Vendée Globe - l'énorme émotion de Kevin Escoffier : "Mon bateau plié en deux"
Kévin Escoffier va avoir une histoire à raconter pour le reste de sa vie. Le skippeur PRB a vécu des heures terribles, au beau milieu de l'océan, non loin du Cap de Bonne-Espérance. A la dérive sur son radeau de survie après une voie d'eau terrible sur son navire, le Malouin a été secouru dans la nuit de lundi à mardi par Jean Le Cam, au prix d'une manœuvre aussi dangereuse que nécessaire. Escoffier a pu donner de premiers éléments de cette nuit d'enfer, au dénouement plus qu'heureux.
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"Vous voyez les films sur les naufrages ? C'était pareil en pire", a-t-il raconté dans un échange avec Jean-Jacques Laurent, président de PRB, sponsor du bateau. Les skippeurs faisaient face à une tempête importante pour leur passage à la pointe de l'Afrique du Sud et leur entrée dans l'Océan Indien. Alors 3e du Vendée Globe pour sa première participation, Escoffier parlait plus tôt dans la journée d'un "premier coup de vent". Des rafales à près de 70 km/h qui ont fait vivre un cauchemar à la flotte et au navigateur de 40 ans. Une importante voie d'eau s'est déclarée lundi, l'obligeant à déclencher sa balise de détresse. "C'était suréaliste", a raconté sur France Info le skipper dans la matinée. "Je suis parti en surf sur une vague, et dans le bas de la vague, le bateau s'est plié en deux."
"Un truc de barjot. Plier un bateau en deux…"
"En quatre secondes, le bateau a planté, l'étrave s'est repliée à 90°, j'ai mis la tête dans le cockpit, il y a eu une vague...", a-t-il raconté, pris par l'émotion. "Elle a tout fait shunter (disjoncter), l'électronique... Un truc de barjot. Plier un bateau en deux… J'en ai fait, mais celle-ci..." Une fois un peu plus remis de sa mésaventure, Kévin Escoffier est revenu sur cette journée horrible du 30 novembre. "J’ai entendu un crac mais honnêtement, il n’y avait pas besoin du bruit pour comprendre. J’ai regardé l’étrave, elle était à 90°. En quelques secondes, il y avait de l’eau partout. L’arrière du bateau était sous l’eau et l’étrave pointait vers le ciel. Entre le moment où j’étais sur le pont en train de régler les voiles et le moment où je me suis retrouvé en TPS (combinaison de survie), il s’est passé même pas deux minutes. Ça a été d’une rapidité extrême."
"J’ai pris le bib (radeau de survie) à l’arrière. Le bib avant n’était pas accessible, il était déjà trois mètres en dessous de l’eau", poursuit Escoffier. L’eau était dans le cockpit jusqu’à la porte. J’aurais voulu rester un peu plus longtemps à bord mais je voyais bien que tout allait très vite et puis je me suis pris une déferlante et suis parti à l’eau avec le radeau. A ce moment-là, je n’étais pas du tout rassuré… Tu es dans un radeau avec 35 nœuds de vent. Non, ce n’est pas rassurant."
"C'était Verdun sur l'eau"
Après de longues heures et plusieurs tentatives de sauvetage par Le Cam, le radeau de sauvetage a finalement pu être ramené vers Yes we Cam !, son skippeur à son bord sain et sauf. Mais non sans avoir eu chaud, jusqu'au bout. "On s’est dit 2-3 mots. C’était Verdun sur l’eau", a raconté le naufragé. "Il a été contraint de s’éloigner un peu puis après, j’ai vu qu’il restait sur zone. Je suis resté dans le radeau jusqu’au petit matin. Je ne savais pas si la météo allait mollir suffisamment pour permettre une manœuvre. Il était à 2 mètres de moi, il m’a envoyé la frite avec un lien mais c’était dur d’arrêter le bateau. Finalement, j’ai réussi à attraper un tube, une barre pour monter à bord. Il y avait encore de la mer, environ 3,50 mètres. C’est une épreuve dans ces conditions de monter à bord d’un 60’, d’autant plus quand tu es contraint dans tes mouvements par la TPS. Sincèrement, heureusement que je suis en forme physique car je vous assure que ce n’est pas simple."
Priorité à la vie
Escoffier s'est excusé auprès de son partenaire PRB, un des historiques de la voile, qui en a vu d'autres, des succès avec Michel Desjoyaux ou Vincent Riou, comme des avaries. "Je suis désolé pour le bateau", a imploré Escoffier, en larmes. "Je l'ai renforcé tout ce que j'ai pu. Je n'ai zéro regret. J'ai mis 200 kilos de carbone dans le bateau." "Tu vois, ta vie était plus importante que notre Vendée Globe", ont pour leur part dédramatisé Sébastien Simon (Arkéa Paprec) et Yannick Bestaven (Maître Coq), qui avaient été appelés en renfort sur la zone de sauvetage. "Je suis désolé Jean, tu fais une course de barjot, je suis désolé de te niquer ton truc" s'est excusé Escoffier. Jean Le Cam, lui, a préféré en sourire. "Il est tombé dans une bonne maison" s'est-il écrié. "Le Roi" Le Cam en sait quelque chose, lui qui avait été secouru par Vincent Riou, alors sur PRB, lors du Vendée Globe 2009 après que son bateau ne se soit retourné. "Dans ces ces moments-là, la course n'existe plus. Il y a des priorités, et ce n'est pas de faire 3e, 4e ou 5e."
"Je me suis dit que la nuit, la lumière du radeau allait mieux se voir que le jour", a raconté Jean Le Cam au sujet du sauvetage. "J'étais debout sur le pont et à un moment, je vois un flash. En fait, c'est la lumière qui apparaît dans une vague. Une apparition, et je me dis, mais c'est pas vrai quoi… Plus je continuais et plus il y avait d'apparition, tu vois de plus en plus la lumière. Là tu passes du désespoir à un truc de dingues. Je me mets au vent et je vois Kévin qui me demande si j'allais revenir. Je lui ai dit, 'non je ne reviens pas, on va le faire tout de suite !' Je lui ai envoyé la bouée et il l'a attrapée puis il a réussi à prendre la barre de transmission. Et là, c'était gagné. Là, c'est le bonheur."
Un bonheur, et un immense soulagement.
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