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Sébastien Destremau, skipper "à l'arrache", boucle enfin son Vendée Globe

Le Toulonnais a franchi la ligne d'arrivée de l'épreuve, vendredi, aux Sables d'Olonne. Il termine 18e et dernier, mais avec le sentiment d'une aventure accomplie.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Sébastien Destremau embrasse le pont de son bateau après avoir franchi la ligne d'arrivée du Vendée Globe, le 11 mars 2017. (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

"Je suis le premier Toulonnais, le premier Varois et le premier 18e de l’histoire du Vendée Globe." Large sourire à la barre et visage creusé. Le Toulonnais Sébastien Destremau croque l'instant et quelques parts de pizza, lui qui a dû se rationner pendant plusieurs jours, après avoir épuisé ses stocks de nourriture.

Dans cette nuit du vendredi 10 au samedi 11 mars, le navigateur français de 52 ans ferme le ban du Vendée Globe. Dix-huitième et bon dernier en 124 jours, 12 heures, 38 minutes et 18 secondes. Mais qu'importe. Un parfum de victoire flotte encore, cinquante jours après le triomphe d'Armel Le Cléac'h. "On parle du premier, du deuxième... et du dernier", sourit Patrick Fratacci, vice-président de la société nautique de Toulon.

Sébastien Destremau a franchi la ligne d'arrivée du Vendée Globe, dans la nuit du vendredi au samedi 11 mars 2017.  (F. MAGNENOU / FRANCEINFO)

"Terminer ce Vendée Globe était quasi-inespéré." Le bateau arrive avec l'une des neuf voiles déchirée, le J2, précieuse quand le vent manque. Aux Sables d'Olonne, son équipe l'attend de pied ferme. Une vingtaine de bénévoles compose le "team" Technofirst-forceOcean, emmené par Jean-Guillem, frère du skipper. "Les obscurs", les nomme leur mère Thérèse, 83 ans, "sidérée par leur extraordinaire dévouement". Bien sûr, il y a eu quelques défections – "Sébastien a son caractère".

Sébastien Destremau franchit la ligne d'arrivée du Vendée Globe.  (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

"Préparer le bateau à Toulon, c'est une fierté"

Sébastien achète le navire en juillet 2015, en Afrique du Sud, puis l'achemine dans son fief de Toulon, pour le préparer. "Si on avait voulu faire les choses plus simplement, on serait allé en Bretagne, sourit son frère. Mais je suis toulonnais, je voulais le faire comme ça. C'est une fierté." Mis à l'eau en 1998, l'Imoca compte déjà quatre tours du monde au compteur.

L'équipe connaît un premier pépin, avec un démâtage en novembre. "Une épreuve énorme, car on n'avait pas les moyens des ambitions de Sébastien", se souvient Jean-Guillem, directeur technique. Un "magicien du carbone" parvient à retaper le mât. Le skipper quitte Toulon à temps pour les Canaries, et remporte la régate qualificative du Vendée Globe. "Tout s'est fait à l'arrache."

L'équipe décroche un sponsor, passe ses commandes de matériel durant l'été. Mais le 31 août, patatras. Lors de la séquence de jauge, pour contrôler la viabilité du bateau, le mât casse à nouveau. L'information est relayée par la classe Imoca, la solidarité se met en branle. Huit propositions parviennent au team, plus ou moins pertinentes. Qui a joué le bienfaiteur ? L'équipe garde le mystère. Le mât arrive fin septembre. Encore faut-il l'adapter aux voiles déjà commandées. "Tout l'inverse du processus habituel."

L'apprentissage de la "démerde"

Le convoyage vers Les Sables d'Olonne prend un temps fou, car le bateau a encore ses vieilles voiles. Les bateaux doivent être présents trois semaines avant le départ, mais Sébastien Destremau bénéficie d'une dérogation. L'Imoca arrive dix heures avant la deadline, fin octobre. A l'arrache, encore. Les équipes finissent le bateau à 3 heures du matin, le jour du départ. Sébastien Destremau n'a jamais testé les voiles.

Le skipper Sébastien Destremau sur le pont des Sables d'Olonne (Vendée), le 3 novembre 2016. (JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP)

Le raisonnement du skipper est simple, mais il s'en contente. Après tout, rappelle-t-il, "ce qui est absent à bord ne casse pas". Mais le petit tour du monde en bateau prend vite des airs de galère. Deux jours après le départ, deux pales d'hélice de l'hydroptère rompent, elles qui jouent un rôle dans la génératrice électrique.

Puis le démarreur fait des siennes au niveau de Rio de Janeiro, avant de rompre un peu plus tard. C'est fâcheux : le moteur fournit l'électricité et remplit les ballasts, indispensables à la stabilité du bateau. Sébastien Destremau utilise une ficelle pour démarrer le tout, façon tondeuse à gazon. Sur ce coup, l'équipe bénéficie également des conseils techniques de Michel Desjoyeaux, double vainqueur de l'épreuve et conseiller de luxe. "J'ai découvert la capacité humaine à rebondir, résume le skipper. Si je pète mes courroies d'alternateur, je me démerde pour fabriquer du courant."

Sébastien Destremau travaille sur son bateau, le 5 janvier 2017, dans la baie de l'Espérance, en Tasmanie. (JEREMY FIRTH / DPPI MEDIA / AFP)

Une météo à se fêler les côtes

"Je n'ai jamais eu la trouille de mourir", assure-t-il. Mais, au milieu de l'océan Indien, il subit pourtant deux chavirages, le mât dans l'eau. Le deuxième coup, il se fêle les côtes en tombant de sa couchette, le 21 décembre. "Je me demandais comment j'allais emmener mon bateau jusqu'en Australie, raconte le skipper. Au départ, je rampais sur le pont pour manœuvrer, puis j'y allais à genoux, puis debout." Il trouve un endroit paisible en Tasmanie – la bien-nommée baie de l'Espérance – et mouille quatre jours, pour contrôler l'état du bateau et se reposer.

Armel Le Cléac'h est déjà rentré depuis dix jours quand Sébastien Destremau franchit le cap Horn, le 29 janvier. "C'est le premier de la famille à le faire", sourit son frère. Puis il entame la longue, très longue remontée de l'Atlantique sud, avec des vents de face qui lui font vivre un calvaire. "Je n'ai jamais eu envie d'abandonner, expliquait le navigateur à franceinfo. Et puis l'avantage, en bateau, c'est que vous n'avez pas le choix. Vous ne pouvez pas arrêter la bagnole sur le bord de la route." Il passe enfin l'équateur, le 19 février.

Les contacts avec l'extérieur sont rares. "Quand il m'appelait, j'écourtais et je lui demandais : 'O.K., t'as quoi comme pépin ?'" explique Jean-Guillem Destremau. Sébastien n'a emporté aucun livre à bord, ni même de musique, de champagne ou de cigarettes. Il prend peu de nouvelles du monde, passe le temps à regarder la mer et les albatros. "Je voulais me débarrasser de mes habits de terrien", résume-t-il joliment.

Un fin communicant qui reçoit dans "son bureau"

Ancien élève d'une école de journalisme en Australie, il sait capter les médias et l'attention, avec autodérision. Le 1er janvier, il s'adresse au leader du classement avec un panneau : "Armel, ne m'attends pas pour dîner". Océan Indien, équateur… A chaque fois, le dernier du "Vendée" agite une grande clé bricolée pour refermer la porte derrière lui : "Après moi, il n'y a plus personne." Une bonne dose d'humour, toujours, dans la pétole comme dans la tempête.

Il lance "bienvenue au bureau" quand il tourne une vidéo. Préparation des hameçons – même s'il ne sait pas pêcher, selon sa mère – ou gros coup de blues, tout y passe. Et "Choupinet", son surnom, fait même un tabac avec une chanson écrite par FX Farenne, un ami de son frère. "Il n'allait pas fort avant le cap Horn, quand Armel Le Cléac'h, lui, terminait", explique l'artiste. Les paroles sont validées par le skipper et actualisées tout au long de sa remontée de l'Atlantique. "Je me suis arrêté quand j'ai échoué à trouver une rime avec courroie d'alternateur", plaisante FX Farenne. En février, le skipper fait lui-même le montage du clip, à bord du bateau.

Le budget de Sébastien Destremau est de 350 000 euros, quand un skipper comme Alex Thomson mobilise entre 10 et 15 millions. Dans ces conditions, difficile de rivaliser avec les sprinters de la mer. Le 22 janvier, le concurrent Jean Le Cam, 7e de l'épeuve, juge "ridicules" les disparités de niveau entre petits et gros concurrents. Ce qui fait bondir Destremau. "C'est de la méchanceté. Ce sont sans doute des paroles déplacées, qui ne sont pas dignes du champion qu'il a été et qu'il n'est plus."

Le Toulonnais a relevé son défi contre vents et marées, et revendique sa part de rêve. "S'il y a tant d'engouement autour du dernier en course, c'est bien pour fêter la fin du Vendée Globe, une épreuve sportive mais aussi une aventure." Le régatier a pris goût à la course au large. “J’ai perdu de la masse musculaire dans les jambes, j’en ai gagné dans les bras et j’aurais besoin d’une révision comme le bateau. Mais si le Vendée Globe repartait dimanche, je repartirais.”

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