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Vendée Globe - Clément Giraud : "Je suis presque content d'être encore en mer !"

Les arrivées de marins moins connus du grand public se poursuivent aux Sables d’Olonne. Clément Giraud, originaire des Antilles et basé désormais dans le Var, fait partie de ceux-là. Il devrait arriver mardi 16 février aux Sables d’Olonne. En 21e position, ne prenant aucun risque si proche du but afin de ramener le bateau à bon port, il nous livre ses états d’âme.
Article rédigé par Eric Cintas
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Clément Giraud espère atteindre son but des 100 jours en mer sur le Vendée Globe (Clément Giraud / Compagnie du Lit - Jiliti)

"Rien ne sert de courir, il faut partir à point". Cette formule d’une célèbre fable de La Fontaine pourrait aller comme un gant pour raconter l’aventure de Clément Giraud. On pourrait rajouter aussi "peu importe le flacon de la place, pourvu qu’on ait l’ivresse de l’arrivée". Actuellement en 21e position au large du Portugal dans une lutte à trois avec Manuel Cousin (Groupe Setin) et Miranda Merron (Campagne de France), le skipper de l’Imoca la Compagnie du Lit/Jiliti, avance et remonte l’Atlantique. Il a effectué 96 % du parcours il ne lui reste plus que 800 milles nautiques à parcourir, soit environ 1500 kilomètres. Nous l’avons joint par téléphone, alors qu’il nous avait envoyé une vidéo en créole. Son cœur reste antillais mais sa raison l’emporte car la fin de course est la dernière marche à bien négocier avant de pouvoir profiter des retrouvailles avec les siens.

Quel est votre choix stratégique pour cette fin de course ?
Clément Giraud
 : "Je vais sécuriser et rester en bordure de la dépression, je ne vais pas me mettre dedans, quitte à perdre une place. Le Golfe de Gascogne se trouve à moins de deux jours, ça va se terminer au près (vent de face) dans beaucoup d’air, mais c’est surtout l’état de la mer qui est important. Au niveau des Açores, c’est un de pires endroits du monde, avec parfois des creux de huit mètres.  Si je fais comme Yannick Bestaven plein nord, les fichiers annoncent des vagues de dix mètres de haut et je n’ai pas envie de m’y mettre. Je dois ramener le bateau à Eric (Nigon), il me fait confiance et c’est le plus important. Je vais devoir faire beaucoup de manœuvres à bord mais ce n’est pas grave. Ça fait trois jours que je pèse le pour et le contre, mais je ne vais pas tout risquer pour gagner un jour de plus."

« En évitant la dépression, j’ai jusqu’à mardi 15 h pour réussir mon pari des 100 jours. Je vais me battre. Ça va être compliqué comme route, c’est moins linéaire mais c’est le prix à payer pour la tranquillité d’esprit. »

Dans quel état physique êtes-vous ? 
CG
 : "Je commence à fatiguer. Je dors énormément, c’est un signe je pense, il va falloir que j’arrive. Je manœuvre : toutes les 40 minutes je vais régler mon bateau. Je reste longtemps à la bannette, avec le temps qu’on a et peu de changements de voile ça a permis ça. Mais il n’y a pas de stratégie fondamentale à observer. Je fais le plein d’énergie pour affronter la dernière semaine en dormant sept heures fractionnés par jour. Au final ça revient au même. Ce sont des sommeils dans lesquels je reprends le cours de mes rêves, il n’y a qu’en mer que ça me fait ça, c’est comme si je regardais un film qui dure 8 heures. Je me crois en équipage, avec plein de gens autour de moi et j’en ai fait une vidéo d’ailleurs. Franchement je suis nickel, rien de cassé, rien qui empêche de vivre. J’ai de l’eau, j’ai réparé mon moteur il y a deux jours à la suite d'un problème électrique. J’ai la gomme après 97 jours de mer et je suis content d’être là, si ce n’est ma position de 21e, mais bon ça c’est la vie on en a déjà parlé. Il faudrait un nouveau départ pour changer cette place."

Vous repartiriez tout de suite ?
CG
 : "Il faut voir comment la vie en décidera mais moi oui c’est sûr, j’ai appris énormément de choses qu’il va falloir mettre à profit. Le Vendée Globe c’est beaucoup de temps, d’argent, d’énergie, de sacrifices familiaux, j’ai fait mon égoïste pendant trois ans et je ne sais pas si je dois continuer à être égoïste. Je suis à plus de 96 pour cent de finir mon rêve. Il a été puissant et fort, c’est top je suis hyper content, je suis aux anges, et je suis presque content d’être encore en mer. Même si vingt marins sont arrivés, je me bats contre les autres, contre Miranda et Manu.

N’avez-vous pas envie de rentrer à terre ?
Clément Giraud
 : "Oh que si, ma famille me manque mais je ne me fais aucun film pour l’arrivée, je m’interdis totalement de savoir comment cela va se passer. Je sais que mon équipe autour de Julie (Rocher) est en train de me préparer une super arrivée et je leur fais confiance comme pour tout, je m’appuie sur eux."

« Je veux profiter de tout et faire la fête et ce n’est pas que pour moi, c’est pour tous ceux qui m’attendent, ma femme et mes deux enfants, mes préparateurs, ma famille, mes amis. Des retrouvailles, ça se fête ! »

Question classique pour tout futur arrivant, avez-vous envie de manger quelque chose de précis ?
CG 
: "Je vais faire mon difficile, une grosse entrecôte avec un peu de foie gras frais dessus, une grosse salade en entrée et en dessert une salade de fruit. Et puis sans doute boire quelques bières fraiches. Là je me suis fait des pâtes car j’ai un aussi un fournisseur de parmesan italien (Ambrosi), donc pâtes, parmesan avec du maquereau à la sauce créoline Dame Besson. Le poisson c’est plein d’oméga 3 c’est top."

Est-ce que quelque chose a changé en vous ?
CG 
: "Je ne sais pas trop... Aujourd’hui, peut-être que j’ai plus confiance en moi, et j’en avais besoin. Je suis devenu un marin, je ne suis plus juste un régatier et ce milieu me plait, il m’a conquis et adopté. J’avais déjà beaucoup navigué, mais là je deviens un marin qui aime la mer et le bateau."

Etes-vous resté dans votre bulle de marin pendant ces trois mois ?
CG 
: "Non pas du tout, le monde a continué à tourner alors que j’ai tourné autour du monde. Et même si je suis cloîtré dans peu d’espace, j’ai beaucoup suivi l’actualité, je n’ai jamais coupé, j’ai des idées et des réflexions au niveau société et politique. J’y ai réfléchi en mer. On a été chanceux d’être épargnés nous les marins. Surtout ce qui me fait mal c’est ce tournant climatique qu’on ne prend pas, pour protéger les océans, nos enfants, nos forêts. Les virus c’est un révélateur de tout ça. On refuse de voir certaines choses naturelles. Faut qu’on voie les choses dans leur globalité, avec un enjeu économique. L’écologie prend un tournant. Ça demande des sacrifices. Ceux qui galèrent ce n’est pas leur priorité le changement climatique, c’est plutôt d’avoir de quoi manger et que leurs enfant partent le ventre plein à l’école. Les vrais changements permettraient de nourrir tout le monde, mais je suis peut-être utopiste. On muselle nos enfant depuis un an, les adultes aussi, sous couvert des mesures sanitaires. Aujourd’hui il y a des gens qui ont tellement besoin de l’ocytocine, l’hormone du bonheur et ça on nous en prive. Un sourire dans la rue ? On n’en a plus ! Le mal du confinement va être plus important que le virus lui-même."

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