Portrait Tour de France 2024 : Biniam Girmay, un maillot vert pour l'histoire du Tour et du cyclisme africain

Le coureur érythréen est devenu, dimanche, le premier Africain de l'histoire à décrocher un maillot distinctif du Tour de France, celui du meilleur sprinteur de l'édition 2024.
Article rédigé par Théo Gicquel, Maÿlice Lavorel - envoyés spéciaux
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
Biniam Girmay avec le maillot vert du Tour de France, le 6 juillet 2024. (MARCO BERTORELLO / AFP)

Jasper Philipsen, Arnaud De Lie ou Mads Pedersen. Voilà les noms qui étaient attendus pour rafler le maillot vert sur cette 111e édition du Tour de France. Celui de Biniam Girmay était bien moins cité, mais c'est pourtant lui qui l'a arboré sur le podium final à Nice, dimanche 21 juillet.

Avec son sourire discret et son empathie sincère, l'Erythréen restera l'un des grands noms de cette Grande Boucle. Parce qu'il a confirmé les espoirs placés en lui, mais surtout parce qu'il a écrit un nouveau bout de l'histoire du cyclisme en devenant le premier coureur noir africain à remporter une étape (trois au total) et s'adjuger un maillot distinctif sur le Tour.

Biniam Girmay, maillot vert du Tour de France, est revenu sur ses fabuleuses trois semaines de course.
Étape 21 - Biniam Girmay : "J'aimerais partager mon bonheur avec tous mes compatriotes" Biniam Girmay, maillot vert du Tour de France, est revenu sur ses fabuleuses trois semaines de course.
Mais le chemin de "Bini", 24 ans au compteur, a débuté très loin de Nice, à plus de 4 000 kilomètres de là. A Asmara, la capitale de l'Erythrée où il est né, il chérissait le football, avant de glisser vers le vélo à 13 ans. "Quand j'avais 10 ans, je préférais le football. Mon grand frère était cycliste, et mon père m'a amené vers la course", dévoilait-il en 2023.

Couvé en Suisse, découvert en France, magnifié en Belgique

A force de rejoindre à vélo son père charpentier à son travail, la passion s'enclenche. Le voilà qui regarde avec des yeux émerveillés le Giro et se voit lui aussi, un jour, rouler et gagner sur un Grand Tour. "Depuis que j'ai commencé le cyclisme, j'ai toujours rêvé du Tour de France. Remporter une étape, c'est juste incroyable", assurait-il après sa première victoire à Turin. Pays de montagnes niché dans le nord de la corne d'Afrique, l'Erythrée est un terrain d'entraînement idéal pour les cyclistes. Là-bas, le jeune Biniam fait ses gammes et commence à faire parler de lui, mais cela ne suffit pas. 

A 18 ans, il décide de partir. Il rejoint le Centre mondial du cyclisme à Aigle (Suisse), la pépinière de talents internationaux pilotée par l'UCI. Son premier coup d'éclat intervient aux championnats d'Afrique juniors 2018, au cours desquels il rafle le titre sur la course en ligne, le contre-la-montre individuel et le contre-la-montre par équipes.

De quoi attirer l'œil des formations européennes. "C'est un des seuls coureurs qui avait pu battre Remco Evenepoel chez les juniors, lors d'une course en Belgique, on l'avait repéré à ce moment-là", explique Jean-François Bourlart, son manager actuel chez Intermarché-Wanty.

Avant la formation belge, qu'il a rejoint en 2021, Biniam Girmay est devenu professionnel en 2020 au sein d'une équipe française, Delko, où il a passé un an et demi. "On savait que c'était un super moteur. J'ai couru avec lui en tant que stagiaire, et déjà il était impressionnant", se souvient Axel Zingle (Cofidis), qui l'a côtoyé sous les couleurs de la formation marseillaise. 

Au soir de sa première victoire, ses coéquipiers Gerben Thijssen et Hugo Page ne tarissaient pas d'éloges sur un camarade "posé", "agréable", "gentil". Discret et authentique : c'est ce qui ressort de Biniam Girmay. "Ce n'est pas juste moi. Dans mon pays, ils n'aiment pas les gens qui se vantent, ils préfèrent les gens simples et discrets", affirmait-il. Quand Gerben Thijssen, l'autre sprinteur maison, souffrait de la chaleur sur les premières étapes, c'est Biniam Girmay qui l'a soutenu moralement pour passer le coup de chaud.

Biniam Girmay avec ses fans à l'arrivée de la 21e étape du Tour de France à Nice, le 21 juillet 2024. (TOM GOYVAERTS / BELGA MAG / AFP)

Au soir de sa troisième victoire, à Villeneuve-sur-Lot, l'Erythréen s'amusait des centaines de messages reçus depuis le début du Tour sur son téléphone, qui lui faisaient manquer les informations importantes partagées sur la messagerie de groupe de l'équipe. "Biniam, je l'adore et je pense que tout le monde l'adore dans l'équipe", sourit son compagnon de chambre Hugo Page.

Porte-étendard et polyvalence

Depuis ses débuts, Biniam Girmay a été catégorisé sprinteur, mais il est bien plus que cela. Pour quasiment sa première course sur les pavés, il gagne Gand-Wevelgem en 2022, la première victoire d'un coureur d'un pays d'Afrique subsaharienne sur une classique flandrienne.

Un mois et demi plus tard, en Italie, il devient le premier coureur noir africain à s'imposer sur un Grand Tour. Avant donc ses trois victoires et ce maillot vert, qui en font un des sprinteurs les plus complet du peloton. "Habituellement, c'était plutôt un 'puncheur-sprinteur', un sprinteur de talus. Mais là, il s'impose sur des sprints à plat, c'est impressionnant", soulignait Axel Zingle à Agen.

Biniam Girmay, le sprinteur du Tour de France 2024
Le voici dans l'histoire du Tour de France. Un accomplissement pour lui, mais aussi pour beaucoup plus que lui. Biniam Girmay, qui a été déraciné de son pays à peine majeur, vit désormais à Saint-Marin, mais court toujours avec un peuple derrière lui. "Ce n'est pas évident d'arriver d'Afrique en Europe, de s'éloigner de sa famille pendant des mois. Je pense qu'il a retrouvé dans notre équipe un peu de ce qui lui manquait en arrivant, peut-être au contraire d'autres équipes qui lui offraient un plus gros contrat mais où il se sentait moins à l'aise", estime son manager. 

"Au-delà du sportif, c'est très symbolique : c'est l'ouverture à un continent, à l'Erythrée et tout un peuple qui s'intéresse tout à coup au cyclisme avec un grand champion."

Jean-François Bourlart, manager de Biniam Girmay

à franceinfo: sport

Devenu une idole en son pays, "Bini" s'est aussi offert une sacrée stature au sein du peloton. Dans un costume de porte-étendard qu'il n'a pas choisi mais qu'il enfile bien volontiers, Biniam Girmay a progressé très vite, alors qu'il ne disputait que sa deuxième Grande Boucle. "J'ai beaucoup appris de mon Tour de France de l'an passé, je me suis rendu compte que je me mettais de la pression pour rien. J'ai donc changé d'attitude, de philosophie, mon programme d'entraînement. Ce que je réussis sur ce Tour montre que j'ai corrigé mes erreurs”, affirmait-il, posé, après son troisième succès.

Son Tour de France ancre un peu plus l'arrivée de cyclistes africains dans les plus hautes sphères du cyclisme. La tenue des championnats du monde à Kigali (Rwanda) en 2025 est un signe fort du développement du cycliste africain, qui regorge de talents encore difficiles à déceler. Jusqu'à quand ? "Il y aura un champion du monde noir un jour, j'en suis sûr. Mais je ne sais pas si ce sera moi", prophétisait-il en novembre dernier.

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