Pourquoi la Coupe de l'America, plus ancienne course à la voile, ne passionne pas les Français ?
C’est bien connu, la France est un pays de voile. Preuve en est, la forte concentration de skippers tricolores engagés à chaque édition de la célèbre course du Vendée Globe, actuellement en cours. Mais si l'Hexagone raffole des courses au large, la Coupe de l’America fait, quant à elle, beaucoup moins parler. Au point qu'aucune équipe officielle française n'y participe en 2021, comme lors de la 34e édition. Pourtant, à l’étranger, cette mythique compétition, qui rassemble les Yachts clubs de six nations autour de divers défis, fait saliver public et skippers. Alors pourquoi ce désintérêt français ?
La première raison est culturelle. Fondée en 1851 par les Anglais, la Coupe de l’America, plus vieux trophée au monde tous sports confondus, est caractérisée par son lien avec le milieu du yachting, très anglo-saxon. "Culturellement, il y a un écart très grand entre la France, qui met au sommet de la pyramide la course en solitaire, au large, et le milieu anglo-saxon, qui met au sommet les régates comme la Coupe de l’America”, explique Alain Gautier, vainqueur du Vendée Globe 1992-1993 et qui a participé à la 33e Coupe de l'America avec l’équipe Suisse Alinghi en 2010.
“En dehors de nos frontières, on parle beaucoup plus de la Coupe de l'America”
Franck Cammas, skipper français
“En France, la culture de la voile est tournée essentiellement vers la navigation en solitaire, grâce ou à cause d’Éric Tabarly, poursuit Alain Gautier. Avant lui, on ne peut pas dire que la France était pionnière en termes de voile.” La France ne s'y est vraiment intéressée que vers les années 1960 quand Tabarly a commencé à gagner des courses, notamment face à des Anglais. Ce marin hors norme, considéré par beaucoup comme la référence, a notamment triomphé sur des courses anglaises comme la Transat en solitaire en 1964 et participé à l’édition 1970 de la Coupe de l’America.
Pourtant, selon Franck Cammas, qui a participé à la dernière édition de la Coupe de l’America en 2017, beaucoup de marins français seraient attirés par cette compétition, mais ne s'y engageraient pas, faute de visibilité. “En France, les courses en solitaire comme le Vendée Globe ou la Route du Rhum sont très médiatiques et représentent, pour le public français, le milieu de la voile. Mais ce n'est pas uniquement cela. En dehors de nos frontières, on parle d’ailleurs beaucoup plus de la Coupe de l'America”, nuance le vainqueur de la Route du Rhum et triple vainqueur de la Transat Jacques-Vabre.
Une mentalité française
Marc Pajot est l’un des rares skippers français à avoir autant performé dans la Coupe de l’America, avec deux demi-finales en 1987 et 1992. “En France, on a toujours été très bien servi avec les courses océaniques. La course en solitaire a toujours été valorisée et mise en avant par l’ensemble des acteurs, que ce soit la presse ou les skippers, explique-t-il. Tout le monde a toujours préféré courir dans cette catégorie-là. On a d'excellents marins au large, d'excellents bateaux, mais aujourd’hui on ne se confronte qu'à nous-mêmes. On le voit bien, lors du Vendée Globe, il n’y a quasiment que des Français”, souligne celui qui fut équipier d’Eric Tabarly.
Pour le natif de La Baule, il faudrait d'ailleurs faire tomber les clichés qui séparent ces deux univers, ceux de la course au large et ceux des régates. “Il faut associer ces deux mondes. Moi qui venais du monde de l'olympisme, quand j'ai commencé à faire de la course au large, on disait que les gars comme moi savaient bien naviguer mais qu’on n'était pas solide pour aller au large. Cette dualité a toujours existé, même si elle a évolué. La réalité est que les gens qui viennent de l'olympisme, qui travaillent sur des bateaux sportifs avec de la tactique, ont la meilleure formation pour aller faire du large et participer à la Coupe de l’America”, constate Marc Pajot.
Malgré cette différence culturelle, des marins Français ont été présents à chaque édition depuis 1970, parfois sous d'autres bannières, à l’instar de Marc Pajot ou Bruno Troublé (de 1977 à 1983). “Et, un seul Français a gagné la Coupe de l'America en tant que marin, c'était Thierry Fouchier, vainqueur avec les Américains à bord du trimaran Oracle en 2010, face aux Suisses” de l’équipe Alinghi, se souvient Alain Gautier.
La coupe des milliardaires
Autre point d'achoppement entre la compétition et la mentalité française, le rapport à l’argent. La Coupe de l’America est souvent appelée la coupe des milliardaires. “Cette compétition a toujours été une histoire de milliardaires qui assouvissaient une passion et qui se lançaient des défis les uns contre les autres", tranche Alain Gautier. Les équipes engagées dépensent en effet des centaines de millions d’euros dans l’aventure. Des budgets comparables à ceux de la Formule 1 qui n’est pas, là encore, dans la culture française.
“Pour que la France ait toutes ses chances, il faudrait qu’un milliardaire se lance dans l’aventure mais l'état d’esprit français fait que cela serait mal vu qu'un milliardaire dépense son argent aussi futilement. Comme la voile n'est pas un sport populaire, et la Coupe de l’America encore moins chez nous, il est évident que très peu de sponsors se sont lancés dans ce projet, parce qu'ils estimaient que cela coûterait beaucoup trop cher par rapport au retour sur investissement qu'ils pouvaient en attendre", estime Alain Gautier.
“Techniquement et sportivement, la Coupe de l’America est ce qui se fait de mieux dans le monde”
Franck Cammas, skipper français
Même si les courses au large ont davantage le vent en poupe en France, les skippers s’accordent pourtant à dire que la Coupe de l’America est une course unique sur bien des aspects. “Techniquement et sportivement, c'est ce qui se fait de mieux dans le monde. C'est pourquoi il y a un vrai engouement international pour cette course”, affirme Franck Cammas. Pour le skipper, il s’agissait même d’un rêve d’y participer. “Cette coupe représente l'excellence en voile, avec la plus forte concurrence, donc on a envie de s'y frotter. Il y a beaucoup de difficultés, certes, mais c'est ce qui est attirant. On doit être bons dans tous les domaines de la course à la voile. Ce qui m'a aussi attiré, c'est de représenter la France sur cette compétition emblématique, qui est la première compétition au monde, qui existait avant même les Jeux olympiques. Imaginez son histoire !”, s'extasie Franck Cammas.
La formule particulière du defender (tenant du titre) et des challengers a aussi séduit le marin. Ce règlement permet au gagnant de détenir les droits d’organisation pour la prochaine édition et d’attendre qu’un autre concurrent le défie. “Comme un combat d’épées au XVIIe siècle, s’amuse Franck Cammas. Ce qui est assez magique dans cette compétition, c’est qu’elle a pu suivre l'air du temps dans le sens où le règlement et le type de course étaient toujours remis en question par celui qui allait défier le defender. C'est pourquoi les bateaux de la Coupe ont beaucoup évolué. On peut voir dans la baie d'Auckland actuellement [là où se déroule la 36e édition] les plus beaux bateaux et les technologies les plus avancées dans notre sport, c'est ce qui est fabuleux.”
Une innovation constante, devenue le symbole de cette compétition vieille de 170 ans. L’exemple le plus récent et le plus visible est sans conteste l’apport du fameux foil, cette sorte d’aile positionnée sous la coque, qui peut soulever le navire au-dessus de l’eau. “Les premiers qui ont réussi à faire voler des bateaux et à les faire avancer si vite sur une course, c'était lors de la Coupe de l’America, et cette technologie a ensuite été adoptée pour la course au large”, rappelle Franck Cammas.
Les tricolores restent toutefois aux avant-postes
Bien qu'aucune équipe française ne se soit alignée lors des 34e et, désormais, 36e édition, les tricolores conservent une certaine cote sur cette compétition. “Les Français ont un savoir-faire sur les technologies grâce à la course au large, en termes d’architecture, de design... Ils sont devenus des références au niveau technologique. Par exemple, l’aile révolutionnaire d'Oracle, le catamaran américain de 2010, a été imaginée par un ingénieur français”, souligne Alain Gautier. Les derniers vainqueurs, la Team Nouvelle-Zélande, ont aussi recruté leur lot de Français comme l’architecte naval de renom, Guillaume Verdier, qui s’illustre également sur le Vendée Globe. Pour cette 36e édition, ils sont encore plusieurs à avoir oeuvré dans l'ombre, notamment dans l'équipe américaine (Jacques Le Berre, Arthur Rozand).
D’un point de vue sportif et technologique, la France a toutes les cartes en main pour performer sur cette course emblématique. Reste qu’il lui manque l'impulsion d'une personnalité française dotée des moyens financiers et de la volonté de s’investir dans une telle aventure. “Si la France n’a jamais gagné, c’est notamment parce qu’elle n’a jamais eu le budget pour. C'est d’ailleurs ce qui s'est passé lors de la dernière édition aux Bermudes avec Franck Cammas. Il y avait bien une équipe française mais avec un sponsor au trop petit budget. Avec plus de moyens, des ingénieurs français auraient pu rejoindre l'équipe, explique Alain Gautier. Tant que les retombées ne seront pas plus grandes, aucun sponsor français ne se lancera.”
Un problème structurel
Ce qui bloque la Team France est un problème structurel, qui, dès le départ, brise ses chances de victoire. “Si on peut être au niveau des autres nations dans le budget, et donc dans le recrutement, il n’y a aucune raison qu'on ne gagne pas. Parce qu'on a une vraie culture de la navigation, avec des chantiers navals qui sont capables de faire les meilleurs bateaux au monde”, estime encore Franck Cammas. “C'est un cercle vicieux car si on en parle peu, il y a moins de moyens pour s'engager dans cette épreuve. Donc moins d'équipes françaises en lice, et moins de sportifs qui peuvent s'exprimer sur ce terrain-là”, conclut Franck Cammas. Et, par effet boule de neige, moins d’intérêt de la part du public. L'aiguière d'argent, le trophée de cette coupe, n'est pas encore près de rallier l'Hexagone. Franck Cammas et son équipe, qui devaient renouveler leur participation, ont finalement renoncé à se lancer... faute de moyens.
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