Tour de France : matériel, préparation, prédispositions... Quelles explications rationnelles après le contre-la-montre stratosphérique de Jonas Vingegaard ?
"Les commentaires, les analyses, les supputations, il y en a forcément." Marc Madiot en a connu d'autres. Le directeur sportif de la Groupama-FDJ a vécu les années noires du cyclisme à l'intérieur du peloton, puis comme dirigeant. Les années EPO, Festina, Lance Armstrong, jusqu'au scandale Aderlass, le dopage a trop souvent marqué le vélo. Au point de faire ressurgir le doute, dans ce sport sali de manière indélébile par la triche, quand Jonas Vingegaard a avalé vitesse grand V le contre-la-montre mardi entre Passy et Combloux (Haute-Savoie).
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Le leader du Tour de France a collé 1'38" à son principal adversaire, Tadej Pogacar. Même sans avoir de "très bonnes dispositions" mardi, le Slovène a battu tout le reste du peloton, des grimpeurs aux spécialistes du contre-la-montre. Trop loin néanmoins pour atteindre un Jonas Vingegaard sur une autre galaxie. Comment le Danois a-t-il pu alors atteindre de tels sommets, une question que même le patron du Tour, Christian Prudhomme, considère comme "pas illégitime" ?
Les progrès techniques du cyclisme
C'est le nouveau nerf de la guerre, en plus de savoir dénicher les talents. Le cyclisme vit une ère de développement technologique comme il en a rarement connu auparavant. Matériel plus performant, travail décuplé sur l'alimentation ou le sommeil… Autant de domaines quasi imperceptibles une fois la course lancée, mais sur lesquels la formation Jumbo-Visma de Jonas Vingegaard règne, de l'aveu général. "Tous ces gains marginaux sont à optimiser à 110 % par rapport à la Jumbo-Visma, nous explique Julien Jurdie, le directeur sportif d'AG2R-Citroën. On est par exemple sur du 1 à 2,5 secondes au kilomètre selon la combinaison que vous portez [jusqu'à 56 secondes rapportées aux 22,4 kilomètres du contre-la-montre]. Toutes les équipes essaient de trouver les meilleures combinaisons, positions, roues ou casques… Là-dessus, Jumbo-Visma est à la pointe." Néanmoins, sur ce chrono, le Danois n'a pas pu bénéficier de l'apport technologique de sa tenue, puisqu'il portait le maillot jaune réalisé par l'organisation (comme Tadej Pogacar, avec le maillot blanc).
Pour Marc Madiot, ces progrès permanents n'ont rien de surprenant, et n'ont pas de quoi jeter le trouble. "C’est dans la nature de la vie et des évolutions du monde que de chercher à progresser, à s'améliorer et à aller de mieux en mieux et de plus en plus vite, avance-t-il. Ce n'est pas propre au cyclisme, dans n'importe quel sport ou dans n'importe quelle activité économique, c'est la même chose." Christian Prudhomme résume ainsi : "Désormais, ce sont des moines soldats les champions d’aujourd’hui, qui ne peuvent pas se permettre le moindre écart. Cela explique une partie des performances supérieures."
La préparation
Mieux équipé, Jonas Vingegaard possède un premier atout dans sa manche. Mais il n'est pas le seul de la Jumbo-Visma à bénéficier des mêmes avantages. Wout van Aert, un des coureurs les plus puissants du monde et un des meilleurs rouleurs en contre-la-montre, a fini troisième du jour mais à 2'51" de son équipier. Le Danois a notamment fait la différence par sa préparation en vue de ce contre-la-montre.
"Les images de Vingegaard dans la descente étaient juste incroyables, hallucine Julien Jurdie. La prise de risques, l'agressivité avec le maillot jaune sur le dos… Il était au millimètre dans tous les virages. Avec cette préparation, parce que j'imagine qu'il a reconnu de nombreuses fois ce chrono et cette descente, je pense que Felix Gall, qui fait un super chrono (13e, à 3'40") prend entre trente et cinquante secondes rien que dans la descente." Plus costaud lors de la dernière étape de montagne avant le jour de repos, Jonas Vingegaard a confirmé son état de forme et sa montée en puissance mardi.
Des capacités physiques hors du commun
Jonas Vingegaard n'est pas sorti de nulle part mardi, et avait déjà signé des prestations de haut-vol l'an passé. La puissance qu'il a dégagée dans la côte de Domancy, et même lors de kilomètres précédents sur le plat, a toutefois bluffé et fait exploser les compteurs au propre, comme au figuré. Vingegaard pensait son matériel défectueux, il n'aura finalement brisé que la concurrence.
"Il était peut-être dans la journée de sa vie, où il ne sentait pas les pédales", envisage Julien Jurdie. "Quand des mecs exceptionnels ont des journées exceptionnelles ça donne quelque chose comme ça", renchérit son coureur, Aurélien Paret-Peintre. "Physiologiquement, Vingegaard ou Pogacar sont hors-normes par rapport à l'ensemble du peloton, comme on retrouve dans d'autres sports, poursuit Julien Jurdie. Johannes Boe a dominé la saison de biathlon, lui aussi avec des écarts assez fous."
"Apparemment, il est très fort, réagit laconique Patrick Lefévère, le manageur de la Soudal-Quick-Step. J'ai toujours entendu qu'il avait un très grand moteur. Je pense qu'il est encore plus grand que ce que l'on pensait. Il y a des voitures qui font du trois litres, trois litres et demi. Lui, c'est un V12. Pogacar aussi a un très gros moteur, mais il n'est pas aussi aérodynamique. Aux vitesses qu'on atteint aujourd'hui, cela a un rôle." Son coureur Rémi Cavagna, champion de France du chrono et 6e mardi, rappelle aussi à quel point le profil montagneux des 22,4 kilomètres collait aux qualités du maillot jaune. "Sur les pentes difficiles comme ça, je sais que les non grimpeurs comme moi peuvent perdre beaucoup de secondes. La différence est impressionnante sur trente-cinq minutes d’efforts."
Propos recueillis à Saint-Gervais Mont-Blanc par nos envoyés spéciaux Hortense Leblanc et Théo Gicquel
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