ENTRETIEN. Tour de France femmes 2024 : "Avec les Jeux olympiques, ce sera une édition particulière", se projette Marion Rousse
Placé après l'Euro de football, le Tour de France et les Jeux olympiques de Paris, le Tour de France femmes a été forcé de faire en partie peau neuve à l'été 2024. Pour sa troisième édition, l'épreuve ne sera pas adossée à son pendant masculin. Elle aura lieu du 12 au 18 août et donnera la part belle aux Pays-Bas, d'où les quatre premières étapes s'élanceront.
La grande nouvelle est la première ascension de l'Alpe d'Huez, montée mythique du cyclisme, où a été fixée la ligne d'arrivée de la course. "On peut dire que c'est un parcours crescendo. On a vraiment voulu préserver le suspense jusqu'au bout", se réjouit Marion Rousse, la directrice de la course, rencontrée la veille du dévoilement du tracé.
franceinfo: sport : Après la découverte en 2022 et la confirmation en 2023, quel est l'objectif de cette troisième édition ?
Marion Rousse : C'est un petit challenge parce que les dates ont changé avec les Jeux olympiques. On ne sera plus la quatrième semaine du Tour de France masculin. Ce sera une grande première pour nous, et on ne sait pas trop comment ça va être perçu. Pour nous, la priorité était de garder un créneau pendant les vacances scolaires pour que ce soit un succès populaire. Ce sera une édition un peu particulière, mais on a conservé les ingrédients qui ont fait le succès des deux précédentes. En augmentant même un peu le dénivelé.
Avec ces dates un peu spéciales, ne craignez-vous pas que les Jeux olympiques fassent de l'ombre à cette édition 2024 ?
Ce sera le même problème tous les quatre ans. Evidemment, pour nous, c'est toujours mieux d'être la quatrième semaine du Tour. Les gens ont envie de voir du cyclisme au mois de juillet. L’été sera très dense niveau sport, et on ne sait pas encore quelle sera la réaction du public. C'est aussi pour cette raison qu'on a choisi les Pays-Bas. On sait qu'il y aura un engouement. Là-bas, le cyclisme fait pratiquement 50% de parts de marché. Culturellement, c'est le pays du vélo, avec de nombreuses championnes dont la tenante du titre Demi Vollering. Les Néerlandaises sont au-dessus du lot. Pour nous, c'était totalement cohérent d'avoir ce premier grand départ de l'étranger là-bas.
Est-ce qu'il y a une vocation à s'internationaliser durablement, ou le départ de l'étranger est-il surtout lié au contexte particulier de cette année ?
C’est un petit clin d'œil au Tour de France chez les hommes, qui avait effectué son premier grand départ de l’étranger des Pays-Bas, à Amsterdam, il y a 70 ans. C'est vrai que ça permettra aussi de mobiliser moins de forces de l'ordre, qui seront déjà très mobilisées tout au long de l'été avec tous les événements sportifs en France. A côté de ça, c'est super de voir que dès la troisième édition, on donne envie à des pays étrangers d’accueillir le Tour de France femmes.
Chaque année, le tracé du Tour de France fait beaucoup réagir parce qu'il ne passe pas partout. En 2024, le Tour de France femmes ne comptera que trois étapes 100% françaises. Vous attendez-vous à des critiques ?
C'est le revers de la médaille. Chaque année, les parcours sont critiqués, mais c'est aussi ce qui en fait la beauté. On a toujours envie que le Tour passe dans sa région. Évidemment, il y aura des réflexions, mais je rappelle que 2024 sera une année particulière avec les Jeux olympiques. L'important pour nous, c'était d'être pendant les vacances scolaires et que la télévision diffuse la course sur des chaînes en clair. On n'avait pas le choix.
La Planche des Belles filles, puis le Tourmalet, et maintenant l'Alpe d'Huez. J'imagine qu'il y a une grande satisfaction d'ajouter un tel sommet à la collection...
Pour faire partie de l'histoire du cyclisme, il faut aller dans des endroits mythiques comme l'Alpe d'Huez. Cette étape sera très difficile. Elle compte 3 900 mètres de dénivelé positif. C'est 900 mètres de plus que ce qu'on avait proposé sur l'étape-reine de 2023 au Tourmalet. Il y aura aussi le col du Glandon juste avant, qui est pour moi l’un des cols les plus durs en France. Pratiquement 20 kilomètres à plus de 7% de moyenne…
Avec un tel programme pour le dernier jour de course, y a-t-il un risque de voir les favorites s'économiser le reste de la semaine ?
Le parcours est trop piégeux pour qu'on puisse se dire dès le premier jour : "Allez, on va se réserver. Les Pays-Bas, c'est tout plat." S'il y a du vent, ça peut créer des écarts. Sur le Tour de France, faut-il le rappeler, Thibaut Pinot s'en souvient des coups de bordures. Ils avaient fait plus d'écarts que n'importe quel sommet en montagne. Puis, quand on va sur Liège où c'est vraiment une pure classique, tu ne peux pas te préserver.
On voit sur le Tour de France masculin que les étapes accidentées commencent à voler la vedette aux étapes de montagne. Est-ce que cette 4e étape entre Valkenburg et Liège peut être l'attraction de cette édition ?
C'est une étape que j'aime particulièrement, car elle n’offre pas le moindre moment de répit. Tu sais pertinemment que ça va bouger dans le final et qu'il y aura des écarts. Surtout, il y aura un match entre les puncheuses, les spécialistes des classiques et les leaders du classement général. Ça va être une étape sublime, c'est sûr. C'est un beau clin d'œil à Liège-Bastogne-Liège.
Le tracé de 2024 est-il assez piégeux pour contrarier la domination de la SD-Worx de Demi Vollering ?
La SD-Worx a pratiquement gagné toutes les courses l'année dernière. Ce qui fait leur force, à l'image de la Jumbo-Visma, c'est qu'elle est capable de performer sur tous les terrains. En montagne, leurs coureuses sont les meilleures, et elles sont aussi capables de créer des bordures. C'est sûr qu'elles vont partir favorites avec Demi Vollering en tête d'affiche. Mais la loi du sport est la même pour tout le monde. Tu peux t'appeler Demi Vollering et être mal placée au mauvais moment.
Pour la première fois, deux étapes se dérouleront le même jour. On n'a plus vu ça sur le Tour masculin depuis 1991. Y a-t-il une logistique particulière dans l'organisation de cette journée ?
C'est un petit marathon à organiser. Déjà, il nous faut des autorisations de l'Union cycliste internationale. Puis, il faut faire les choses de manière cohérente. La demi-étape le matin, ce sera 67 kilomètres, un format très court et hyper dynamique. L'après-midi, un chrono de 6,3 kilomètres. Pour soulager l'organisation et les télés, la ligne d'arrivée du matin sera la même pour les deux étapes, ce qui permet de s'implanter au même endroit toute la journée.
Est-ce qu'on pense aux chances françaises quand on trace un Tour de France ?
Non, ce n'est pas notre priorité. Ce qu'on garde vraiment en tête, c'est d'avoir un parcours équilibré. On est toujours dans la stratégie de faire découvrir le plus de coureuses différentes. On est là pour faire connaître des personnages et des visages. On veut qu'il y en ait pour tous les goûts, pour les sprinteuses, les baroudeuses, les puncheuses et les grimpeuses.
Après, si une Française marche, on ne va pas dire non, évidemment. On attend Juliette Labous. Elle qui aime bien les étapes très difficiles, le fait que l'Alpe d'Huez arrive sur la dernière étape peut l'avantager. Elle est de ces coureuses de plus en plus fortes au fur et à mesure des étapes.
Vous disiez avant la première édition qu'il était impossible de tout de suite tabler sur une course de deux ou trois semaines car vous préfériez offrir les mêmes standards qu'un Tour masculin. Est-ce que l'idée d'un allongement du Tour de France femmes est étudiée ?
Le plus important, c'était de prouver aux gens que des filles sur des vélos, ça avait sa place. Ce premier objectif a été atteint. On est devenu un feuilleton récurrent du mois de juillet. Après, il ne faut surtout pas aller trop vite. Des Tours féminins, il y en a eu avant nous et ils n'ont jamais trouvé la bonne recette, ils ont toujours fini par mettre la clé sous la porte. La priorité, c'est de pérenniser l'épreuve. Nous voulons évoluer, évidemment, mais il faut suivre l'évolution du cyclisme féminin. Le peloton est beaucoup plus homogène. Beaucoup plus de filles peuvent en vivre car leurs salaires ont évolué grâce à la médiatisation. Le cyclisme féminin progresse, mais n’est pas encore arrivé aux standards des hommes.
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