Procès des viols de Mazan : Caroline Darian, la fille de Gisèle et Dominique Pelicot, raconte le "cataclysme" subi par sa famille

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Caroline Darian, au tribunal judiciaire d'Avignon (Vaucluse), le 5 septembre 2024. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)
La fille de la victime et du principal accusé a témoigné pour la première fois vendredi dans le procès qui s'est ouvert lundi à Avignon, devant la cour criminelle départementale du Vaucluse.

Emue, mais déterminée, Caroline Darian s'est avancée à la barre, par l'allée centrale de la salle d'audience, bordée, de part et d'autres, de nombreux accusés (plus de la moitié comparaissent libres). Nous sommes au cinquième jour du procès dit "des viols de Mazan", vendredi 6 septembre, et c'est la première fois que la cour criminelle du Vaucluse entend, dans ce cadre, le récit de la fille de Gisèle et Dominique Pelicot. "Je m'exprime au nom de ma fratrie", a-t-elle débuté, sous les yeux de ses deux frères, David et Florian, très émus. 

"Je suis la fille du principal accusé et de la victime avérée, qui a subi des actes d'une atrocité insoutenable", poursuit-elle, d'un ton posé. Afin de protéger son couple et son enfant, elle s'exprime publiquement sous son nom de plume, avec lequel elle a publié, en avril, Et j'ai cessé de t'appeler papa. Sa solennité tranche avec le débit rapide de sa mère, entendue jeudi.

Le 2 novembre 2020, sa vie "a littéralement basculé". "Il y a eu un avant et un après" ce jour où sa mère l'a appelée, depuis Mazan, pour lui annoncer l'insoutenable, "à 20h25", précise-t-elle. "Avant le 2 novembre 2020, nous avions une famille unie. Nous avons traversé tellement d'épreuves tous ensemble. J'aimais mon père. J'aimais l'image de l'homme que je croyais connaître. L'image de cet homme sain, bienveillant, prévenant", détaille-t-elle sous les yeux de celui qu'elle désigne désormais comme son "géniteur", en larmes dans le box des accusés.

"Une femme brisée" 

"Caroline, il faut que tu t'assoies, j'ai quelque chose de très grave à t'annoncer, et ça concerne ton père", la prévient sa mère le jour de ce coup de téléphone. A ce moment-là, son père est suivi pour des problèmes respiratoires. "Je l'imagine en réanimation, je pense qu'il est sur le point de mourir", se souvient-elle. "Ton père me droguait depuis des années pour me faire violer par des inconnus", lui annonce alors Gisèle Pelicot. "C'est précisément ce qu'on appelle, dans la vie, un point de bascule", dit Caroline Darian d'une voix tremblante, décrivant un "glissement, où l'on ne sait pas jusqu'où on va descendre". Son mari est présent à ce moment-là, son fils alors âgé de 6 ans aussi. "On le met dans une pièce à part, pour qu'il n'entende pas les cris de sa mère qui est en train de dévisser dans le salon", relate-t-elle. 

Le lendemain, elle emmène son fils à l'école. Le petit garçon vient d'entrer en CP. "Je ne peux pas lui dire qu'il ne reverra plus jamais son grand-père, dit Caroline Darian en pleurs, je ne peux pas lui dire que je suis déjà une femme brisée et une maman qui va sans doute avoir de grandes difficultés pour continuer à être celle que je suis à ce moment-là".

La découverte des photos d'elle dénudée 

Elle prend ensuite un train pour Mazan, avec ses frères. Quand ils retrouvent leur mère, "elle est détruite", décrit-elle. Le commissaire de Carpentras, qui a annoncé les faits à Gisèle Pelicot la veille, les reçoit. "Dans son regard, je vois bien que cet homme-là ne sait pas quels mots il va devoir choisir pour dire ce qu'il doit nous dire." Et là, cette phrase, terrible : "On pense qu'ils sont à peu près entre 30 et 50, mais on sait pas vous dire combien", lâche le policier. Il parle des hommes recrutés par Dominique Pelicot sur le site "coco.gg" pour violer son épouse. 

"Je reverrai toujours David [son frère], blanc, stoïque, et mon petit frère, Florian, s'affaisser, je peux pas vous le dire autrement", se souvient Caroline Darian. Quelques détails leur sont livrés sur l'affaire, notamment concernant les ordonnances de Temesta, ces anxiolytiques obtenus par leur père pour sédater leur mère. 

Dans la même journée, le commissaire la rappelle et lui annonce qu'elle doit revenir au commissariat. "Je comprends tout de suite que je vais devoir voir des choses qui ne vont vraiment pas me faire plaisir", se remémore-t-elle. En montant les escaliers qui mènent jusqu'au bureau du commissaire, ses jambes "flageolent". On lui montre une première photographie, qui, pensent les enquêteurs, la représente. Sur ce cliché, on voit "une femme qui, a priori, dort, allongée sur le côté, la lumière allumée, on voit ses fesses en gros plan, la couette relevée sur le côté", détaille Caroline Darian, assurant, dans un premier temps, ne pas reconnaître cette personne. "Non, ce n'est pas moi", dit-elle. 

On lui montre ensuite un deuxième cliché. "Même position, même femme a priori. Même culotte. Même mise en scène". Elle ne se reconnaît toujours pas. Jusqu'à ce que le commissaire lui demande : "Madame, c'est bien vous qui avez une tache brune sur la joue droite ?" "Je me découvre, poursuit-elle, accusant le choc. Je découvre qu'il m'a photographiée à mon insu, dénudée. Pourquoi ? Je comprends tout de suite, avant de faire une crise de tétanie, que je suis moi-même droguée sur ces photos, parce que je ne dors pas comme ça", lance Caroline Darian.

"Il s'agit bien d'une soumission chimique" 

"Aujourd'hui, je ne te tiens pas à enfoncer mon père. La justice se chargera de le juger pour des faits et des preuves tangibles. Ce que je peux vous dire, c'est que dans ce dossier, il s'agit bien de soumission chimique", assure-t-elle, soulignant que, "dans la majorité des cas de victimes de soumission chimique, les preuves comme celles dans le dossier de ma mère, ça n'existe pas". La quadragénaire a depuis fondé l'association "M'endors pas : stop à la soumission chimique" pour aider les victimes.  

Caroline Darian charge son père, d'une voix forte, lui reprochant de ne pas reconnaître les faits : "Tant qu'il n'y a pas de preuve irréfutable, il n'avoue pas." Elle conclut sa déposition en s'adressant directement au président de la cour, Roger Arata : "Comment fait-on, pour une personne comme moi, pour aller mieux ? Pour espérer avoir une vie de femme normale, une vie sexuelle normale ? Comment fait-on pour se reconstruire sur des cendres, quand on sait que son père est sans doute l'un…". Elle s'interrompt, reprend son souffle. "Quand on sait que son père est sans doute l'un des plus grands prédateurs sexuels de ces vingt dernières années." 

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