Vendée Globe : Les icebergs, ces monstres de glace si redoutés par les skippers, surveillés depuis l'espace
"J'adorerais voir des icebergs, mais pas sur cette course!", sourit la navigatrice Alexia Barrier, qui réalise son premier Vendée Globe. Comme l’ensemble de ses concurrents de ce tour du monde en solitaire, Alexia Barrier redoute de se retrouver nez à nez avec un iceberg. Car ces monstres de glace, particulièrement redoutés des skippers, peuvent tout simplement endommager les bateaux et provoquer une fin de course pour les navigateurs.
Même si le Vendée Globe est une course en solitaire et sans assistance, les marins de ce tour du monde ne sont pas seuls pour affronter ces redoutables blocs de glace dérivants. Afin de garantir une sécurité maximale aux skippers, ils sont en effet guidés depuis l’espace à travers un véritable travail d’équipe. L’Océan austral est si vaste que l’observation spatiale est le seul moyen pour en observer l’étedue. "En quelques jours seulement, les satellites survolent l'océan entier. On a des satellites qui font un tour de la terre en dix jours, et qui permettent d’avoir une couverture complète des océans, soit 70% de la planète ", explique Sophie Coutin-Faye, responsable de la filière projets d'altimétrie au CNES (Centre national d’études spatiales français).
Depuis 2008, CLS (Collecte localisation satellites, filiale du CNES) détecte, grâce à des technologies et des satellites conçus et déployés par le CNES et l’ESA (Agence spatiale européenne) les icebergs menaçants la route des skippers. "Au CNES, notre métier est de mettre en orbite des satellites qui fournissent des données. Ensuite, l'exploitation de ces données est effectuée par les experts de CLS, qui permettent la localisation des icebergs", détaille Sophie Coutin-Faye.
Une dizaine de satellites à la recherche d’icebergs
Pour cette édition 2020 du Vendée Globe, une dizaine de satellites sont utilisés pour détecter ces dangers potentiels. Certains d’entre eux, appelés satellites altimétriques, sont mis en orbite par le CNES. Leur rôle ? "Ils émettent une onde qui va vers la surface de l'océan, qui se réfléchit et qui remonte vers le satellite. Cette onde est déformée quand elle rencontre un iceberg avant de rencontrer la surface de l'eau. C'est ainsi que les experts de CLS peuvent les détecter", approfondit Sophie Coutin-Faye. Une fois la détection réalisée, les experts de CLS s’appuient sur d’autres satellites, mis en orbite cette fois par l’Agence spatiale européenne, et qui fournissent des images radars - pas moins de 300 sur l'ensemble de la course - qui permettent d'obtenir des photos agrandies des icebergs, avec une résolution de 50 m. Ces images ont pour premier objectif de confirmer la présence d’un iceberg, avant de relever sa trajectoire et sa taille.
Le travail de ces spécialistes ne s’arrête pas là. Les experts de CLS, aussi spécialisés dans le domaine de l’océanographie, réalisent ensuite des modèles de dérives. A partir des courants, mais aussi de leur dislocation et de leur fonte, ils vont modéliser les déplacements des Icebergs. Une étape fondamentale tant la situation peut évoluer rapidement. "Nous ne pourrions plus imaginer une course comme le Vendée Globe sans des services de détection d’icebergs", constate Jacques Caraës, directeur de course du Vendée Globe.
Petits icebergs, grande inquiétude
Mais les inquiétudes sont davantage tournées sur les petits icebergs, ceux qui se détachent des plus gros monstres de glace. "Parmi ceux qui se détachent, ce sont les petits que l'on redoute le plus, que les skippers craignent le plus. Pour les gros, il y a des chances que le navigateur le voit. Mais ils ne peuvent en revanche pas détecter les petits donc nous essayons d'éviter qu'ils se retrouvent dans une zone où il y en a", note Sophie Coutin-Faye.
Avec toutes ces données récoltées et traitées, le CLS établit une carte des risques qui permet de délimiter une Zone d’Exclusion Antarctique (ZEA). Cette zone de 26 223 km de circonférence entoure l’Antarctique et abrite plusieurs millions d’icebergs. Ce cordon de sécurité est une zone virtuelle, délimitée par ces experts, où les skippers n’ont pas le droit de naviguer, tant pour leur sécurité que pour des raisons de réglementation. Si un skipper franchit cette zone, le jury international pourrait le pénaliser. "Il ne faut vraiment pas que les skippers aillent dans les zones d'exclusion antarctique, c’est vraiment infesté d'Icebergs", sourit Sophie Coutin-Faye. Et même si les nombreux experts limitent considérablement les risques, les navigateurs doivent toutefois rester vigilants et attentifs à cette frontière mobile.
Depuis juillet dernier, analystes et satellites scrutent l’océan à la recherche d’icebergs. Un premier repérage qui permet d’établir des cartographies et de suivre les trajectoires dans le but de toujours rester au plus près de l’évolution. Grâce à ces relevés effectués bien en amont de la course, une première version de cette zone est communiquée à la direction de course du Vendée Globe, puis une version actualisée lui est fournie juste avant le départ. La direction de la course se charge ensuite de la transmettre aux skippers, qui doivent accuser réception de ces modifications, afin de s’assurer qu’ils ont bien pris connaissance de ses mises à jour.
"Depuis le début de la course, nous avons détecté environ 60 icebergs à suivre de près, la plupart sous la ZEA, hormis ceux détectés au large de l’île de Crozet"
Et cette zone a d’ailleurs été de nouveau actualisée il y a deux semaines. En effet, les analystes en imagerie radar de CLS ont détecté une vingtaine d’icebergs douteux dans la zone de Crozet et de Kerguelen, dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF). "Depuis le début de la course, nous avons détecté environ 60 icebergs à suivre de près, la plupart sous la ZEA, hormis ceux détectés au large de l’île de Crozet", indique Sophie Besnard, directrice aux affaires internationales, en charge de la direction du projet Vendée Globe à CLS. Pour ne prendre aucun risque, la direction de course du Vendée Globe, en concertation avec le CLS, a décidé de relever la Zone d’exclusion Antarctique (ZEA) de 5 degrés plus au Nord, l’allongeant de plus de 400 km.
Autant de précautions qui rassurent les skippers. "C’est mon deuxième Vendée Globe et j’ai toujours connu cette zone. C’est très rassurant de savoir qu’on a des gens derrière nous qui veillent sur les glaces, les icebergs qui sont à la dérive. Du coup, en tant que marin, on peut vraiment être concentré sur le reste, sur la course. On sait que cette zone est très travaillée, c’est très rassurant de naviguer dans ces conditions, confie Thomas Ruyant (LinkedOut), nouveau leader de la course depuis mardi matin. On a vu il y a quelques jours maintenant, pas mal de chocs avec des Ofni donc si on peut éviter ceux avec les glaçons, ça limite déjà le risque de casser le matériel", ironise-t-il. "C’est un facteur clé d’avoir ces informations. C’est très rassurant car on a peu de moyens pour les détecter, si ce n’est les cartes et signalements que nous recevons de la part de la direction", confirme la navigatrice Alexia Barrier.
Une année 2020 plus clémente en Icebergs
Bien protégés, les skippers ont aussi de la chance cette année car cette édition semble être beaucoup plus favorable qu’il y a quatre ans. "Cette année, nous sommes dans une situation de densité d’icebergs plus faible que les années précédentes", relève Sophie Besnard, de CLS.
Si pour l’heure la traversée dans les mers du sud se déroule sans encombre pour les skippers, il reste toutefois des passages à risques pour les jours à venir. "La période la plus compliquée se trouve après le passage du Cap Horn (Cap au Chili, ndlr), le leader devrait passer ce point tendu un peu avant Noël, le dernier devrait le passer fin janvier", affirme Sophie Besnard. En attendant, les skippers savent que les experts de CLS, du CNES et de l’ESA veillent sur eux tels les yeux de l’océan.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.