : hygiène de vie, concentration, sport... tout y est. Sa famille (Aurélie sa femme, Louise et Edgar ses enfants) lui permet de tenir, d’être présent dans les moments importants. Armel, qui a navigué dans la baie de Morlaix pendant des années, n’oublie pas non plus les amis, comme Jérémie Beyou et Nicolas Troussel, "mes copains d’enfance" précise-t-il. "J’ai promis de passer les voir aux Sables-d’Olonne où j’ai quelques obligations médiatiques en tant qu’ancien vainqueur. Du coup j’y serai la dernière semaine."
"Quand on a gagné le Vendée Globe on peut se dire que c’est acquis et que c’est plus facile… Non il faut savoir évoluer et écouter car il y a d’autres choses à apprendre."
Armel Le Cléac’h
Cette année le niveau de la Solitaire du Figaro est comme les années précédentes, toujours aussi élevé. C’est une constante dans cette course, aussi l’objectif pour Armel de rentrer dans le club très fermé des triples vainqueurs n’est pas simple. Seuls y sont arrivés Yann Eliès (2012, 2013, 2015), Michel Desjoyeaux (1992, 1998, 2007), Jérémie Beyou (2005, 2011, 2014), Philippe Poupon (1982, 1985, 1995) et Jean Le Cam (1994, 1996, 1999).
"C’est souvent comme ça il y a de très bons marins, pas forcément des gens connus du grand public mais nous, on connait le niveau de chaque skipper. Il y a à la fois des gars comme Yann (Eliès) avec lequel je suis très lié, et des jeunes talents. Ça me remet en question aussi et c’est bien, rien n’est acquis à chaque course et c’est pour cela qu’on revient."
Et quand on lui demande de brosser le portrait du solitaire type, Armel Le Cléac’h a sa propre vision des choses. "On a une certaine liberté sur les risques ou options à prendre, sur la prise de décision. Si on ne réussit pas, on ne peut s’en prendre qu’à soi-même, on n’est pas dépendant des autres. On doit savoir un peu tout faire, ne pas forcément être un expert mais tout maîtriser dans beaucoup de domaines et c’est passionnant. Ça demande beaucoup d’années de travail, j’aime bien ça."
Aventuriers de l’océan
Enfin dans cette année si particulière pour le sport, le point de vue d’Armel Le Cléac’h mérite aussi d’être mis en évidence, dans ce sport qui est pratiqué sans masque et en pleine nature. "On est un des premiers sports à avoir repris, toutes compétitions confondus en France avec la Solo Maître Coq en juin, même si ce n’est pas une course très connue. Le paradoxe, c’est que quelquefois les gens n’aimeraient pas forcément être à notre place car ils n’aiment pas la mer ou trouvent cela dangereux. Mais ils suivent nos aventures et aiment voyager virtuellement et indirectement. J’aime bien avoir ce contact avec les gens qui font la course de cette manière. On a cette chance de naviguer sur un terrain de jeu très peu utilisé car peu de marins naviguent finalement comme nous le faisons. On passe par des endroits préservés, ça reste une aventure de traverser les Océans, on a surement un côté derniers aventuriers des temps modernes, sur le Vendée notamment".
Tout va bien pour Armel Le Cléac’h ? Presque. Il nous dégaine aussi rapidement que l’éclair, une frustration et une envie. Pas celle de déguster un Paris-Brest, mais parler d’une course aux saveurs exotiques, qu’il ne digère pas pour l’instant : la Route du Rhum.
"Cette course reste un rendez-vous raté sur les deux dernières éditions pour des raisons différentes. Entre l’accident personnel bête (il se fracture le poignet dans une station de lavage à un mois du départ en 2014, Loïck Peyron le remplacera et gagnera sur le trimaran Banque Populaire VII) et l’abandon de 2018, il faut être persévérant. En 2022 ce sera mon objectif, gagner la Route du Rhum, deux ans de travail pour y arriver, et aller chercher cette victoire à Pointe-à-Pitre qui me fuit. Ce sera mon rendez-vous prioritaire." Et quand Armel Le Cléac’h a une idée en tête... il est têtu le Breton !
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