: Vrai ou faux Recyclage : le tri sélectif des déchets sert-il vraiment à quelque chose ?
"De toute façon, tout finit dans la même benne, ça ne sert à rien de faire le tri..." Vous avez sans doute déjà entendu cette réflexion désabusée, qui sonne comme une très bonne excuse pour ne pas trier ses déchets. Peut-être l'avez-vous, vous-même, déjà prononcée. Si neuf Français sur dix déclarent trier leurs emballages, ils ne sont que la moitié à le faire systématiquement, selon une enquête menée par Ipsos pour Citeo en 2019. Pourtant, depuis le 1er janvier dernier, le tri est devenu encore plus simple : tous les emballages, même sales, vont dans la poubelle jaune.
Et les récalcitrants vont bientôt devoir mettre les bouchées doubles. À partir du 1er janvier 2024, la mise en place du tri des déchets biodégradables sera obligatoire. Une nouvelle poubelle marron va donc devoir trouver sa place entre la poubelle jaune et le bac à verre. Mais le tri sert-il vraiment à quelque chose ? A l'occasion de la Semaine européenne de la réduction des déchets, qui commence samedi 18 novembre, franceinfo s'est penché sur la question.
Des cas particuliers et "très minoritaires"
"Aujourd'hui, le dispositif français est performant. Sous réserve que les emballages aient été bien triés, tout ce qui est mis dans le bac jaune part au centre de tri", assure Jean-Charles Caudron, spécialiste du sujet au sein de l'Ademe, l'Agence de la transition écologique. Autrement dit : non, les éboueurs ne jettent pas toutes les poubelles dans la même benne, en dehors de cas très minoritaires.
Il peut arriver qu'un bac de tri soit collecté en même temps que les autres poubelles "si, au contrôle visuel, l'éboueur voit qu'il a des déchets qui souillent la poubelle jaune", explique Helder De Oliveira, directeur de l'Observatoire régional des déchets en Ile-de-France (Ordif). Par exemple, si des pots de sauce tomate à moitié pleins ou des couches usagées se retrouvent dans une poubelle jaune, il vaut mieux l'exclure de la collecte de tri, plutôt que prendre le risque de salir toute une benne de déchets triés.
D'autres situations peuvent justifier cette pratique, notamment "en cas de perturbations exceptionnelles, liées à des mouvements de grève par exemple", rapporte Helder De Oliveira. En cas d'amoncellements de déchets sur la voie publique, la priorité est en effet donnée à l'enjeu sanitaire. Les poubelles sont alors toutes collectées ensemble, le temps que la situation revienne à la normale. Enfin, dans certaines zones rurales, il existe des bennes bicompartimentées, qui permettent de collecter séparément les poubelles recyclables et les déchets résiduels, en faisant rouler une seule fois le camion benne.
Les cas de déchets recyclables jetés avec les ordures résiduelles sont donc marginaux. Pour autant, "on ne collecte que 40% du gisement de déchets recyclables", déplore le directeur de l'Ordif. Pour aboutir à ce chiffre, l'Observatoire a comparé la quantité de déchets collectés dans les poubelles jaunes d'Ile-de-France avec la quantité de déchets recyclables retrouvés dans les poubelles vertes. "Les gens ne trient pas assez", regrette Helder De Oliveira. Il se garde cependant de rejeter le problème uniquement sur les particuliers. "Actuellement, trier ses déchets est un acte bénévole. Il faudrait mettre en place des incitations pour que, si vous triez bien, vous y gagniez quelque chose", propose-t-il.
Les petits emballages plastiques difficilement recyclés
Depuis la loi Grenelle II, adoptée en 2010, les fabricants de produits manufacturés sont responsables des déchets que leur activité génère. Concrètement, un producteur de yaourts se doit de financer la collecte, la gestion et la valorisation des pots usagés. Mais la plupart des entreprises n'ont pas les ressources en interne pour le faire. Elles se sont donc organisées par secteurs pour déléguer cette responsabilité à des organismes tiers, à qui elles versent une éco-contribution. Pour les emballages et les papiers, c'est l'entreprise privée à but non lucratif Citeo qui en est chargée.
Selon sa directrice des opérations, les entreprises n'ont aucun intérêt à ne pas jouer le jeu, car en plus de payer une taxe sur les déchets non recyclés, ceux qui sont recyclés créent de la valeur. "La tonne de PET [c'est-à-dire de plastique clair] valait tout de même 800 euros au début de l'année", souligne Anne-Sophie Louvel. Selon les données établies par l'entreprise, 72% des emballages ménagers et 62% des papiers sont recyclés. Pour obtenir ces chiffres, Citeo compare la quantité d'emballages mis sur le marché et la quantité d'emballages qui sont collectés dans le circuit de tri.
Alors pourquoi est-on encore loin d'atteindre le taux de 100% ? Au-delà des problèmes de tri ou de collecte, les déchets qui arrivent en centre ne sont pas systématiquement recyclés car "on ne maîtrise pas encore complètement le processus pour toutes les filières", explique Jean-Charles Caudron. C'est le cas des petits emballages plastiques, comme les pots de yaourt. Actuellement, seuls 11% des emballages en plastique (hors bouteilles et flacons) sont recyclés, selon Citeo. Pour autant, il est important de continuer à jeter les petits emballages plastiques dans la poubelle jaune, car cela incite les entreprises et les filières de recyclage à faire des efforts pour qu'ils soient de plus en plus traités.
"On est dans une logique industrielle. Tant que les Français ne mettent pas leur pot de yaourt dans la poubelle jaune, il n'y aura pas d'usine pour les recycler."
Jean-Charles Caudron, directeur de la supervision des filières REP à l'Ademe,à franceinfo
D'ailleurs, rappelle Jean-Charles Caudron, même si tous les petits emballages ne sont pas recyclés, "tous ceux qui arrivent en centre de tri sont a minima utilisés pour faire du combustible". Ce n'est pas le cas de ceux placés dans la poubelle noire, qui sont incinérés.
Trier ses déchets n'est donc jamais inutile. Mais ce qui est encore mieux, c'est de ne pas en produire. Selon le Haut Conseil pour le climat, les déchets sont responsables de 4% des émissions de gaz à effet de serre en France, soit l'équivalent de 15 millions de tonnes de CO2 en 2019. Ces émissions sont principalement imputables à la mise en décharge et à l'incinération, mais les processus de recyclage ne sont, pour autant, pas entièrement neutres en termes d'impact carbone. "Il faut réduire le flux de déchets, même recyclables", plaide l'association Zéro Waste France. "Des solutions existent : la consigne, le réemploi, etc. Il y a un engouement citoyen sur la question de la réduction des déchets, mais les lois ne sont pas assez ambitieuses", regrette-t-elle. La loi anti-gaspillage, votée en 2020, prévoit de supprimer progressivement les emballages en plastique à usage unique, d'ici 2040.
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