Damien Seguin, en solitaire et en confinement, prépare le Vendée Globe
C’est une constante chez lui : Damien Seguin a toujours le sourire, la pêche, la banane. Sa situation de confinement à Auray ne le stresse pas plus que ça. Même si pour sa famille et lui, elle dure depuis presque un mois et demi. "Je n’ai pas encore la barbe du capitaine Haddock, mais forcément ce n’est pas simple. Quand on est rentrés de Guadeloupe après des vacances chez mes parents, début mars, Auray était défini dans un cluster par rapport au Covid-19. Tifenn et les enfants n’ont pas bougé, je suis juste allé une semaine au chantier. On est confinés depuis. Heureusement, nous avons une maison avec un jardin, mais on a dû repenser toute notre organisation familiale. Et comme le chantier de mon bateau est à une heure de route (Port-la-Forêt, près de Concarneau), je n'ai pas vu celui-ci depuis un mois."
C’est Guillaume Trotte, son préparateur, qui lui donne des nouvelles du monocoque rouge en envoyant des photos au futur skipper solitaire. Il travaille en demi-journées sur place, avec les normes de sécurité sanitaire, masques et gants. En ce moment, il finit le ponçage du pont, puis il y aura la peinture à faire avant la sortie du confinement. Stéphane Courtois, l’un des membres de l‘équipe, est aussi revenu pour travailler dans le container, checker l’accastillage et le matériel de sécurité. À Port-la-Forêt, malgré le confinement, les projets Vendée Globe ne sont pas à l’arrêt. "Tout le monde bosse ici Arkea (Sébastien Simon), PRB (Kévin Escoffier) n’ont jamais fermé, Pure (Romain Attanasio) non plus, Corum (Nicolas Troussel) a repris hier. Il y a une impression de travail avec cinq chantiers, mais personne ne se balade. Tous les magasins sont fermés et les parkings déserts. Nous, les préparateurs on fait le job, on a tous nos bateaux en chantier, on sait qu’on va remettre à l’eau car les courses sont justes repoussées et pas annulées", précise Guillaume.
Spécialiste des matériaux composites, il avait emporté du travail à domicile avec la réparation et la peinture des dérives, c’est mission accomplie. Damien et lui sont dans une relation de confiance à cent pour cent. "Sinon il ne me demanderait pas de bosser sur son bateau sans lui." Chacun à son poste en quelque sorte, et le skipper, lui, travaille de son côté.
Voile en télétravail, outil indispensable
Damien s’adapte, et s’est mis au télétravail : "On a du retard par rapport à ce qui était prévu, mais comme la saison sportive a aussi du retard, on fait en sorte d’être efficaces." Concrètement, il faut lister ce qui reste à faire, d’abord au niveau du matériel : avancer avec certains prestataires ou fournisseurs qui ont aménagé leur travail et ne sont pas fermés, faire arriver des commandes et stocker le maximum de choses au chantier.
"On part du principe que ce qui est fait aujourd’hui n’est plus à faire"
Mais le skipper guadeloupéen avance sur d’autres dossiers, la formation météo d’abord, avec Jean-Yves Bernot et Christian Dumart par visio-conférences. Ces deux éminents spécialistes s’entretiennent chaque saison avec les marins. Ils viennent aussi dispenser leur savoir à Port-la-Forêt, au Pôle France de course au large. Rien de neuf donc, mais cette formation sera faite en avance par rapport au programme initial.
Marin gourmand mais prévoyant
Idem pour un autre dossier important sur le Vendée Globe, la nutrition. "Je fais la répartition entre lyophilisés et nourriture stérilisée, la différence est réelle entre mers du sud avec un apport énergétique de 5000 calories, contre 3500 calories par jour, au niveau de l’Equateur. À l’échelle d’une transat je savais gérer, mais le sud non." En effet, les apports caloriques nécessaires varient en fonction de la température extérieure : plus il fait froid, plus le corps consomme des calories. Damien a discuté avec les uns et les autres, des skippers ont déjà écrit dessus. Et c’est du concret dans sa tête désormais. "Ça parait bête, mais au final devant une feuille blanche, il faut prévoir plus de 90 jours de nourriture."
"Sur un Vendée Globe, je vais éviter de manger un cassoulet chaud vers l’Équateur et un taboulé froid dans les mers du sud."
La nutrition sur un Vendée Globe touche à la fois à la performance du bateau et du marin. Damien, comme beaucoup d’autres, travaille avec Lyophilise & C°, la référence dans la course au large. En attendant, chez lui, il en profite en ce moment : "Je suis gourmand, j’adore faire des desserts et des plats épicés ou en sauce, mon cœur et mon estomac sont toujours guadeloupéens. Je sais tout faire dans les desserts, comme le tourment d’amour (gâteau des Saintes) que je préfère au coco." Ses parents qui vivent en Guadeloupe sont confinés aussi, ses frères et sœurs entre l'Hexagone et la Suisse aussi. "C’est important pour moi, tout le clan va bien et c’est un facteur important pour l’équilibre de vie, mes grands-parents à Asnières aussi, même si pour eux c’est plus délicat."
Être prêt au bon moment
Les marins au bord de l’océan sont un peu dans leur monde. Mais cette crise sanitaire permet finalement d’y voir plus clair. Devant l’échéance importante du 8 novembre, Damien déroule son rétro-planning, avec une question : combien de temps nous faut-il pour être prêts ? "Pour tester le bateau, il faut qu’on fasse l’équivalent d’une transat aller-retour en solitaire avant début septembre. L'idéal est de naviguer en août mais on attend les dates de déconfinement. Ceci dit, aujourd’hui il nous reste entre trois et quatre semaines de travail avant la remise à l’eau du bateau."
"Le jour du déconfinement, ce ne sera pas portes ouvertes partout. Ça permettra d’aller au chantier et de voir ce qui se passe au niveau sportif."
La première course pour lui devait être la New York- Vendée (annulée), ce sera donc d’un port de France en direction de la Vendée. En Juillet ? Nul ne le sait. Ce sera surtout quand tout le monde sera prêt. Pas d’inquiétude pour le moment du côté du team Groupe Apicil : "Il n’y a pas de raison d’être pessimistes ni optimistes, d’ailleurs. Nous voyons les choses de notre fenêtre pour être prêts mais l’organisateur raisonne aussi avec événementiel et le public à accueillir. Un Vendée sans public, ça ne rime à rien. On se pose encore plein de questions." Le Vendée Globe qui attire plus de deux millions de visiteurs aux Sables d’Olonne, dont 350 000 le jour du départ, est pour l’instant maintenu.
Ambiance fun at home
Chez les Seguin, on fait le maximum avec le minimum dans cette période de crise sanitaire. "Rester à la maison, on n’était pas habitués à ça vu qu’on est souvent en vadrouille, il faut gérer. Heureusement, il fait beau en Bretagne. Par rapport aux enfants (ilb a deux enfants : Etann et Marjane) le Vendée pour eux est encore assez loin, ils ne se projettent pas. Même si, quand je travaille la météo, Etann vient me voir car ça l’intéresse. Du coup, on les met progressivement dans l’ambiance, avec humour."
Entre symbole et humour, Damien fut un des premiers à poster une photo sur son compte Twitter, lorsqu’a été instauré le principe d’applaudir quotidiennement tous les soignants à 20h. Il a mis un gant en plastique sur son moignon pour avoir une main gauche et pouvoir ainsi applaudir… à deux mains. Mais il a poussé l’humour encore plus loin au chantier : "Pour me marrer, je plante un cutter dans le gant et la première fois que je l’ai fait, ça a foutu la trouille à quelques-uns. Toutes les conneries sont possibles, on s’amuse. Il n’y a aucun handicap à s’amuser et être passionné."
Sans pression, Damien trace sa route, elle va le faire changer de dimension, si ce n’est déjà fait. Il arrive à faire bouger les hésitations de notre société, son handicap est une force. Il est parvenu à séduire le groupe Apicil, pour trouver le budget nécessaire afin de s’engager dans le Vendée Globe. "On y met la passion et on essaie de la transmettre à travers un projet. Avec ma particularité de marin skipper avec un handicap, je ne joue pas uniquement sur le côté sportif. Je joue aussi sur le côté aventure, dépassement de mes limites et ça peut toucher des médias différents et d’autres sponsors qui veulent communiquer autrement. Mon but est de démontrer que la voile est un sport adapté et adaptable à tout le monde y compris les personnes handicapées. On peut tous prendre du plaisir ensemble sur l’eau et partager la même passion autour d’un sport."
Damien Seguin est vraiment un marin comme les autres qui, malgré une main en moins, a toujours dans la tête quelque chose en plus.
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