Vendée Globe : Alan Roura, le benjamin globe-trotter est à l'heure suisse
Un Suisse sur le Vendée c’est plutôt original, pourquoi venir des montagnes affronter les océans ?
Alan Roura : "Je ne suis pas le premier marin suisse, on est plutôt proche de l’océan avec notre petit lac de Genève sur lequel ça navigue tous les jours, on a une attirance et un esprit maritime récurrent en suisse. Avant moi, Dominique Wavre et Bernard Stamm ont pris le départ des Sables. J’ai engrangé beaucoup d’expérience avec Bernard. On ne s’est pas beaucoup vu, mais il m’a vraiment conseillé, ça m’a permis de relativiser sur pas mal de choses, comme être dur sur l’océan et il a raison. En plus j’ai terminé mon premier Vendée (12e) sur le bateau qu’il avait construit en 2000, forcément ça crée des liens. Il y a beaucoup de marins suisses qui voyagent car on aime ça. Certains ont de l’argent c’est vrai, moi pas vraiment. Mais je pense qu’on a souvent envie de partir de chez nous. J’ai passé plus de temps à voyager autour du monde qu’à rester en Suisse, ça m’a donné le goût du large. Sur un petit bateau de 13 mètres c’est l’école de la vie, c’est ce qui me permet d’être là."
Racontez-nous votre périple, cela ressemble un peu à ce qu’a fait Laurent Bourgnon avant sa carrière quand il a fait le tour du monde avec ses parents ?
AR : "J’avais huit ans, quand on a commencé l’aventure avec mes parents sur un long-vent, un bateau suisse des années 7O. Un vieux bateau de 40 pieds qui marchait bien, costaud et super agréable à vivre. On est parti de la Méditerranée, puis les Canaries, le Cap Vert, les Antilles, le Venezuela. On est revenu et on est reparti une deuxième fois jusqu’aux Antilles, sur le même parcours, et on s’est posé 6 ans en Martinique. On a travaillé là-bas avec Papa dans un chantier naval. C’est là que je me suis mis vraiment à naviguer, à 15 ans j’avais mon premier bateau et je naviguais tout seul sur l’arc antillais sur un vieux proto 6.50 des années 80.
Quand j’avais 17 ans on est reparti vers le Pacifique, via Panama, la Colombie les Galápagos, et direction Tahiti, la nouvelle Zélande (on est resté neuf mois), Tonga et enfin la Nouvelle Calédonie où on a vendu, Ludmilla, le bateau. C’était dur mais il fallait tourner la page. J’ai gardé tous mes amis d’enfance en Martinique, on se connecte encore avec les réseaux sociaux. Et puis j’aurai même du rhum à bord, mais juste un petit bouchon pour le passage des caps sinon ça peut faire très mal à la tête."
Vous êtes devenu un accro de la compétition, aventurier oui mais un sacré marin aussi...
AR : "J’ai toujours eu ça en moi. La Mini, j’en rêvais depuis longtemps, quand on a vendu le bateau familial au retour de Nouméa, je suis allé à Douarnenez car j’avais repéré un bateau. C’était un vieux 6.50, presque une épave, il n’était pas cher. Je l’ai acheté en 2012, et j’ai fait ma Mini en 2013 sur mon Navman. J’ai rencontré Aurélia à Douarnenez à cette occasion. Puis deux ans de class 40, avec la transat Jacques-Vabre en 2015, je passe en Imoca avec le Vendée en 2016, la route du Rhum en 2018 j’ai tout enchaîné. Avec au passage le record de la traversée de l’atlantique nord en solitaire sur un monocoque en 7 jours 16 h 48 minutes et 25 secondes. Je suis un Suisse qui est à l’heure. Quoi de plus logique, j’assume !
Gamin, j’ai lu Jules Verne sur le bateau, et ça me donne des idées. J’aimerais bien rentrer dans le club très fermé de ceux qui tournent autour de la terre en moins de 80 jours et je m’en sens capable, même si ça fait 25 jours de moins qu’il y a quatre ans. C’est énorme, mais j’ai toute les motivations du monde pour le faire, elles se trouvent à Lorient.
Quel est justement la signification de ce collier fétiche autour du cou, encore un secret de jeunesse ?
AR : "Oui il a une perle des Tuamotu, je vais le garder car il me porte bonheur. Je le porte autour du cou depuis mes 4 ans, je ne l’ai jamais enlevé sauf pour le Vendée Globe 2016, pour promettre à Aurélia que je revenais le chercher et la retrouver. Pour cette édition, je vais lui laisser mon alliance pour les mêmes raisons car on s’est marié l’année dernière. Et puis Billie est née cet été. Je reviens pour elle aussi."
D’ailleurs vous avez renoncé à la Vendée Arctique pour assister à la naissance de votre fille. C’est fort et rare comme symbole ?
AR : "Ne pas faire la Vendée Arctique était un choix très difficile, car on n’a pas eu l’occasion de se confronter beaucoup avec nos bateaux. Mais je ne me voyais pas rater l’accouchement. Des courses il y en aura d’autres bien sûr, des enfants je ne sais pas encore s’il y en aura d’autres."
Vous êtes peut-être le benjamin, mais aussi l'un de ceux qui a le plus de milles nautiques au compteur. C'est un parcours extraordinaire de self made man...
AR : "Je ne suis jamais allé à l’école, car mes parents avaient imaginé le voyage autour du monde depuis longtemps, et ils m’ont tout enseigné sur le bateau, ainsi qu’à mon frère et ma sœur. Je vis sur un bateau depuis l’âge de deux ans, il était au Port Noir tout près du jet d’eau de Genève. J’ai toujours habité sur l’eau. Peut-être que je suis enfant du monde oui car j’ai passé plus de temps à l’étranger que chez moi. Mes potes d’enfance sont aux Antilles, c’est là-bas que j’ai grandi aux Trois Ilets à la pointe du bout, je suis un gamin des îles aussi.
Je suis fier de mon parcours. Bouger j’ai toujours connu ça, c’est la vie, je suis débrouillard car c’est naturel, j’ai appris depuis tout petit. Côté voile je ne suis pas passé par un centre de haut niveau. A la limite je m’en fous, ça marche aussi, on n’est pas tous obligés d’être sur le même moule.
Pour le Vendée, plein de marins viennent d’horizons différents et c’est bien après tout. Je suis très heureux d’être ici mais pas pour des raisons d’âge, j’ai fait mon bout de chemin mais on n’arrête pas de me dire que je suis le plus jeune depuis des années, maintenant ça ne me met pas de pression particulière sur les épaules. Elle est belle la vie non ?"
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