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Solitaire du Figaro : comment fait-on pour ne dormir qu'une heure par jour ?

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le coureur Alain Gautier à son arrivée à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), lors de la Solitaire du Figaro en 2003. (MAXPPP)

La Solitaire du Figaro est considérée comme l'une des courses les plus dures au monde. Plus dure que le prestigieux Vendée Globe, selon les coureurs.

"Plein de gens disent que le Vendée Globe est une course dure, mais la Solitaire du Figaro est plus dure sportivement." Ce n'est pas un plaisancier dominical au café du port de l'étang d'Enghien-les-Bains qui le dit. Mais celui qui a gagné l'illustre surnom de "professeur", ainsi que deux Vendée Globe et trois Solitaires du Figaro (deux records). Bref, le maître de la discipline : Michel Desjoyeaux. Pendant trois semaines, les 38 marins inscrits à la Solitaire du Figaro qui s'est élancée le 8 juin de Deauville vont soumettre leur corps à toutes les tortures. A commencer par la privation presque totale de sommeil pendant plusieurs jours d'affilée et à plusieurs reprises.

Tout le monde à la même enseigne

Si le Vendée Globe, course en solitaire pendant plusieurs mois autour du monde sur un monstre high-tech de 18,60 mètres, est la course des superlatifs, la Solitaire du Figaro est celle de l'humilité. Une compétition qui requiert des "qualités" de "paysan", selon l'ancienne présidente de la classe Figaro, Laura Vergne, une "histoire de ténacité" où les marins montrent qu'ils ont "quelque chose dans les tripes".

Pour la Solitaire, amateurs et légendes de la voile se retrouvent sur un bateau presque deux fois plus petit (10,10 mètres). La course se dispute en temps cumulé et en étapes au large des côtes françaises. Des sprints de trois à quatre jours pour rallier l'Angleterre, l'Irlande ou l'Espagne qui demandent concentration et ténacité. Entre chaque étape, deux ou trois jours de récupération et les retardataires ne peuvent pas compter sur du rab. Ici, pas de course à l'innovation et de budgets faramineux (autour de 5 millions d'euros pour un Vendée Globe, quand 100 000 euros suffisent en Figaro). Tout le monde participe sur un monotype relativement simple, un Figaro Beneteau II. "Nous avons tous le même bateau qui est mené à fond. Il faut être très bon tout le temps", explique Michel Desjoyeaux. Du coup, c'est d'abord le marin qui fait la différence.

Alain Gautier se prend la tête entre les mains à son arrivée à la Solitaire du Figaro, dans la nuit du 21 au 22 août 2003, à Saint-Nazaire, 13 secondes derrière Armel Le Cléac'h. (NATACHA FAVREAU / AFP)

Et parfois, elle est minime. En 2003, après 327 heures, 8 minutes et 19 secondes de mer, soit plus de 13 jours de navigation, Armel Le Cléac'h n'avait devancé Alain Gautier que de 13 ridicules secondes au final. Il ne faut donc pas laisser passer une miette face à des concurrents qui comptent parmi les meilleurs coureurs au large. La course demande d'être très complet. Chaque skipper doit barrer et régler presque en permanence son bateau dans des parcours jamais loin des côtes aux vents changeants, des courants et un trafic maritime parmi les plus importants au monde, tout en analysant la météo, en choissant les meilleures options et en se gardant de casser son matériel. Un vrai casse-tête.

Une guerre d'épuisement

Dans ces conditions, dormir devient un luxe à doser avec parcimonie, et gare à celui qui se laisse aller. Le médecin de la course, Jean-Yves Chauve, explique : "Quelqu'un qui n'a pas dormi depuis seize heures a une vigilance égale à quelqu'un qui a 0,5 gramme d'alcool dans le sang ! L'hypovigilance [une vigilance en dessous de la normale] arrive très vite." Le coureur ne se rend pas forcément compte de sa fatigue, mais, épuisé, il rechigne à manœuvrer, à régler son bateau, prend du retard dans ses analyses. Dans le pire des cas, il risque d'avoir des hallucinations.

Ne pas dormir risque de faire baisser les performances, mais l'inverse est aussi vrai. "Le jeu est de se reposer tout le temps, dès que c'est possible. La fatigue cumulée est le piège ultime, expliquait le navigateur Armel Le Cléac'h à Voiles et Voiliers. Le pire, c'est quand tu te dis 'Allez, pas besoin de mettre le réveil, je ne vais pas dormir, juste fermer les yeux quelques secondes...' Et manque de pot, tu te réveilles une heure après, le bateau en vrac et les copains partis !" Jérémie Beyou parle d'une "guerre d’épuisement au cours de laquelle il faut être capable de prendre un peu d’angle par rapport à la flotte et d’enfoncer le clou".

Une heure de sommeil par jour

Comment doser ? Pendant un Vendée Globe, les coureurs s'accordent trois à cinq périodes d'une heure et demie de sommeil, permettant un cycle de sommeil monophasique. Dans la Solitaire, les figaristes visent un autre type de sommeil, que le médecin Jean-Yves Chauve décrit comme "un sommeil 'parking' de vingt minutes qui permet d'atteindre le sommeil profond avec peu de rêves mais qui offre une bonne récupération physique". Ils s'accordent aussi quelques instants de "sommeil 'flash' de quelques secondes qui permet une courte relaxation pour retarder l'apparition de l'hypovigilance".

Au bout du compte, les marins peuvent espérer dormir une heure toutes les 24 heures par tranche de 20 minutes, un coussin calé sous la tête dans le cockpit, sans oublier de brancher une alarme puissante. Ils profitent de moments plus calmes en évitant, malgré le bruit, de se glisser des bouchons dans les oreilles pour être alertés si quelque chose ne tourne pas rond. Et cela peut aller vite :

 

Préparation et expérience

Pour dormir au mieux, le directeur du pôle Finistère Course au Large, Christian Le Pape, remarquait qu'en premier lieu, il est important de faire du sport pendant la préparation, comme l'endurance. Cela permet de mieux résister et récupérer, mais aussi de trouver le sommeil plus vite. Il est aussi recommandé de faire régulièrement des siestes l'après-midi avant la course pour s'habituer au rythme.

Malgré cela, il reste difficile de se préparer à terre et, comme l'expliquait Armel Le Cléac'h à Santé Sport Mag"on ne peut pas réellement s'entraîner sur terre car les conditions sont trop différentes. Il faut donc faire de longues sorties en voile pour vraiment s'exercer." Rien de tel que l'expérience, même si certains "enregistrent leurs ondes par encéphalogrammes pour ajuster au mieux leur repos", relève Christian Le Pape. Des informations à prendre avec précaution car les enregistrements ont lieu à terre.

Boire et manger

Par ailleurs, en mer, il faut veiller à bien s'hydrater, sous peine de décliner rapidement, et surveiller son alimentation en mangeant régulièrement de petites quantités. Curieusement, "en effectuant des prises de sang au départ de la première étape, puis à l'arrivée de chaque manche, on s'est aperçu que ceux qui étaient les plus éveillés étaient ceux qui avaient mangé le moins…" note le docteur Chauve.

En cas de manque de calories, le déficit est "compensé au niveau de l'hypothalamus où des cellules sont sensibles au taux de sucre dans le sang : ces neuromédiateurs sécrétés vont aller dans diverses zones du cerveau pour stimuler l'éveil, l'agressivité, la clairvoyance et l'oxydoréduction qui régule le fonctionnement global de l'organisme. Cela offre un parallèle avec les premiers êtres humains qui ne devaient pas s'endormir quand ils n'avaient pas à manger…"

Double dose de café ?

Peut-on tricher un peu en s'abreuvant de café et de Guronsan ? Christian Le Pape écrit que cela a surtout pour effet une "excitation provisoire" suivie d'une "dépression plus ou moins importante". Dans un document du Pôle Course au large du Finistère, il suggère que cela peut cependant avoir un intérêt dans les derniers instants de la course, pour "un ultime coup de fouet".

Mais selon le docteur Chauve, cité par Voiles et Voiliers"le fait de masquer le sommeil ne rend pas efficace ; être éveillé ne prouve pas que l'on est vigilant. Par ailleurs, je ne vois pas quel produit dopant pourrait être intéressant. Un stimulant pourrait donner un coup de fouet, mais le problème des béquilles chimiques est qu'elles déstructurent le sommeil, rendent dépendant et entraînent des dépressions. Et surtout, cela contourne cette partie – qui est à mon sens la plus intéressante sur la Solitaire : la connaissance de soi."

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