Solitaire du Figaro : Fred Duthil remporte la troisième étape
D’abord il en a fait plus que les autres. Le malin Carentanais (né à Carentan dans la Manche) est passé sous Belle-Ile-en-Mer, pas pour aller vers Marie-Galante mais pour tenter un coup. Le bord du facteur a-t-on coutume de dire, le truc impossible à faire. Et pourtant Fred l’a fait. Un peu à l’intox, et surtout avec les infos de son routeur Christian Dumart. Après un bon coup de fatigue après Ouessant et cette pointe Bretagne avec des algues omniprésentes
"Passé Ouessant, j’étais très fatigué et je me suis assoupi durant une heure. Mais je me suis dit qu’il y aurait des coups à jouer. Dès Penmarc’h, étant derrière, j’ai décidé de passer sous Belle-Ile. Je craignais fortement les dévents de l’île au petit matin. On en avait parlé avec Christian Dumart. J’ai bien fait de l’écouter. Si jamais j’avais été devant, je ne l’aurais pas fait. Mais là, ça valait le coup de tenter. J’ai cru en cette option. J’ai scruté l’horizon à la jumelle et j’ai compris que j’étais devant."
Simple à faire, encore faut-il tenir jusqu’au bout, la flotte passée Belle-Ile s’est scindée en trois parties, et les Sudistes ont eu le vent gagnant, coup gagnant, avec Marc Mallaret et Adrien Hardy, ceux étant au centre perdant tout, comme Yann Eliès.
45 changements de leaders
Scénario Hitchcockien, ou digne de Casino Royal, coups de théâtre et retournements de situation ont ainsi émaillé les 492 milles théoriques du parcours. Et du jamais vu sur la Solitaire du Figaro 45 changements de leaders. Au bout du compte Armel Le Cléac’h garde son maillot jaune, mais il est passé d’un extrême à l’autre dans cette étape, où il aurait pu tout perdre. Après Ouessant il s’est même retrouvé avec Fred Duthil autour de la trentième position "on était aux fraises tous les deux" rappelle le vainqueur de l’étape avec humour, "mais dans ces cas-là on n’a plus rien à perdre."
De chez lui notre consultant Yoann Richomme a apprécié le spectacle à distance : "C’est génial ce qui s’est passé avec ces rebondissements. Mais il y a de la logique là-dedans et une explication à tout, ce n’est pas du pur hasard. Le vent thermique (venant de la terre) a mis beaucoup de temps à rentrer et il fallait donc rester au large sur la fin. Mais qu’est-ce que ça devait être dur sur l’eau. Le coup que réalise Fred est magnifique, mais était irréalisable s’il avait été devant pour essayer de garder sa place. Il fallait que ce soit quelqu’un de libre de toute pression qui le tente et surtout un mec d’expérience."
Vainqueur de sa quatrième étape de la Solitaire, pour sa douzième participation, Fred Duthil, enfin au calme du bord des pontons une fois son Figaro passé l’écluse de Saint-Nazaire, avoue bien ne pas être le plus chanceux de la terre au Casino : "Une étape du Figaro ça se gagne peut-être à la chance, ok, mais il faut aussi être là au bon moment. J’avais du retard après la Bretagne. Dans mes options je n’étais pas heureux les deux premiers jours. Au large de Dieppe, j’ai voulu me décaler dans le Nord pour contourner Blanchard. Après en Bretagne nord je pensais que le vent reviendrait par le large et je me suis entêté à rester avec Armel. Au Fromveur, un chenal qui permet de se faufiler et de sortir du Four au sud d’Ouessant, j’ai trouvé un trou de souris pour passer vers Molène dans la brume. Et je me suis retrouvé à l’arrière du bus sans trop le vouloir, complètement scotché."
La magie de la voile
Quelquefois la voile ne s’explique pas, il faut être en communion avec les éléments, avoir une part de chance ou bien encore avoir un joker dans son sac marin. Mal en point il y a encore 24 heures Fred a donc sorti son arme fatale, Christian Dumart et ses bons tuyaux. En météo il y a le sorcier, Jean-Yves Bernot qui distille son savoir, Christian Dumart n’est jamais très loin. Et paradoxe Adrien Hardy (Attitude Océan) qui a tenté la même option de contourner Belle-Ile est routé aussi par le même homme. Comme rien n’est jamais fini dans une étape comme celle ci.
"Sur ce coup Christian avait assez fort insisté, je n’avais rien à perdre" poursuit Fred Duthil. "En sortant de Belle-Ile on avait du bon vent avec un bon angle, je me suis dit il y a un truc à jouer. Je ne voyais plus Yann (Eliès), j’ai vu le spi d’Armel à la jumelle légèrement derrière moi. Je me suis dit que j’y étais." Même son de cloche chez Adrian Hardy. Le Nantais qui termine presque à la maison de son coté, avoue que le coup a bien payé, même si deux bateaux l’ont dépassé (Fred Duthil et Marc Mallaret, premier bizuth sur CER Méditerranée). Il revient sur les visions de son étape car le marin engagé qu’il est a pris le temps d’observer la mer et son témoignage est édifiant.
"Cela a été un grand voyage, quasiment un demi-tour de France. On a une chance incroyable de faire ce sport de liberté dans un espace naturel grandiose. Quels paysages ! Malgré la solitude et la fatigue on est des privilégiés de faire ce métier. Un thon de la taille d’un dauphin a bondi devant mon bateau hier soir ; incroyable. Mais il y a la pollution aussi avec le nuage de smog au milieu de la Manche à cause des cargos, et les plastiques. Il faut prendre conscience de la beauté de notre terrain de jeu mais aussi de sa fragilité."
La remontada de le Cléac’h
Armel le Cléac’h est passé par toutes les couleurs dans cette étape. Le flair du chacal a senti le bon coup au bon moment. Il était temps. Sa remontada fut spectaculaire, même s’il a frôlé la correctionnelle en ratant une renverse de courant dans le Fromveur, quand il s’est retrouvé en queue de flotte avec Fred Duthil. Un bord salvateur plein sud à travers le chenal du Four le remettra aux avants postes
"J’ai eu des moments de doute sur cette étape, il fallait être solide nerveusement, au final je m’en sors bien. J’ai bien navigué aujourd’hui, et j’imaginais même réaliser le doublé mais j’ai vu trois bateaux passer. Fred a su être opportuniste et remporter l’étape. On se dirige vers un duel entre lui et moi, il va falloir être lucide sur ce dernier sprat et récupérer d’abord" déclarera le leader de la Solitaire. La prochaine étape, une boucle aller-retour sur Saint Nazaire, ne durera que 24 heures, et livrera son verdict dimanche.
Fred Duthil avouera à demi-mots préférer être dans la position du chasseur, à 10 minutes 43 d’Armel le Cléac’h, il peut y croire. D’autant que la dernière étape sera très courte. Les quadras sont dans le coup, même si Xavier Macaire et Yann Eliès ont beaucoup perdu. En revanche il y avait un grand sourire sur les pontons, celui de Marc Mallaret. Le sudiste de 30 ans, pourtant bizuth, a les crocs après avoir remonté trente places. "J’ai failli abandonner avant-hier, et ça a marché. Là je suis vidé, mentalement épuisé, mais j’ai exulté sur la ligne tellement c’est beau cette Solitaire."
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