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Vrai ou faux Climat : la France est-elle en avance sur ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre, comme l'assure le gouvernement ?

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
La Première ministre, Elisabeth Borne et le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, lors d'une réunion, à Paris, le 21 novembre 2022. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Si la France peut se réjouir d'être restée dans les clous du "budget carbone" qu'elle s'est fixé en 2020, elle a bénéficié d'un contexte très particulier, ainsi que d'une méthodologie (pour l'instant) complaisante.

La France est-elle une bonne élève en matière de lutte contre le réchauffement climatique ? A l'occasion de la remise d'un rapport de France Stratégie à la Première ministre, lundi 22 mai, sur le financement de la transition écologique, Elisabeth Borne s'est félicitée de l'action du gouvernement en la matière. "Depuis 2019, nos émissions réelles ont été systématiquement inférieures aux objectifs fixés, a-t-elle déclaré. Nous sommes en avance sur nos objectifs 2019-2023 et nous avons pratiquement rattrapé le retard accumulé lors de la période précédente."

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Invité de France Inter mardi, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a repris les mêmes mots. "Non seulement on a atteint l'objectif [entre 2019 et 2023], mais on est, entre guillemets, en avance, a-t-il pointé. Ça paraît bizarre de dire que l'on est en avance tant il y a urgence pour la planète. Mais c'est un fait." Alors que les scientifiques du Giec et les ONG martèlent qu'il est urgent d'accélérer la baisse de ces émissions issues des activités humaines, la France est-elle vraiment en avance sur ses objectifs ? 

Un objectif atteint mais à relativiser

Pour l'affirmer, Elisabeth Borne et Olivier Véran s'appuient sur les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Ce document, adopté pour la première fois en 2015, trace la feuille de route du gouvernement en matière de baisse des émissions de gaz à effet de serre, secteur par secteur ainsi que tous secteurs confondus, avec un objectif : atteindre la neutralité carbone en 2050, conformément à l'accord de Paris. 

L'année 2050 semblant encore assez lointaine, la SNBC fixe pour la France un "budget carbone", c'est-à-dire un plafond maximal d'émissions de CO2, par tranche de cinq années. Pour la période 2019-2023, la France disposait ainsi d'un budget total de 422 millions de tonnes équivalent CO2 (CO2e) à ne pas dépasser. Le verdict est tombé le 2 mai, dans le dernier rapport de l'association chargée par le gouvernement de surveiller ces émissions au niveau national : "Le niveau pré-estimé sur l'année 2022, qui reste à consolider, s'élève à 408 Mt CO2e, soit une réduction de 2,5% par rapport à 2021 (-6,2% comparé à 2019)." Bien que reposant sur des éléments factuels, si cela "paraît bizarre", comme l'a souligné Olivier Véran, c'est que ces chiffres sont à relativiser.

Une baisse qui peut être liée à la conjoncture

Le Conseil d'Etat s'en est d'ailleurs chargé, dès le 10 mai. Saisis en 2019 par la commune de Grande-Synthe (Nord), qui accuse le gouvernement d'"inaction climatique", les Sages ont émis un doute sur le fait que cette baisse récente des émissions soit le résultat de politiques permettant de fixer durablement vers le bas cette trajectoire. "Il existe une incertitude sur le point de savoir si ces résultats sont liés à des actions du gouvernement ou au contexte particulier des dernières années, caractérisé par de fortes baisses de l'activité (2020, avec la pandémie de Covid-19 et deux confinements) puis à la crise de l'énergie (2022 avec la guerre en Ukraine)", écrit l'institution. 

Le Conseil d'Etat s'appuie sur les écarts observés d'une année sur l'autre : baisse de 9,6% en 2020, année de tous les confinements. Effet "rebond" en 2021, avec une hausse des émissions de 6,4%. Et enfin, baisse de 2,5% en 2022. Que cette dernière soit ou non liée à la conjoncture, elle montre que la France, à la diète énergétique, n'est pas immunisée contre l'effet yoyo.

Le Haut Conseil pour le climat, chargé de déterminer l'impact des politiques publiques sur les émissions de gaz à effet de serre, montre dans son dernier rapport de juin 2022 que l'action gouvernementale "progresse mais reste insuffisante" pour relever les défis que la France s'est fixés. Sur les 25 orientations posées par la SNBC, seules six s'étaient traduites, en 2021, par des mesures à la hauteur des ambitions. Quinze orientations bénéficiaient de mesures "ponctuellement en phase" avec la SNBC et quatre autres étaient "en déphasage". Avec un tel bilan, "des risques majeurs de ne pas atteindre les objectifs fixés par la France pour la réduction des gaz à effet de serre persistent", s'inquiète l'institution.

Des ambitions revues à la baisse en 2020

D'autant plus que, depuis l'adoption de cette feuille de route, en 2015, la France a réduit ses ambitions. Dans la première mouture de la SNBC, le budget carbone français s'établissait non pas à 422 millions de tonnes équivalent CO2, mais à 398 millions de tonnes équivalent CO2. Si l'on se réfère à cet objectif initial, le pays n'est pas "en avance" de 14 millions de tonnes équivalent CO2, mais en retard de 10 millions de tonnes.

Pour justifier ce réajustement, adopté par décret en 2020, le Premier ministre d'alors, Edouard Philippe, avait estimé que les retards pris sur les objectifs de la tranche 2015-2018 ne pouvaient être "rattrapés" et devaient donc se répercuter par "souci de sincérité et de réalisme" sur une tranche ultérieure. 

Cependant, le budget 2024-2028, lui, est resté quasi inchangé, passant de 357 à 359 millions de tonnes équivalent CO2. L'effort en faveur de la baisse des émissions devra donc être bien plus marqué au cours des années qui viennent, comme l'a déclaré Elisabeth Borne dans sa présentation, lundi, des grandes lignes du plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030

L'angle mort des émissions importées

Enfin, afficher une baisse des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire national ne signifie pas que le pays peut se décerner la médaille d'or de la lutte contre le réchauffement climatique. Un ordinateur fabriqué en Chine, un steak brésilien, une paire de baskets made in Bangladesh… Ces émissions induites par la consommation, en France, de biens produits à l'étranger ne sont pas soustraites au budget carbone défini dans la SNBC.

Elles font pourtant relativiser la portée de l'effort tricolore : en 2017, date de la dernière comparaison entre les deux modes de calcul, les émissions de la France bondissent de 445 millions de tonnes équivalent CO2 à 633 millions de tonnes quand on comptabilise ces émissions dites "importées". 

Dès 2019, le Haut Conseil pour le climat recommandait au gouvernement d'"améliorer la caractérisation des émissions importées" et de "clarifier comment ces émissions seront réduites de manière cohérente avec l'objectif de neutralité carbone en 2050". L'article 8 de la loi Energie Climat (votée en 2019) prévoit qu'à compter de 2022, les révisions de la SNBC introduisent un plafond d'"émissions engendrées par la production et le transport vers la France de biens et de services importés, en soustrayant celles engendrées par la production de biens et de services exportés". Rendez-vous est pris en 2025, date de la prochaine mise à jour de ce budget carbone, décidément de plus en plus serré.

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