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Reportage Tour de France femmes 2022 : le renouveau au féminin de Saint-Michel Auber 93

Vingt-et-un ans après sa dernière participation au Tour de France masculin sous le nom de BigaMat Auber 93, la formation de Seine-Saint-Denis est de retour sur la Grande Boucle, avec un départ à domicile à Paris, dimanche.

Article rédigé par Adrien Hémard Dohain, franceinfo: sport - De notre envoyé spécial
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le calme règne, à deux jours du départ, sur le parking du service course de la Saint-Michel Auber 93. (Adrien Hémard-Dohain / Franceinfo: sport)

"L'hôtel est à dix minutes de notre service course. Je vais y dormir, mais j'aurais été plus rapidement au départ en prenant le métro." Assis dans son bureau, le directeur général de l'équipe Saint-Michel Auber 93 prend les choses avec humour. En avalant son café, Stéphane Javalet a toutes les raisons d'avoir le sourire. A 61 ans, l'historique dirigeant de l'équipe séquano-dionysienne va retrouver la route du Tour pour la sixième fois, la première avec les femmes. 

Stéphane Javalet montre le maillot de la BigMat Auber de 1996, avec lequel Cyril Saugrain avait remporté une étape du Tour de France. (Adrien Hémard-Dohain / Franceinfo: sport)

Entre 1996 et 2001, l'équipe masculine, alors nommée BigMat Auber, a en effet participé à cinq Tour de France et une Vuelta, glanant une victoire d'étape en 1996 sur la Grande Boucle. "C'étaient les années dorées", se souvient celui qui a bâti à lui seul ce collectif. Recruté à mi-temps par le CM Aubervilliers en 1984, à la sortie de son service militaire, Stéphane Javalet est une sorte de Guy Roux local : "C'est vrai, on peut dire ça", reconnaît celui qui a fait d'une équipe amateur une écurie du Tour. "D'ailleurs, comme les joueurs d'Auxerre, nos coureurs étaient vaillants et opportunistes". Mais aujourd'hui, ce sont les coureuses qui ont ramené l'équipe au premier plan, après un long passage à vide. Et c'est pour elles qu'on s'agite devant le service course de l'écurie. A deux jours du départ, il faut charger tout le matériel, vérifier qu'il ne manque rien.

Du Tour masculin au Tour Femmes

Non sélectionnée pour le Tour de France 2002, l'écurie d'Aubervilliers est retombée dans l'oubli, malgré quelques coups d'éclats comme le titre de champion de France de Steven Tronet en 2015. Pas de quoi décourager Stéphane Javalet, qui aurait pu aller voir ailleurs : "Honnêtement, la question ne s'est jamais posée. Cette équipe, c'est mon bébé. Je ne peux pas la quitter", glisse-t-il dans des locaux qui sentent bon la fin du siècle dernier, où les murs décrépis sont recouverts de maillots, photos et reliques à la gloire "des P'tits gars d'Auber". Des petits gars qui ne sont plus seuls.

En 2012, le directeur général de la formation a lancé une section féminine, à une époque où cela était loin d'être à la mode, et où la possibilité d'un Tour de France dédié aux coureuses prêtait à sourire. Tout en jetant un oeil sur le chargement depuis sa fenêtre, cigarette à la main, il explique : "Cela nous paraissait logique, dans notre optique de devenir un club de formation majeure".

"On est une équipe historique. On n'est pas dans le cyclisme féminin par opportunisme, cela fait dix ans qu'on est là. Mais c'est plus facile de revenir sur le Tour chez les femmes, oui."

Stéphane Javalet

à franceinfo: sport

"On a pris beaucoup de plaisir, l’équipe féminine a amené une nouvelle énergie dans le club. Ça en coûte aussi, notamment depuis cette année, parce que les filles sont passées pros", explique le directeur général, qui a recruté un staff propre pour les coureuses - dont les mécaniciens qui s'activent sur le parking -, et qui aimerait profiter des retombées du Tour pour atteindre "une vraie parité sur le plan salarial". Car l'équilibre économique reste fragile pour la Saint-Michel Auber 93, qui ne fait pas partie des équipes World Tour, alors que la division Continental Pro n'apparaîtra qu'en 2025 dans le cyclisme féminin. 

Seine-Saine-Denis style

Malgré l'apparence de ses locaux défraichis d'Aubervilliers - un vieux bâtiment en briques, dans une rue de maisons ouvrières typique de la grande couronne parisienne -, l'écurie n'est pourtant pas à plaindre. Les voitures, camions et bus aux couleurs des sponsors n'ont rien à envier aux plus grosses structures du circuit. "On a toujours voulu se rapprocher le plus possible du professionalisme, qu'importe nos moyens", confie le DG. Le club reste familial, avec un fort ancrage local. Il suffit d'entrer dans le local du service course pour résumer l'esprit de l'équipe d'Aubervilliers : à droite, une affiche XXL de la victoire d'étape sur le Tour 1996, à gauche, les photos des enfants et ados de l'école de cyclisme. En face : le local à vélo de l'équipe féminine.

L'entrée du service course de Saint-Michel Auber 93, à Aubervilliers. (Adrien Hémard-Dohain / Franceinfo: sport)

Principal fanion sportif de la ville, l'équipe revendique ses racines franciliennes. La présence dans le groupe pour le Tour de Sandrine Bideau, native de Seine-Saint-Denis, est d'ailleurs source de fierté. "On fait parler positivement d’Aubervilliers et de la Seine-Saint-Denis, c’est important", souligne Stéphane Javalet, en montrant l'évolution des maillots de l'équipe, sur lesquels demeurent la ville et le département. "On vient d'une zone en difficulté. Le cyclisme apporte une belle image du territoire. Avec ce départ parisien, on peut susciter des vocations pour que des jeunes viennent taper à la porte du club de vélo", espère de son côté Charlotte Bravard, directrice sportive de l'équipe. 

Une directrice sportive de 30 ans aux commandes

L'ancienne coureuse s'est reconvertie en directrice sportive après une grossesse, ce qui en fait une des rares femmes à ce poste : "Je ne me sens pas forcément pionnière, parce que, pour moi, on fait le même métier qu’un homme. J’aimerais maintenant que des équipes masculines soient dirigées par des femmes. Ça devrait être normal, on ne devrait plus se poser la question". A tout juste 30 ans, elle s'apprête à mener "les Madeleines" (surnom hérité du sponsor de l'équipe) pour ce premier Tour de France femmes.

“Cela fait bizarre d’aller à l’hôtel alors qu’on est à domicile. On va dormir à 5 km du service course, c’est marrant. Partir de la maison, c’est spécial.”

Charlotte Bravard

à franceinfo: sport

Ce départ à la maison ne doit, toutefois, pas faire dévier le groupe de son cap. "Il fallait quand même qu’on aille à l’hôtel, à Paris, pour aller se mettre dans les conditions de la course. Ça reste une compétition, avec de l'enjeu, pas une fête. On doit se concentrer", confie Charlotte Bravard, tout en commandant les pizzas pour les équipes techniques qui chargent tranquillement les camions en ce vendredi midi, malgré la pluie : "On a la chance d’être à domicile, d’être plus large sur les préparatifs du dernier moment, de pouvoir faire ça tranquillement à deux jours du départ. On n’est pas dans le rush."

Les voitures de l'équipe Saint-Michel Auber 93, et un minibus moins rutilant. (Adrien Hémard-Dohain / Franceinfo: sport)

Saint-Michel Auber 93 n'arrive pas pour autant en touriste sur ce Tour. "On visera des étapes, pas le général", promet Charlotte Bravard. Un top 20 serait aussi une belle réussite pour la structure francilienne. Mais pour l'écurie sponsorisée par une biscuiterie, qui a fait de la formation le coeur de son projet, l'essentiel est surtout de donner de l'appétit aux plus jeunes. "On peut faire du vélo à Paris et aux alentours. On a des beaux terrains de jeux, que ce soit Longchamp, les pistes cyclables, et les alentours comme la vallée de Chevreuse", souligne Charlotte Bravard.

Saint-Michel Auber 93 est avant tout une équipe locale. "On espère voir beaucoup de monde sur les Champs avec nos couleurs. Ce n'est pas tous les jours qu'on prend le départ d'un Tour historique à la maison", salive Stéphane Javalet, avant de prendre la route de l'hôtel de l'équipe au Bourget.

A peine nettoyés, tout juste chargés, les véhicules orange et noirs de l'équipe quittent les rues calmes d'Aubervilliers. Sur le parking restent deux minibus d'un autre temps, celui des grandes heures de l'équipe masculine. Une époque (pour le moment) révolue : place aux femmes. 

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