Vatican : "En coulisses, une divergence entre Italiens et non-Européens"
Pourquoi le conclave se fait-il attendre ? Les cardinaux sont-ils divisés ? Les explications de Bernard Lecomte, spécialiste du Vatican.
Près d'un mois après l'annonce de la renonciation de Benoît XVI, nul ne sait, jeudi 7 mars, à quelle date se tiendra le conclave, l'assemblée de 115 cardinaux chargée d'élire le prochain pape. En l'absence de calendrier précis, les spéculations vont bon train sur la possible identité du futur souverain pontife. Mais que cache cette lenteur ? Les cardinaux sont-ils divisés ? Quels enjeux cette élection soulève-t-elle, en coulisses ? Pour le comprendre, nous avons interrogé Bernard Lecomte, auteur notamment de l'essai Les Derniers Secrets du Vatican (Perrin).
Déjà un mois que Benoît XVI a annoncé sa renonciation... Et toujours rien. Pourquoi une telle attente ?
Habituellement, c'est la mort d'un pape qui commande ce calendrier, avec ses suites très immédiates : convocation de cardinaux lointains, cérémonie d'obsèques et vague d'émotion dans le monde. Avec la renonciation de Benoît XVI, on est dans l'inédit, car les cardinaux ont eu presque trois semaines pour préparer le conclave à Rome, entre l'annonce de la démission du pape et l'abandon réel du poste. Même si la date du conclave n'est pas encore fixée, on peut néanmoins être sûr à 99% qu'il aura lieu au mois de mars, avant Pâques.
Quelle forme ces discussions prennent-elles ?
On peut distinguer deux modalités de "tractations". D'un côté, le matin, les cardinaux sont réunis dans la salle du synode pour les congrégations générales. Tout est très formel, on y pratique beaucoup la langue de bois. Puis ils vont manger, parfois faire la sieste, et en fin d'après-midi, il se passe tout autre chose. Certains se retrouvent de façon informelle, par exemple dans des institutions religieuses ou des cafés romains. Cela n'étonne personne à Rome de voir des cardinaux en habit discuter dans une trattoria... Là, ils échangent, avant tout pour faire connaissance. Il faut rappeler que beaucoup de cardinaux venus du bout du monde ne se connaissent pas. Depuis hier, toutefois, on perçoit des affinités un peu inattendues entre les cardinaux nord-américains et beaucoup de cardinaux du tiers-monde.
Comment l'expliquer ?
On sent une vraie divergence de vues entre les "cardinaux de Curie" et les autres. Ces cardinaux, qu'on appelle parfois aussi "romains" ou "italiens", craignent qu'un conclave ne s'oriente un peu trop vers la réforme de la Curie, l'administration du Saint-Siège qui compte environ deux mille personnes. C'est de cette Curie que se sont échappées les rumeurs qui ont émaillé la fin du pontificat de Benoît XVI, telles que l'affaire Vatileaks ou la question d'un "lobby gay" au Vatican. Ces cardinaux veulent enterrer tout cela et garder le pouvoir.
Mais ils sont confrontés à des cardinaux dits "résidents", qui sont par exemple archevêques à Bombay, Rio, New York ou Conakry. Ces cardinaux de terrain ont été très agacés par toutes ces affaires et ces rumeurs. Ils voudraient bien faire le ménage et assainir la situation, pour réformer la gouvernance de l'Eglise. Retarder le conclave leur permet de faire progresser leurs points de vue.
Certains cardinaux feraient-ils campagne, en coulisses ?
On ne peut pas présenter les choses comme cela. Le conclave, faut-il le rappeler, élit le pape sans programme, sans campagne et sans candidat. Pensez au film de Nanni Moretti, Habemus Papam. La scène de conclave dans laquelle les cardinaux se disent "pas moi Seigneur, pas moi Seigneur" se produit effectivement à chaque conclave. Lui en a fait une farce à l'italienne, mais il n'imaginait pas à quel point il était proche de la réalité. Ratzinger a quand même dit : "J'ai vu s'approcher de moi la guillotine", c'est dire combien devenir pape n'était pas son rêve premier ! Les cardinaux, sauf très rares exceptions, n'ont aucune envie de devenir pape. Etre pape, c'est ne plus s'appartenir. Les audiences, les cérémonies, les voyages, le travail écrit… Tout au plus Benoît XVI arrivait-il à jouer du piano de temps en temps.
Lors de son élection, Benoît XVI était un des seuls cardinaux à avoir connu Vatican II. Une "nouvelle génération" est-elle en train d'émerger ?
Oui. A l'époque de Vatican II, le futur pape Jean Paul II et le futur pape Benoît XVI étaient là, l'un comme évêque et l'autre comme professeur de théologie. A partir du prochain conclave, les cardinaux puis les futurs papes ne seront pas de la même génération. Ce n'est pas seulement une question d'âge. Cette génération a vécu dans l'Europe de l'entre-deux-guerres où les grands problèmes s'appelaient nazisme, antisémitisme, guerre, etc. Aujourd'hui, c'est fini. La nouvelle garde sera plus ouverte à d'autres grands sujets de préoccupation, comme la violence et la misère dans le monde, les conflits interreligieux ou, très important, la bioéthique.
L'opposition entre conservateurs et réformistes appartient-elle au passé ?
Je pense que oui. De même qu'il y a quelques années, on parlait d'un pape réformateur ou d'un conservateur, demain on parlera plutôt d'un Européen ou d'un représentant du tiers-monde. En réalité, je pense que le prochain pape devra être un peu les deux. On n'imagine pas un pape qui soit un chef de clan recroquevillé sur les affaires européennes ou, à l'inverse, qui porte aux nues les valeurs du tiers-monde. Il faudra un fédérateur. Si je n'avais qu'un pronostic à faire, ce serait celui-là. Fédérer une Eglise universelle et à la fois très diverse, sur le plan social, spirituel comme sur celui de la pratique religieuse.
On peut donc s'attendre à des surprises ?
Absolument. La renonciation de Benoît XVI marque la fin d'un cycle, et le cycle qui vient est fait de mille inconnues. Qui peut dire aujourd'hui quels seront les problèmes de l'Eglise dans dix ou vingt ans ? Parmi les noms qui circulent aujourd'hui ne figure pas forcément celui du prochain pape. Sur les seize dernières élections, seuls trois favoris ont effectivement été élus : Pie XII, Paul VI et Benoît XVI.
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