Solitude, incidents, anticipation... Cinq questions à un préparateur mental du Vendée Globe 2024
Le 10 novembre, Yannick Bestaven se tiendra sur la ligne de départ du Vendée Globe 2024 aux Sables-d'Olonnes. Là où il remportait, il y a quatre ans, l'édition précédente. Depuis, il se prépare sans relâche pour reproduire cette performance. La préparation mentale est un enjeu clé et, depuis des années, Eric Blondeau l'entraîne à "la prise de décision à fort enjeu". franceinfo l'a rencontré.
franceinfo : Comment Yannick Bestaven se prépare mentalement à cette nouvelle édition du Vendée Globe après une victoire il y a quatre ans ?
Eric Blondeau : La victoire de 2020, on s'en fout totalement ! On fait abstraction. Il n'y a aucun crédit, vous n'avez pas deux points d'avance ni de pression supplémentaire. Les compteurs sont mis à zéro et tout le monde repart. En plus, c'est de nouveaux bateaux, de nouveaux personnages, une nouvelle météo... Ca n'a aucun pouvoir dans notre travail. Ce qui est intéressant, c'est l'enchaînement du process jour après jour, manœuvre après manœuvre, décision après les décisions, blessure après blessure, casse après casse. C'est à ça qu'on se prépare.
Le Vendée Globe est une course extrêmement violente, très complexe. Entre le bateau, lui, les trajectoires, la mer, l'océan, les concurrents et toutes les autres inconnues, il y a des décisions à chaque recoin. Les enjeux sont multiples et ils ne s'ajoutent pas, ils se multiplient entre eux. Nous avons beaucoup travaillé sur cette complexité, sur les expériences qu'il a cumulées. En 2020, il a vécu effectivement plein d'aléas, il s'en est nourri. On a tout décomposé, on a débriefé 72 pages de notes là-dessus. Il est prêt sur la base de ce qui s'est passé avant, mais il ne peut pas anticiper sur ce qu'il va se passer.
"L'idée c'est de se préparer à la surprise."
Eric Blondeau, préparateur mentalà franceinfo
Le Vendée Globe, c'est une succession de surprises et donc il va aller puiser dans ses automatismes, dans sa capacité d'improvisation. Et pour cela, on a fait énormément de simulations, on a fait des scénarios, on a combiné les scénarios les uns avec les autres et on utilise l'approche de 2020, enrichie des expériences et des retours d'expériences de tous les autres marins pendant ces courses-là, on s'est servi de tout ça.
Comment un skipper se prépare à la solitude de cette course ?
L'humain est un animal social. La seule personne qui ne verra jamais Yannick Bestaven pendant sa course, c'est Yannick Bestaven. Tout le monde va le regarder avec des vidéos, tout le monde va l'écouter, mais, lui, il ne se verra pas. Sans cette résonance, il y a un sentiment d'isolement et c'est ça le problème. La solitude, c'est un choix conscient. L'isolement, c'est un choix subit. Donc l'idée, c'est de maîtriser ce sentiment de solitude comme un choix conscient qui fait partie d'un projet beaucoup plus vaste que cette course-là. Mon travail, c'est de le caler sur l'après Vendée Globe, pour que cette course soit un moyen et non pas un objectif.
"Il n'y a pas de technique de préparation universelle, c'est un travail individuel."
Eric Blondeau, préparateur mentalà franceinfo
Votre gestion de l'isolement n'est pas la même que celle de votre père, votre mère, vos cousins, ni votre chien. Ça renvoie l'individu à sa propre personne qui est coupée du reste du monde. Et c'est cette coupure-là qui est intéressante à travailler. Je me base sur la capacité de Yannick Bestaven à rebondir sur ce qui est important pour lui. On a fait un diagnostic, une étude systémique, de tout ce qui est important pour Yannick. Et quand il arrive à se projeter dans une vision du futur qui est positive, il se sent moins isolé parce que le cerveau ne fait pas la différence entre l'imaginaire et le réel. Donc sauf chaos global ou en survie totale, dans toutes les situations on arrive à le reconnecter sur une situation et à le remettre en marche. C'est ce que j'avais fait avec lui dans le précédent Vendée Globe.
La préparation mentale se termine à quel moment ?
Elle se termine sur la ligne de départ, dix minutes avant et elle a commencé dès la fin du précédent Vendée Globe. On a fait un débrief très complet, étape par étape, vague par vague, nuage par nuage et moment fort par moment fort. J'ai pris tout ça, j'ai pris des notes, j'ai reconstruit une mécanique autour de ça.
"Je ne l'ai pas lâché depuis le dernier Vendée Globe et je lâcherai dix minutes avant le prochain départ."
Eric Blondeau, préparateur mentalà franceinfo
Pendant la course, je vais le regarder, je sais exactement ce sur quoi on a travaillé et je sais à quoi il est préparé. C'est une course d'endurance et de vitesse. Il y a très peu de courses sur la planète qui durent autant de temps, entre 80 et 90 jours. Donc moi, je suis très serein. Je vais le suivre comme si vous voyez votre enfant partir à l'école. Je ne vais pas le suivre dans la classe. Yannick Bestaven est un personnage très riche et très complexe. C'est un grand marin, c'est un animal social, c'est un chef d'entreprise, c'est un investisseur, c'est un ingénieur, c'est un visionnaire, c'est un grand sportif. Pendant ces quatre ans depuis la victoire du Vendée Globe, je l'ai suivi dans toutes ses personnages. Par contre, à partir de 48 heures avant le départ, il n'y aura que le marin à bord. Mon travail c'est de laisser tous les autres personnages à terre.
Est-ce qu'il faut être spécialiste de voile pour coacher un skipper ?
Non, ce qui est intéressant c'est de se brancher sur lui. Moi je m'intéresse à ses prises de décision. Je serai d'ailleurs dangereux et incompétent de travailler avec lui avec une induction qui soit vers la performance ou la météo. Moi, je n'ai fait que du dériveur dans ma vie et de la voile de touriste. Je n'ai même jamais navigué sur le nouveau bateau.
Quels sont les trois conseils que vous donnez à un skipper et qui s'appliquent à tous dans la vie de tous les jours ?
L'humilité, l'adaptabilité et l'intelligence.
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