Déjà quatre abandons et un écart de niveau évident... Que fait l'équipe Tashkent City sur le Tour de France femmes 2024 ?

Clairement pas au niveau du reste du peloton, l'équipe originaire d'Ouzbékistan a perdu quatre de ses sept coureuses dès la première étape, lundi.
Article rédigé par Andréa La Perna - envoyé spécial à Rotterdam
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
La coureuse cycliste Olga Zabelinskaya de l'équipe Tashkent City sur la 7e étape du Giro 2024, le 12 juillet. (MARCO ZAC / AFP)

Le nom de cette équipe ne vous dit sûrement pas grand-chose. Les fans de vélo n'en savent pas beaucoup plus. Petite nouvelle dans le peloton, la Team Tashkent City est l'une des curiosités de cette troisième édition du Tour de France femmes. L'équipe portant le nom de la capitale de l'Ouzbékistan, entièrement composée de coureuses ouzbèkes, s'est signalée en perdant plus de la moitié de son effectif sur abandon dès la première étape, pourtant courue sur un terrain plat et peu propice à créer des écarts au plus haut niveau mondial.

Asal Rizaeva, Mohinabonu Elmurodova, Madina Kakhorova et Ekaterina Knebeleva ont posé pied à terre assez rapidement, la dernière après seulement 37 kilomètres de course (sur 123). Dans le même temps, 147 coureuses (sur 154 au départ) ont toutes coupé la ligne en moins de trois minutes ; le signe que le rythme n'était pas infernal. Aucune de ces quatre Ouzbèkes n'a l'habitude de courir en Europe. Légèrement plus expérimentées, Elmurodova et Kakhorova avaient participé au Giro un mois plus tôt, sans réussir à le terminer.

Une faille dans le barème de l'UCI

Au-delà de l'écart abyssal de niveau la séparant du reste du peloton, la Team Tashkent City génère chez certains observateurs une sorte de malaise. L'équipe financée par le gouvernement d'Ouzbékistan est globalement regardée de travers. Tout le monde en parle, mais peu de médias ont donné la parole à un membre de l'équipe. "J’ai lu hier dans la presse pas mal de critiques. Les gens sont bons pour ça. Bla, bla, bla avec des chips et une bière dans leur canapé devant la télévision. Mais je remercie les guerriers du canapé parce qu’on parle de nous", prend le temps de répondre Volodymyr Starchyk, le directeur sportif de l'équipe, entre la 2e et la 3e étape à Rotterdam.

Tashkent City n'a pas pu devenir une des meilleures équipes au monde en à peine huit mois. "Deux des filles qui ont abandonné n'ont que 19 ans. Hier, elles pleuraient sur la route, tient à rappeler Volodymyr Starchyk depuis le camping-car de l'équipe. Vous avez combien de licenciées en France (12 900 à la FFC en 2022) ? En Ouzbékistan, elles sont entre 50 et 100, toutes catégories confondues. Hier, celles qui ont abandonné, pleuraient dans le bus. Elles ne sont plus que trois maintenant, mais ce n'est pas grave. C'est même bien."

Par un simple regard porté sur le matériel utilisé, plusieurs détails sautent aux yeux. Sur le contre-la-montre, les trois vélos des coureuses sont d'une marque différente. Sur les épreuves en ligne, elles disposent de quelques Pinarello. "Avant les Jeux olympiques, le gouvernement a demandé aux filles ce dont elles avaient besoin. Elles ont demandé de meilleurs vélos. 'Ok, lequel est le meilleur ?'. 'Pinarello'. Donc le gouvernement leur a pris des Pinarello", raconte le directeur sportif, ex-coureur pro ukrainien.

Au cœur des critiques, la manière dont cette équipe d'Asie centrale s'est propulsée au départ de la course la plus prestigieuse du calendrier international. Pour participer au Tour de France femmes, il faut soit être une équipe avec une licence World Tour, soit bénéficier d'une invitation. Parmi ces invitations, certaines sont données par Amaury Sport Organisation (ASO), d'autres sont automatiques, ce qui est le cas de Tashkent City, qualifiée en tant que deuxième meilleure équipe du niveau continental au classement UCI (Cofidis étant la première).

"Il n'y a pas de polémique"

Au total, elle a inscrit 1 708 points sur l'année 2023 en ne participant qu'à deux courses professionnelles en Europe. En trustant l'intégralité du top 10 du championnat national d'Ouzbékistan, Tashkent City a de cette façon inscrit 393 points sur une seule course sans adversité (les championnats nationaux suivent le même barème UCI dans tous les pays). Après des réclamations portées par d'autres équipes, l'UCI a déduit ces points, mais l'équipe a réussi à marquer d'autres points sur les dernières épreuves asiatiques du calendrier comme le Tour de l'île de Chongming, une épreuve catégorisée World Tour.

"Tout est ouvert, nous n'avons rien à cacher."

Volodymyr Starchyk, directeur sportif de la Team Tashkent City

à franceinfo: sport

La meilleure coureuse de l'équipe, Olga Zabelinskaya, a amassé 605 points en s'illustrant aux championnats continentaux d'Asie ou encore aux Jeux asiatiques d'été. Cette dernière, née russe et naturalisée ouzbèke en 2018, est connue dans sa carrière pour avoir certes glané trois médailles olympiques (à Londres puis Rio) mais également pour avoir été suspendue pendant deux ans pour contrôle positif à l'octopamine en 2014.

Du côté de l'équipe, on explique que les efforts pour marquer le plus de points sur le circuit UCI n'avaient pas pour objectif de gratter une place sur les Grands Tours, mais seulement pour être de la partie aux Jeux olympiques de Paris ; ce qui a été le cas puisque Olga Zabelinskaya (44 ans et pas alignée sur le Tour car en fin de contrat) s'est distinguée en prenant un temps l'échappée et que Yanina Kuskova était aussi au départ. "Nous n'avons pas assez de coureuses pour courir toutes les courses World Tour. On n'en a peut-être que deux ou trois prêtes pour un Grand Tour. On n'a pas assez de vélos, de roues et il n'y a tout simplement pas de staff professionnel", déclarait le coach Gleb Groysman à Cycling News [lien en anglais].

Les coureuses de l'équipe Tashkent City quittent le podium au départ de la 2e étape du Tour de France femmes 2024, à Dordrecht, le 13 août. (ANDREA LA PERNA / FRANCEINFO: SPORT)

"C'est l'UCI qui doit réagir, car ASO a juste suivi les règles de sélection par points des équipes", se défend ASO, rappelant qu'il n'a pas eu le choix malgré son statut d'organisateur. De son côté, l'Union cycliste internationale n'a pas communiqué. "Il n'y a pas de polémique, elles sont ici parce qu'elles ont gagné leur place. Ou alors il faut changer le règlement", a tranché Laurent Jalabert, consultant France Télévisions, pendant la 2e étape, au moment où Nafosat Kozieva a perdu le contact avec le peloton (sur une étape plate de 68 kilomètres).

Stéphen Delcourt, manager de l'équipe française FDJ-Suez et impliqué dans la réclamation portée à l'UCI concernant Tashkent City, n'a cependant aucun reproche à adresser à l'équipe ouzbèke. "Il ne faut pas se focaliser que là-dessus, tempère-t-il. C'est sûr qu'elles n'ont pas le niveau. On le savait avant le départ. Ils ont été très malins dans leur interprétation du règlement. Personne n'a empêché les autres équipes continentales de faire la même chose. Ce n'est pas beau, mais je préfère qu'on se concentre sur le succès populaire de ce début de Tour."

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