Vendée Globe : comment les skippeurs, privés d'assistance, font-ils face aux blessures et douleurs du quotidien ?
Les problèmes physiques s'accumulent pour Clarisse Crémer. Victime d'hallucinations dimanche, la skippeuse L'Occitane en Provence s'est bloqué, lundi 6 janvier, "le cou et l'épaule gauche. Avec malaise derrière. C'est dur. En solitaire, comme ça, on se sent tellement vulnérable, à la merci, quand il y a quelque chose qui cloche physiquement", a-t-elle réagi dans une courte vidéo où son visage exprime toute sa souffrance, amplifiée par l'impact des chocs du bateau sur l'eau.
Persuadée qu'il s'agissait d'une douleur musculaire, "liée à un manque d'hydratation", la navigatrice de 35 ans, loin de se laisser abattre, s'est "un peu gavée d'ibuprofène et de paracétamol" pour continuer sa remontée de l'Atlantique. Dans cette épreuve, elle a aussi été accompagnée par l'une des médecins de la course, le docteur Laure Jacolot : "On a fait un petit appel en visioconférence avec Clarisse. Dans ce genre de cas, on ne peut pas faire de manipulation mais on propose des étirements et la prise d'antidouleurs".
Médecins à disposition et formation obligatoire
Chaque jour, cette médecin du sport, également urgentiste à l'hôpital de Quimper (Finistère), se relaie avec ses trois collègues pour que les skippeurs puissent contacter 24 heures sur 24 un médecin de la course. Via des autoconsultations, ils sont en mesure de "poser un premier diagnostic et donner des conseils que ce soit en termes de prise de médicaments ou sur les bons gestes à adopter".
Maxime Sorel (V&B - Monbana - Mayenne), contraint à l'abandon le 15 novembre suite à sa blessure à la cheville, a pu bénéficier des conseils à distance du corps médical : "Au début de ma blessure, le suivi était très régulier, j'étais en contact avec les médecins quasiment toutes les 30 minutes, se souvient-il. J'envoyais des photos, je devais noter ma douleur sur dix pour que l'on puisse affiner le diagnostic". Une fois le bilan établi, les skippeurs doivent se mettre dans la peau d'un médecin. A bord, ils sont capables de "faire les petites choses du quotidien comme se faire un pansement", mais aussi réaliser des opérations plus complexes. "Techniquement, ils sont capables de se recoudre, de poser des agrafes ou de réaliser une perfusion intraveineuse", détaille le Dr Laure Jacolot.
Des techniques apprises lors de deux journées de formation médicale obligatoires avant le départ. "Lors de ces journées, on est encadré par différents spécialistes, on apprend à savoir réagir, communiquer avec les médecins en cas de blessures. Il y a pas mal de théorie et un peu de pratique. On voit comment se faire une piqûre, un soin dentaire, toute chose qu'on doit savoir faire seul à bord", développe Maxime Sorel.
Une pharmacie standardisée à la disposition de chaque skippeur
A bord, chaque marin dispose d'une pharmacie "standardisée et établie par la Fédération française de voile", précise le Dr Laure Jacolot. Tout y est soigneusement rangé par pathologie, du mal de tête aux problèmes de peau. "Cela nous permet de savoir directement quel médicament prendre", souligne Maxime Sorel.
Tous les marins ont aussi la possibilité d'y glisser "leurs propres médicaments selon leurs antécédents", à condition de fournir la liste définitive des traitements embarqués au staff médical. Une fois en mer, les skippeurs peuvent y recourir comme bon leur semble par automédication. "La majorité d'entre eux nous appelle quand même. Ils savent que cela peut jouer sur leur performance", tempère la médecin du sport. En plus, les skippeurs disposent d'un kit d'urgence "placé dans le cockpit du bateau". "Son emplacement est stratégique pour qu'il soit facilement atteignable. Dedans, on y trouve notamment des shoots d'adrénaline, pour se redonner du jus si jamais on a un membre arraché", confie aussi Maxime Sorel.
Des diagnostics et remèdes limités
Après 57 jours de mer, deux tiers de la flotte a déjà fait appel aux médecins, le tiers restant - dont certains ont leur propre équipe médicale - s'est vu imposer un petit entretien à mi-course afin de s'assurer que tout se passe bien. Mais le médecin ne peut pas tout. Ainsi, si un skippeur est, du fait d'un problème de santé, en incapacité de joindre l'assistance médicale, cette dernière n'est pas en mesure d'être alertée. De même, s'il considère qu'un skippeur devrait s'arrêter, le staff médical de la course ne peut pas forcer un concurrent à abandonner. Maxime Sorel a, lui, préféré se référer à son propre staff médical et notamment sa naturopathe. "Il faut quand même reconnaître que le travail conjoint avec ces deux staffs permet de prendre les bonnes décisions".
Reste que certaines pathologies ne peuvent pas être prises en charge par les skippeurs, "par exemple en cas de commotion cérébrale", souligne la médecin de course. Pour Maxime Sorel, les anti-inflammatoires n'ont également pas suffi à stopper ses douleurs à la cheville. Les examens réalisés sur la terre ferme révéleront une rupture partielle de trois ligaments de sa cheville. "C'est le type de diagnostic qu'on ne pouvait pas voir depuis le bateau, parce qu'il n'y a que l'imagerie qui pouvait nous le donner. C'est pour ça que les médecins de course ne peuvent que nous donner des conseils", conclut le natif de Saint-Malo.
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