Vendée Globe 2024 : "Je ne serai pas en mesure de partir pour la compétition seule"... Fabrice Amedeo s'engage dans un tour du monde au service de la science
En apparence, l’Imoca de Fabrice Amedeo ressemble à celui de ses concurrents, amarrés au port des Sables d'Olonne, en amont du départ du Vendée Globe. Mais à y regarder de plus près, son bateau comporte bien quelques particularités. Pour s'en rendre compte, il suffit d'observer sa cellule de vie. Dans cet espace étroit, "au cœur de sa navigation et de son quotidien", le skipper a installé trois caissons, équipés de trois capteurs océanographiques afin de mesurer la pollution microplastique pour l'un, la biodiversité marine pour l'autre, ainsi que le CO2, la salinité et la température des océans pour le dernier (appelé l'Ocean Pack).
"Donner du sens à mon métier"
Sa panoplie comprend également seize balises à jeter à l'eau, pour mesurer les courants marins et les vagues dans les mers du sud, et donc mieux connaître la dérive des macrodéchets et des microplastiques dans l’océan austral. Neuf seront larguées dans l'Océan Indien, cinq dans le Pacifique Sud et deux en Atlantique après le passage du cap Horn. Un projet conséquent, mais surtout une "grande fierté" pour ce skipper qui a commencé en 2019 le recueillement de données scientifiques.
Si son métier de marin le comble depuis le premier jour, "cela ne suffisait pas". "Partir au large, me dépasser et récolter ces données pour la communauté scientifique donne vraiment du sens à mon métier. Je ne serai pas en mesure de partir pour la compétition seule", reconnaît l'ancien journaliste, Fabrice Amedeo, qui appelle le "maximum de marins" à s'engager bénévolement pour la recherche scientifique.
"Je prends le départ de mon Vendée Globe avec l'ambition plus que jamais de boucler la boucle, mais aussi pour les scientifiques qui comptent sur moi pour ramener des données précieuses sur l'état de nos océans."
Fabrice Amedeo, skipper de l'Imoca Nexans-Wewiseà franceinfo: sport
L'engagement de Fabrice Amedeo est bénévole. Le règlement du Vendée Globe n'impose rien aux skippers. Néanmoins, la dynamique est bien lancée auprès des marins. Si en 2020, 12 des skippers au départ avaient déployé des instruments scientifiques lors de la course, quatre ans plus tard, la logique s'est inversée. Seulement 15 sur les 40 engagés n'embarquent aucun matériel à bord.
Le dispositif océanographique embarqué par Fabrice Amedeo est inédit, et reste le plus conséquent de la flotte. Pour deux des trois capteurs, des changements de filtres sont à réaliser chaque jour. "En tout, je dirai que cela doit me prendre une petite trentaine de minutes par 24 heures. Cela représente quand même un temps non négligeable", souligne le skipper, qui aura aussi une consommation d'énergie en hausse de 15 % environ due au fonctionnement des capteurs.
Un rituel quotidien
Par exemple, le capteur d'ADN environnemental est composé de trois filtres, qui ressemblent à trois entonnoirs blancs inversés, à changer toutes les 24 heures. Ces capteurs mesurent et cartographient la biodiversité marine à partir de ce qui est relâché par les organismes par le biais d’excrétions (mucus, larves) et de sécrétions (fèces ou urine). Ensuite, les prélèvements seront stockés dans des gros sacs orange, pour l'heure entreposés à l'arrière de l'Imoca.
"Cette approche est révolutionnaire car elle permet de recenser la présence ou l’absence d’espèces rares ou en voie de disparition, mais aussi de détecter les espèces invasives et autre pathogène. Cela permet de mesurer la santé de nos océans en temps quasi réel et donc d’en appréhender la dynamique due au changement climatique", explique Xavier Pochon, chercheur spécialisé dans la surveillance moléculaire et professeur associé en biologie marine à l’université d’Auckland qui travaille sur le projet.
En parallèle, Fabrice Amedeo embarque avec lui, comme lors de son Vendée Globe 2020, un capteur à microplastiques, qui fonctionne avec trois filtres de largeur différente - 300, 100 et 30 microns (30 microns étant l'équivalent d'un cheveu coupé en trois) - à changer là encore toutes les 24 heures. Une fois ces filtres retirés, il doit ensuite les mettre à l’abri dans des boîtes en aluminium, chacunes d’elles étant numérotées au feutre indélébile. Celles-ci seront ensuite rangées dans un gros sac de rangement, compartimenté, en plastique bleu fermé à l'aide d'une épaisse fermeture éclair. La numérotation permettra de faire le lien entre les boîtes et les métadonnées enregistrées en parallèle comme la distance parcourue ou les volumes filtrés.
Une méthode inédite pour la science
La manipulation de ces filtres, en pleine mer, dans des conditions loin d'un laboratoire, n'est pas chose facile. Le skipper a ainsi fait un premier rodage, quelques mois avant le Vendée Globe 2020, sur le Vendée Arctique, pour prendre ses marques. "Je n'avais pas bien manipulé les filtres. Ils ont été très pollués. Quand on est en navigation, en ciré tout mouillé, qu'on rentre dans sa cabine et qu'on est fatigué, on fait moins attention. La moindre dégradation qui peut venir de mes vêtements ou quelque chose comme ça, vient tout perturber", se souvient-il.
Mais le jeu en vaut la chandelle. "Cette méthode de prélèvement est assez inédite, appuie Enora Prado, chercheuse en chimie analytique à l'Ifremer, en charge de l'étude. Dans les campagnes scientifiques, on fait très rarement des prélèvements en continu sur un tronçon aussi large, mais plutôt des arrêts précis pour prélever. Il s'agit d'une belle opportunité pour nous de faire des prélèvements plus grands, pour faire une cartographie à la surface des océans à l'instant T de cette pollution."
Sillonner les routes de campagne
Pour les scientifiques, l'intérêt de cette collaboration est de recueillir des données dans des zones peu visitées jusqu'à aujourd'hui, hors des "grandes autoroutes déjà cartographiées". "Les voiliers de course passent par les chemins de campagne et récoltent des données que l'on n’aurait pas eues sans eux", souligne Enora Prado. La chercheuse rappelle aussi que les missions scientifiques en Antarctique amènent souvent les navires à descendre dans le grand sud puis à remonter en Europe, sans réaliser, à la différence des skippers du Vendée Globe, le tour de l'Antarctique par les trois caps (Bonne Espérance, Leeuwin et Horn).
Les résultats de l'édition 2020, dévoilés un mois avant le départ, ont déjà permis plusieurs conclusions. "Une première chose nous a surpris : la concentration de microplastiques est relativement homogène. Nous n'avons pas trouvé de zone de fortes accumulations, comme on peut retrouver dans les macroplastiques avec ce que l'on appelle le 7e continent", commence Enora Prado. Autre résultat surprenant : il y a autant de fibres cellulosiques (pouvant être d'origine végétale) que de microplastique dans l'Atlantique. "Ces fibres naturelles [utilisées pour les vêtements par exemple] sont censées être biodégradables, d'où notre surprise à en observer autant. On suppose donc que celles-ci soient d'origine humaine, qu'elles aient été modifiées pour les rendre résistantes au lavage par exemple."
Afin de poursuivre le travail, Fabrice Amedeo espère, sur cette nouvelle édition du Vendée Globe, récolter davantage de données qu'il y a quatre ans, lui qui avait été contraint à l'abandon au niveau du Cape Town (Afrique du Sud) après une avarie informatique sur son bateau. "L'objectif est d'avoir de nouvelles données sur l'Atlantique pour confirmer les résultats mais aussi d'en obtenir des nouvelles lors de son passage dans l'Océan Indien, le Pacifique et l'Antarticque, et de les comparer", annonce Enora Prado. Et ainsi poursuivre son engagement au service de la science.
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