Louis Burton, un nouveau cap pour 2020
Louis Burton adore la vitesse, d’ailleurs le pilote de F1 Romain Grosjean est le parrain de son projet. Que ce soit sur l‘eau, sur la route mais aussi sur les pistes de ski. C’est un fou de free ride et de ski alpin, il dévale les pentes de l’Alpe d’Huez et la Meije et va vite, très vite.
Dans l’histoire du Vendée aussi, il apprend vite. Une première édition pour que le rêve se mette en place en 2012 et une deuxième, en 2016, menée de main de maître sur un bateau de l’ancienne génération à dérives droites, pour une belle septième place au final.
Il n’est certes pas passé par les cases classiques, Olympisme, Optimist ou Figaro. Le Parisien Burton, Gallois par son père originaire de Newport, dérangerait même un peu ces messieurs de la Bretagne. Devenu Malouin d’adoption, il n’en a cure et se prépare tranquillement du côté de la cité corsaire avant de partir à l’abordage.
Top 5 et moins de 75 jours comme objectif
En 2016 Armel le Cleac’h était donc le skipper de Banque Populaire VIII, Louis sera-t-il à la hauteur du pari que son partenaire et lui se sont lancé ? C’est en tout cas ce que lui souhaite, très fairplay, l’ancien propriétaire du bateau détenteur du record du Vende Globe*.
"C’est l’un des premiers bateaux à foils fiabilisé. Il a terminé en bon état, on l’avait bien préparé et il a démontré son potentiel en gagnant. On l’avait construit et imaginé avec mon équipe après le Vendée 2012, mais c’était un retour d’expérience de presque huit ans de travail," se souvient Armel. "Ce que je souhaite à Louis c’est qu’il fasse un bon Vendée avec les objectifs qu’il a envie de remplir car ça reste un bateau de référence pour lui."
A quelques mois du départ, on ne sera pas du tout surpris d’entendre Louis Burton annoncer ses ambitions pour l’édition 2020 : "Avoir un bateau éprouvé et qui connaît la route pour le Vendée, c’est un vrai avantage. Bureau Vallée 2 reste un bateau rapide, aussi j’espère être aux avants postes et je vise un Top 5 en me fixant l’objectif élevé sous la barre des 75 jours. Ça me paraît réalisable. En 2016 le bateau l’a fait donc si les conditions météo sont favorables, c’est jouable."
Lors de la dernière transat Jacques Vabre 2019, Louis avait effectué une remontada extraordinaire, après s’être égaré sur un mauvais cap et il avait pu mesurer le potentiel de sa machine : "Lorsqu’il est bien réglé, avec ses contraintes, c’est un bateau qui est vraiment très rapide et sur lequel on peut atteindre un sentiment de jouissance."
*74 jours 3 heures 35 minutes et 46 secondes le 9 Janvier 2017
Le pari est osé pour son sponsor, Bureau Vallée, fidèle depuis dix ans, qui a accompagné les premiers pas de Louis sur la Route du Rhum 2010. Aujourd’hui, skipper et sponsor montent le curseur de leurs ambitions. Bruno Peyroles, le fondateur de Bureau Vallée, est sensible aux valeurs portées par la mer, le bateau et la course au large. Avec l’équipe de Louis, il a su se positionner sur le marché alors que peu de bateaux étaient à vendre en 2016, la centrale de l’entreprise a investi de l’argent pour ne pas demander un trop gros effort aux franchisés.
« Dans ce pari on a investi sur ce projet un budget de trois millions d’euros avec un amortissement sur sept ans. » - Louis Burton
Le Banque Populaire VIII avait une très bonne préparation, une mise au point parfaite et pas mal d’innovations, voilà ce qui a permis de faire le pari de la réservation avant le départ. A l’arrivée victorieuse d’Armel le Cléac’h, toute l’équipe de Louis l’attendait pour récupérer le monocoque. Celui-ci passera ensuite dans un chantier à Lorient avant d’être convoyé vers Saint-Malo. Avec un bonus : une hotline ouverte pour six mois pour tout contact et questions concernant ce superbe Imoca, star du Vendée 2016. Clin d’œil du destin, le cousin de sa femme, Kevin Escoffier qui faisait partie de l’équipe technique de Banque Populaire, lui donnera alors quelques tuyaux.
Une préparation tranquille en famille
Le Parisien a posé ses valises en 2011 à Saint-Malo, suivant les élans de son cœur qui l’avaient fait plonger vers Servane Escoffier, dans la même piscine du stage de survie pour la Route du Rhum 2010. Avec Romain Attanasio et Samantha Davies, ils font partie des couples navigants qui ont été coéquipiers ou adversaires lors d’une course. Servane et Louis ont fait la Transat Jacques Vabre ensemble en 2017 et sont affrontés en 2010 sur la Route du Rhum, mais dans deux classes différentes. Dans ce cas, ce sont les grands-parents qui gardent les deux enfants, Lino et Edith. Ça tombe bien, Bob Escoffier est une figure de proue du nautisme de la cité Corsaire, armateur du Français, un magnifique trois mâts, chef d’entreprise et marin lui-même, il a fait plusieurs Routes du Rhum. Le regard qu’il pose sur son gendre est clair et tranché, comme le sont les mots de Bob en général : "Louis est un mec hyper attachant, avec une sensibilité énorme à fleur de peau mais surtout un bon papa. Je n’ai rien à lui apprendre, son nouveau bateau lui correspond, robuste, moins extrême, mais du coup moins fragile que les autres, sur un tour du monde il peut être très crédible."
Louis Burton sait s’entourer, sa femme Servane est sa team manager, elle dirige l’écurie BE Racing (Burton Escoffier Racing), dans laquelle travaillent Arthur Hubert, le « boat captain », avec Christophe Giraud, Clément Comagnac, Evan Panard, Vincent Donnot, et Hugo Dhallenne. Servane gère tout à terre et s’occupe de la cellule de crise directe. "Elle me permet d’être serein" confie Louis.
« Il est audacieux, travailleur, fédérateur, il a un cœur gros comme ça mais il est aussi têtu. » - Servane Escoffier, sa femme
Après la Transat Jacques Vabre avec son mari (ils finiront septièmes), elle a décidé de lever le pied dans la course au large : "Psychologiquement c’était un peu l’horreur par rapport aux enfants. Bien sûr ils ne sont pas élevés dans le trip mon papa est un héros mais ils sont très fiers de lui, on fait en sorte que chacun s’épanouisse à sa place dans la famille. Mon rôle de maman est de garder un maximum de sang-froid et de prendre un peu de recul sur tout ça", continue Servane. "Dans une aventure comme le Vendée, on sait les préserver par rapport à la cellule de crise, mais on ne serait pas capables de partir chacun de notre côté comme Romain Attanasio et Samantha Davies vont le faire."
Enfin Bob et Françoise sa femme sont toujours là : bienveillants dans un contexte familial et réactifs quand il faut organiser un bateau accompagnateur lors d’un départ. On comprend que la voile fait partie intégrante de la vie du clan mais pas forcément des discussions à table. "Si j’avais un conseil à lui donner avant le Vendée, c’est de se reposer, d’emmagasiner du sommeil propre, car c’est un gros bosseur et il dort moins que les autres", nous rappelle quand même son beau-père.
Psychologie, nutrition et mentalisme au programme
Louis travaille avec le docteur Gwenaël Roth, médecin du sport basé à Saint-Malo et navigateur amateur. Il est devenu son médecin attitré. Les deux hommes se sont beaucoup rapprochés pendant le dernier Vendée Globe. "On est devenus potes, Louis est surdoué, atypique, hyper brillant, il a du talent pour un Parisien qui fait de la voile. François-René Carluer avec qui je navigue quelque fois et qui a fait deux Routes du Rhum, me disait quand un mec a fait le Vendée et l’a fini, je m’agenouille devant lui, c’est un sacré marin", déclare-t-il. Plus sérieusement le docteur Gwenaël Roth travaille sur les phases psychologiques du Vendée Globe, en ce sens il a beaucoup échangé avec le docteur Jean-Yves Chauve, le médecin de la course. "Sur le Vendée, ils sont coupés du monde et de l’actualité, en fonction des infos que tu leur donnes ça ne doit surtout pas être anxiogène mais il faut qu’ils se rendent compte que la vie avance."
« Au bout de quelques semaines, le prisme du skipper, cette déformation de la réalité, sur son bateau mais aussi sur lui-même, est typique du Vendée » - Docteur Gwenaël Roth, médecin du sport
Le docteur Roth évoque les contacts qu’il a eus avec Louis Burton sur le dernier Vendée Globe où des choses bénignes prennent tout de suite une autre ampleur à cause de la fatigue ou de l’épuisement. "Le moindre truc qu’il te dit au téléphone, ce n’est pas forcément la réalité mais c’est sa réalité."
Les deux hommes vont beaucoup travailler sur la partie nutrition, pour éviter les déboires de 2016. "J’avais fait des mauvais choix alimentaires, en privilégiant l’aspect le plus léger possible de ma nourriture et je n’avais pas raisonné sur les calories. Gwen m’aide beaucoup la dessus", raconte le skipper Malouin. Il faut savoir que la quantité de calories par jour est double, voire triple de la normale quand on aborde les mers froides de l’hémisphère sud. Cette fois, Louis ne se passera pas de sa carbonade de bœuf bourguignon à la bière brune d’abbaye, une recette flamande fournie par son partenaire Bon Bag, le même que Jean Le Cam. Fin gourmet l’ami !
Enfin dernier atout médical, en complément du suivi de Gwenaël Roth, Claire Desmars sa préparatrice mentale, lui fait travailler la mentalisation. Et Louis apprécie : "On travaille sur la mentalisation d'images positives que tu es capable d’aller chercher facilement, notamment avec la mise en action des sens pour mentaliser une scène où l’on est bien."
Question santé physique, pas d’inquiétudes non plus du côté du docteur Roth : "Même si Armel le Cléac’h, qui est une machine, nous a laissé sa machine, Louis en est une aussi. Il a un sacré seuil de résistance à la douleur, il a ça en lui. C’est ce qui fait sa force et on ne finit pas un Vendée Globe par hasard."
Belles et fortes images en tête
Au moment d’évoquer la dernière partie des souvenirs de Globe, Louis repense aussitôt à 2012 où son rêve de gamin se concrétisait, même si la course n’a duré que cinq jours. "Ça restera à jamais gravé à vie, remonter le chenal, la foule, c’était la première fois."
Il s’est fait quelques frayeurs sur l’eau, notamment en 2016 à l’approche des quarantièmes rugissants : "Mon compas automatique s’est mis à péter les plombs, je n’arrêtais pas de faire des départs au tas (écart involontaire où le voilier risque de se coucher sous l’effet d’une forte risée) dans une mer avec 40 nœuds de vent. La dépression grossissait, j’ai cru que ça allait mal se terminer, j’ai compris qu’il fallait que je vire ce compas et que j’en prenne un électronique que j’avais à bord."
Mais Louis avouera que sa plus grande frayeur fut lorsque la direction de course le contacta pour se dérouter vers Kito de Pavant, qui avait déclenché sa balise de détresse après avoir perdu sa quille, suite à un choc avec un cachalot. "Avec l’idée en tête de ne trouver qu’un bateau sans personne à bord, tu imagines le pire dans ce moment-là. J’ai vraiment eu la trouille." Plus près du navigateur en approche des Kerguelen, le Marion Dufresne qui croisait dans le secteur ira récupérer Kito deux jours après et Louis reprendra le cap de sa route.
Avec une dernière frayeur avant le passage du Cap Horn où son bateau subit un blackout total à bord, il dut barrer pendant deux jours sans relâche avant de réparer la panne.
Remise à l’eau début juin
Comme partout en Bretagne, la crise sanitaire a généré un peu de retard au chantier malouin. Le confinement aura permis à l’équipe de peaufiner des détails sur un bateau qui est prêt : "On a travaillé sur les profils de quille, de safran et des foils, afin d’avoir la meilleure glisse possible. C’est un boulot très minutieux que le timing supplémentaire nous a permis de faire", révèle Louis. Le monocoque Bureau Vallée 2 sera remis à l’eau la première semaine de Juin avec un mois et demi de retard, en attente encore des dernières pièces qui doivent arriver d’Italie. Tout va s’enchaîner très vite.
Un report du Vendée ? Louis n’y pense même pas : "Nous sommes des professionnels de la mer et donc de l’adaptation. En course on doit faire face à des situations changeantes et toujours s’adapter. Le pays va avoir besoin de choses positives, l’aventure et le sport sont essentiels pour le moral de notre société", conclut-il.
Question moral, son beau-père Bob Escoffier qui s’y connaît, nous fait une dernière confidence : "Quand il aura terminé son Vendée, je ferai deux choses avec Louis pour lui faire plaisir. Un rallye de voitures anciennes, en DS plutôt que dans sa Mini Austin Cooper 1991, et on se dégustera une côte de bœuf avec un Lalande-de-Pomerol." A Saint-Malo, on devrait vite s’apercevoir que le Burton 2020 est peut-être aussi un très bon cru.
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