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Everest des mers, porte des glaces, corps à corps... six choses à savoir sur le Vendée Globe

Le Vendée Globe 2020 démarre ce dimanche aux Sables d'Olonne. Voici tout ce qu'il faut savoir sur l'histoire de cette mythique course de voile.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 11min
 

• L'Everest des mers n'a "que" 31 ans

Le Vendée Globe est un mythe du sport nautique français. Il n'a pourtant pas une si longue histoire derrière lui. Ce n'est qu'en 1989, que le navigateur Philippe Jeantot crée cette course. A l'époque, son idée paraît folle. Faire un tour du monde en solitaire sur un bateau à voile, sans assistance et sans escale : qui serait assez fou pour tenter le diable ? Ils furent pourtant treize à prendre le départ cette année-là. Dès les premiers jours, le Vendée Globe a eu son moment d'anthologie, celui qui a définitivement ouvert le livre des légendes de l'épreuve. Le 28 décembre, Philippe Poupon, 2e à cet instant, déclenche ses balises de détresse. Son bateau a chaviré. Loïck Peyron arrive le premier.

Il lui passe une remorque, et Poupon parvient à redresser son navire. Mais l'essentiel est ailleurs : Peyron a tout filmé. Les images font la Une dans de nombreux pays. Le mythe de l'Everest des Mers est né : intraitable de difficulté, mais riche de formidables histoires humaines.

109 jours après le Top départ, c'est Titouan Lamazou qui remporte ce premier Vendée Globe. 

• Trois caps et des portes de glace : un parcours dantesque 

Le Vendée Globe est un tour du monde d’Ouest en Est. Les navigateurs passent par les trois caps : Bonne Espérance, Leeuwin et Horn.

Après un départ aux Sables-d’Olonne, les concurrents contournent l’Afrique du sud, traversent l'Océan Indien, dépassent l'Australie par sa côte sud, puis remontent le long de l'Amérique du Sud (côté Atlantique) pour revenir au point de départ.

Afin d'empêcher les concurrents de se mettre en danger de mort dans les icebergs et les glaces de l'Antarctique, l'organisation a mis en place à partir de l'édition 2000 des points de passage obligatoires dans les mers du Sud. Il s'agit des fameuses "portes des glaces". 

 

Au total, le parcours fait 45 000 kilomètres (plus de 83 000 milles). Généralement, les meilleurs skippers l'accomplissent en à peu près 90 jours. Le record est à ce jour détenu par Armel Le'Cléach en 74 jours, lors de la dernière édition. Le meilleur temps en course n’a cessé d’être amélioré depuis la première édition, en 1990. Titouan Lamazou avait alors bouclé la boucle en 109 jours.

Certains, cependant, passent beaucoup plus de temps dans l'eau. Jean-François Coste a bouclé sa course en 163 jours, lors de la première édition. Patrick de Radiguès est le navigateur qui a passé le moins de temps en mer : en 2000, son bateau s’est échoué sur les côtes portugaises après seulement 4 jours de mer. 

• C'est - aussi - le bébé de Philippe de Villiers

Le Vendée Globe est aujourd'hui un monstre économique, et si cette édition sera certainement l'une des moins rentables en raison des restrictions sanitaires, la course s'est inscrite au cœur de l'économie et de l'histoire locale. 

C'est ce qu'a sans doute flairé Philippe de Villiers quand, en 1983, il a rencontré le navigateur et futur créateur de l'épreuve, Philippe Jeantot. "J'avais déjà perçu l'intérêt de la course au large et l'impact de la présence de la presse internationale. D’autant qu’en Vendée, nous avions une mauvaise image liée aux constructions Merlin. Le Vendée Globe n’était pas une course acquise". 

Réputé pour sa défense du territoire vendéen - quitte à réécrire l'histoire à sa sauce, selon certains historiens - Philippe de Villiers a dû insister pour convaincre les caciques locaux d'une course qui apparaissait complètement déraisonnée. "Il a fallu foncer. Elle aurait pu partir de Brest ou de La Rochelle, la Mecque de la voile. Mais les Sables d’Olonne incarnent un vrai stade maritime, où l’on peut masser des milliers de spectateurs dans un lieu qui reste intime où l’on peut se voir d’une rive à l’autre", a-t-il affirmé dans une interview à Ouest-France en 2018

Les effets se sont vite fait sentir d'après les élus locaux. David Guédon, maire des Sables d'Olonne lors de l'édition 2012, analysait pour l'AFP : "Les retombées sont énormes, considérables. À chaque Vendée Globe, l'économie de la ville prend entre 30 et 40 % dans l'année."

• Langue cousue, rage de dents, fémur cassé : des corps mis à rude épreuve 

Sur le Vendée Globe, les skippers n'ont pas le droit d'appeler l'assistance médicale. Et faire le tour du monde sans assistance à bord d'un bateau à voile sollicite parfois les plus profonds instincts de survie.

En 1993, pour son premier Vendée Globe, Bertrand De Broc heurte une drisse sur son embarcation, au large des Kerguelen. Il en perd sa langue, littéralement. Comme le règlement l'indique, aucune assistance médicale n'est possible. Il peut seulement consulter le médecin, à l'époque par télex, qui le guide afin qu'il se recouse la langue lui-même... Il le fait, sur une langue à vif, afin d'arrêter les saignements et pouvoir terminer la course. Cela lui vaudra, après coup, le surnom de "Rambo". 

En 2008, Yann Eliès est éjecté de son bateau alors qu'il navigue au sud de l'Australie. Dans sa chute, il se brise le fémur. Mais parvient tout de même à remonter à bord ; avant de se traîner pendant 36 heures, la jambe cassée, jusqu'à la première côte habitée.  

Sur la ligne de départ du tout premier Vendée Globe, en 1989, Guy Bernardin mange un sandwich. Scène banale. Sauf que, comme il l'affirmera après coup, une croûte de pain s'est coincée dans sa dentition. D'abord minimes, ses douleurs de dents s'intensifient tout au long de la course. Il finira par être évacué pour une rage de dents.

• Une course parfois macabre

Le Vendée Globe, comme toutes les disciplines de l'extrême, charrie son lot d'épisodes funestes. L'édition 1992-1993 est la plus mortelle.

Le premier accident eut lieu avant même le début de la course. Mike Plant, jeune skipper américain, disparaît en voulant rejoindre le départ de la course. Il quitte New York le 16 octobre. Sa balise de détresse est déclenchée le 27 du même mois. Mais celle-ci n'est pas homologuée ; aucune recherche n'est effectuée avant le 6 novembre. Le 22 novembre, jour du départ du Vendée Globe, un bateau est repéré vers les Açores, retourné, dans l'eau. Aucun corps n'est retrouvé. "Je ne pouvais croire qu'il était nulle part", confiera la mère de Mike Plant plus tard. 

Cinq jours plus tard, c'est l'embarcation de Nigel Burgess qui est retrouvée, cette fois avec le cadavre du navigateur. Le Britannique était tombé à l'eau en pleine tempête dans le Golfe de Gascogne. Il a déclenché sa balise de survie, mais en vain. Après ses deux disparitions, les critiques se sont immédiatement abattues sur l'organisation de l'événement, jugé trop dangereux. Mais Philippe Jeantot a refusé d'arrêter la course. Il a rejeté l'accusation selon laquelle les skippers n'étaient pas assez prêts pour un tel parcours sans assistance, et blâmé les conditions météo exceptionnellement mauvaises. 

Enfin, en janvier 1996, le Canadien Gerry Roufs, disparaît à son tour entre la Nouvelle-Zélande et l'Amérique du Sud. Il déclarait, dans un dernier message devenu célèbre :  "Les vagues ne sont plus des vagues, elles sont hautes comme les Alpes". 

• Un héroïsme individuel... mais aussi collectif

On résume souvent le Vendée Globe à ses héros, capables de prouesses dans leur extrême solitude. Mais l'héroïsme est en réalité loin d'être uniquement individuel sur cette course.

Lors de l'édition 1996, le bateau de Raphaël Dinelli, 28 ans, se retourne au sud de l'Australie. Aussitôt, l'organisation avertit le skipper le plus proche : le Britannique Pete Goss, 35 ans. Celui-ci n'hésite pas et dévie sa trajectoire pour aller sauver le naufragé. Mais les conditions sont si dantesques qu'il manque d'y laisser la vie. "Cela a été de la survie toute la nuit", explique-t-il dans des propos rapportés par Ouest France. "Je chavire toutes les demi-heures avec des vagues énormes par le travers. Le vent mollit un peu mais j'ai des dégâts à bord. " Dans le même temps, Raphaël Dinelli s'accroche à son bateau dans une eau glacée et, plusieurs années plus tard, sent que la vie peut lui échapper à tout moment. "Je sens la mort qui est là", se souvient-il. "Il faut continuer à se battre. Je sais que je suis au bout de mes limites, que je ne pourrai jamais tenir".

Goss finit par se hisser jusqu'à la zone où se trouve Dinelli, plus de 24h après le premier appel de détresse. Mais il fait nuit quand il arrive... et il passe à moins de 300 mètres de Dinelli sans le voir. Toute la nuit durant, Goss cherche en vain pendant que Dinelli combat l'hypothermie qui l'envahit. Il finit par le trouver le lendemain matin, 36h après son SOS. Dinelli est au bord de l'épuisement, il est incapable de tenir son mug de thé chaud, Goss lui donne à la pipette. Le médecin de la course demande à Goss de prendre Dinelli avec lui dans son sac de couchage et de le réchauffer corps à corps pendant une douzaine d'heures.

Quatre ans plus tôt, lors de l'édition de 2008, un autre navigateur est allé à la rescousse d'un concurrent, quitte à abandonner ces chances de victoire. Il s'agit de Vincent Riou. Lorsque le skipper Jean Le Cam fait naufrage vers le Cap Horn, il fonce vers le bateau retourné de celui-ci pour lui prêter main forte. Il lui envoie un cordage que parvient à attraper Le Cam, tandis que son embarcation s'enfonce peu à peu dans les profondeurs de l'océan. Riou y laissera son navire, qui démâtera un jour plus tard. Le jury a fini par lui accorder une 3e place ex-aequo au classement final, pour récompenser son altruisme. 

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