L'œil de François Gabart -"Pas vraiment d'échappatoire" pour les leaders face au front qui les attend
La semaine dernière, le Vendée Globe a perdu deux skippers, Samantha Davies et Sébastien Simon. Comment avez-vous reçu ces nouvelles ?
François Gabart : "Cette semaine ne fut pas très joyeuse. Pour Samantha et Sébastien, c'est un coup dur. Ils étaient tous les deux dans le groupe de tête, ils ne méritaient pas ça, personne ne le mérite. Je les connais bien et je suis forcément très triste pour eux de les voir arrêter le Vendée Globe. Il y a eu quelques heures où tout a été fait pour trouver une solution, où l'espoir était encore là, même si on a vu rapidement les photos des avaries sur les deux bateaux. Les équipes ont travaillé pendant quasiment une journée pour essayer de trouver une solution afin qu'ils puissent repartir en course, mais malheureusement on voyait sur la cartographie une trajectoire qui, au fil des heures, montrait qu'ils allaient vers le Nord, vers Cape Town. C'est très triste pour eux."
Samantha Davies espère pouvoir repartir hors course. Que pensez-vous de cette initiative, de sa volonté ?
FB : "Son envie est très belle. J'espère que Sam pourra résoudre les problèmes sur son bateau et qu'elle repartira dans de bonnes conditions. C'est forcément une décision qui n'est pas facile à prendre. Par ailleurs, en plus des dommages sur son bateau, elle a aussi été blessée et on ne connaît pas l'étendue de son problème aux côtes. J'espère et j'imagine qu'elle ne repartira que si elle n'a pas de douleur, et qu'elle est apte à naviguer. Je la connais bien, elle est très courageuse mais elle ne prend pas de risques inconsidérés. C'est en tout cas très courageux de sa part, d'autant plus pour le projet qu'elle représente. Evidemment, elle est là pour la compétition, mais également pour sauver des vies. En course ou hors-course, la cause qu'elle défend va pouvoir continuer."
Beaucoup de skippers ont mentionné cette semaine que les conditions actuelles étaient difficiles, que la mer était agitée. C'est quelque chose de normal ou d'exceptionnel dans cette zone des mers du Sud ?
FG : "Dans cette zone, les skippers ont eu les conditions assez classiques des mers du Sud. Néanmoins, on a parfois la chance d'arriver dans les mers du sud devant un front avec une mer relativement calme, ce qui n'a pas du tout été leur cas. Ils ont été tout de suite dans des conditions hostiles. La bascule entre Saint-Hélène, où il n'y avait pas beaucoup de vent, et les mers du Sud, avec beaucoup de mer et de vent, a été assez directe. Pour la suite de la course, les bateaux de la tête de flotte vont affronter un front conséquent, qui va créer une dépression secondaire, qui sera assez violente, et qui devrait donc toucher la tête de flotte et en particulier Charlie Dalin entre mardi et jeudi. Je ne sais pas comment les quatre-cinq premiers vont gérer cette dépression. Mais a priori, ils auront des conditions de vent très fortes."
Quels choix s'offrent-ils à eux pour affronter ce front ?
FG : "J'ai regardé cela ce matin pour Charlie. Ce n'est pas simple. Oui, il y a des évidemment des variantes de trajectoires pour éviter le gros du vent fort. Mais grosso modo, il n'y a pas vraiment d’échappatoire. Il va être difficile de ne pas trouver, à un moment donné, des vents à plus de 40-45 nœuds, et forcément la mer qui va avec."
Justement, un mot sur Charlie Dalin, qui est toujours en tête depuis maintenant près de 15 jours. Comment voyez-vous son parcours et comment voyez-vous la suite de sa course s'il parvient à passer ce front sans trop d'encombres ?
FG : "Je suis très heureux de son parcours. Même si on est jamais dans le sans-faute, il n'en est pas très loin. Il a réussi à trouver un compromis entre la vitesse et la sécurité, alors que c'est un exercice difficile. Il réalise une très très belle course. Je croise les doigts pour que, dans les jours qui viennent, cela continue pour lui. Dans le Vendée Globe, même s'il faut évidemment bien naviguer, il faut aussi avoir de la chance, de la réussite. Et il en a eu. J'espère qu'il va continuer à bien naviguer, et qu'il aura encore de la chance. Si cela se passe bien dans les prochains jours, dans ce passage de vent relativement fort, les conditions dans la fin de l'océan indien semblent plutôt favorables pour le début de la flotte."
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Ce dont on a beaucoup parlé aussi, cette semaine, ce sont des Ofni (objet flottant non identifié), qui ont notamment endommagé mercredi dernier les bateaux de Samantha Davies et de Sébastien Simon. Dans cette course, 18 bateaux sont équipés du système Oscar, qui sont des cameras thermiques anti-collision. Pouvez-vous nous expliquer comment ce système fonctionne ?
FG : "Le système Oscar est une camera qui est positionnée en tête de mat, en visible et en infrarouge, c'est-à-dire qu'elle fonctionne de jour comme de nuit, et qui va détecter des objets ou des animaux dans les premiers mètres de profondeurs. Ce système va ensuite alerter le skipper pour qu'il puisse intervenir à la barre pour éviter l'obstacle.
C'est un système très intéressant, car les ofni sont un problème récurrent et peuvent avoir des conséquences très graves pour les bateaux et parfois les animaux marins. Son développement est plutôt très satisfaisant, mais on ne peut pas dire, 'on a Oscar, donc il ne peut rien nous arriver'. Ça serait trop simple. Mais j'espère que ce sera le cas dans les années qui viennent. Il y a encore plein de difficultés, car ce n'est pas simple de détecter des objets ou des animaux sur une mer parfois très agitée, avec des grosses vagues, des déferlantes...
Oscar peut détecter ces objets à quelques centaines de mètres devant le bateau, mais si le bateau va vite, ces 100 ou 150 m peuvent être parcourus en quelques secondes. Donc entre le fait de détecter et être capable de modifier la trajectoire du bateau, il y a encore un peu de travail. J'espère que l'expérience emmagasinée sur ce Vendée Globe va permettre de continuer d'apprendre, et de développer le système pour qu'il soit quasiment imparable dans les prochaines années. C'est très important pour nous, les skippers.
Est-ce un outil qui va donc devenir indispensable ces prochaines années ?
FG : "Cet outil va devenir indispensable j'imagine, tout simplement car les bateaux vont de plus en plus vite, et l'aide à la détection devient intéressante. Malheureusement, j'aimerais pouvoir dire quelque chose de différent dans les années qui viennent, mais aujourd'hui, le nombre de déchets est plus en augmentation qu'en diminution à la surface de la mer, et on ne peut que le regretter. Et bien sûr, je n'oublie pas les animaux marins, qui ne sont pas habitués à voir des bateaux arriver à pleine vitesse sur eux. Evidemment, c'est à nous les marins et les équipes techniques de trouver des solutions pour gérer ça et ne pas les perturber."
Un dernier mot pour conclure. Dimanche, Kevin Escoffier a pu être secouru avec succès et Jean Le Cam, actuellement 6e, a pu reprendre sa course. Pensez-vous qu'il puisse encore recoller le groupe de tête ?
FG : "Les images du transfert de Kevin ont été très fortes. Pour ce qui est de Jean, il va avoir une bonification qui devrait, je l'espère, compenser la perte de temps qu'il a pu avoir dans le sauvetage de Kevin. Donc normalement ça devrait être neutre de ce point de vue. Et on le voit, il est vraiment dans le coup, il est juste dernière les leaders. Il est tout à fait en mesure de gagner le Vendée Globe ou de jouer le podium. Il n'y a aucun doute là-dessus. C'est fabuleux ce qu'il a fait et on espère évidemment qu'il va continuer à nous faire vibrer et à faire une course magnifique."
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