Cet article date de plus de sept ans.

Deux mois après, que deviennent les mineurs évacués de la "jungle" de Calais ?

Tandis qu'une minorité d'entre eux a réussi à rejoindre légalement le Royaume-Uni, certains de ces jeunes migrants désertent les centres d'accueil pour retenter leur chance à Calais.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un migrant soudanais circule dans les rues de Préfailles (Loire-Atlantique), quelques jours après son arrivée, en novembre 2011, dans un centre d'accueil et d'orientation pour mineurs isolés. (MAXPPP)

Depuis les Pyrénées, à 1 000 km de Calais, ils continuent de s'accrocher à leur rêve britannique. Une trentaine de migrants mineurs manifestent devant la mairie de Bagnères-de-Luchon (Haute-Garonne), vendredi 16 décembre, pour exprimer leur désarroi. Le matin même, ils ont appris le rejet de leur demande d'asile par le Royaume-Uni. Dans la cité thermale, où ils sont hébergés en centre d'accueil et d'orientation (CAO) depuis le démantèlement de la "jungle", fin octobre, ils demandent aux autorités britanniques de respecter leurs promesses d'accueil.

Ils ne sont pas les seuls. Le même jour, deux jeunes migrants ont été brièvement hospitalisés alors qu'ils avaient entamé, la veille, une grève de la faim avec les 17 autres occupants du CAO de Réalville (Tarn-et-Garonne). A Sainte-Marie-La-Mer (Pyrénées-Orientales), deux représentantes du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ont fait les frais de la tension ambiante, le 14 décembre. Après ce qui semblait être un problème de traduction lors d'une discussion, le pare-brise de leur voiture a été cassé par des migrants en colère et la porte du bureau où elles s'étaient réfugiées a été endommagée.

A travers la France, l'ambiance est devenue pesante dans la soixantaine de CAO accueillant des mineurs venus de Calais. Au total, selon le ministère de l'Intérieur, 1 941 migrants ont été pris en charge dans ces structures, qui devaient leur servir de tremplin pour traverser la Manche. Pour 468 d'entre eux, cet espoir s'est concrétisé. Pour les autres, trois fois plus nombreux, c'est l'impasse.

"Un tri aléatoire"

"Ils jouent avec nous, avec notre avenir, avec nos vies", se désole Ibrahim, 16 ans. Cet Afghan hébergé à Ardes-sur-Couze (Puy-de-Dôme) ne comprend pas pourquoi les Britanniques ont écarté son dossier. "Des jeunes d'ici ont pu aller rejoindre des cousins, mais, moi, ils me refusent, déclare-t-il à France 3 Auvergne. Ils m'ont dit que ma tante ne pouvait pas être considérée comme de la famille proche." 

Contactée par franceinfo, la responsable de la structure, Marie-Noëlle Hippeau, confirme une impression de "tri aléatoire" chez les migrants. Les autorités britanniques ont, comme partout ailleurs, fait le déplacement à Ardes-sur-Couze, en novembre, pour rencontrer les postulants. "Certains jeunes ont été considérés adultes, sans aucun test médical, juste par délit de faciès, dénonce-t-elle. D'autres n'ont pas été jugés suffisamment vulnérables, quand bien même ils s'étaient tailladé le poignet en arrivant ici."

En application du règlement européen Dublin 3, le Royaume-Uni s'était engagé à accepter tous les mineurs isolés ayant de la famille prête à les accueillir outre-Manche. D'autres dossiers devaient être étudiés, en fonction de l'âge des migrants, de leur nationalité ou encore de leur vulnérabilité face à l'exploitation sexuelle. "Au final, l'approche britannique a été extraordinairement restrictive et le compte n'y est pas", assure à franceinfo le directeur général de l'association France terre d'asile, Pierre Henry. "On ne sait pas trop ce qui va se passer pour les autres jeunes", s'inquiète le responsable de l'asile à la Cimade, Gérard Sadik, joint par franceinfo.

Londres "continue l'examen des dossiers"

Tout espoir s'est-il définitivement envolé pour les quelque 1 500 migrants refusés ? "Non, nous continuons à examiner les dossiers", assure à franceinfo le ministère britannique de l'Intérieur. Dans le Puy-de-Dôme, comme en Dordogne ou dans le Tarn-et-Garonne, les autorités françaises vont donc soumettre les cas contestés à leurs homologues britanniques. "Tous nos jeunes ont écrit un recours, en appuyant parfois leurs demandes avec des documents attestant des liens familiaux", indique la responsable du CAO d'Ardes-sur-Couze. Certains espèrent aussi être acceptés par l'Irlande, qui a promis d'accueillir 200 mineurs.

En cas de refus définitif, les déboutés devront se résoudre à envisager un avenir en France. S'ils sont majeurs, ils seront orientés vers un CAO pour adultes, où ils pourront déposer une demande d'asile. S'ils sont toujours mineurs, ils seront placés sous la responsabilité des services départementaux de l'Aide sociale à l'enfance (ASE). "Des entretiens avec l'ASE ont déjà eu lieu dans le Finistère, il y en aura bientôt dans le Morbihan", dit à franceinfo le président de la Caisse mutuelle d'action sociale des deux départements, Bruno Rathouit.

Peu d'incidents et beaucoup de solidarité

S'ils n'ont pas réussi à rejoindre leur eldorado, les jeunes répartis dans les CAO français ont réussi à faire taire nombre de leurs détracteurs. A Saint-Denis-de-Cabanne (Loire), où une manifestation antimigrants avait été organisée par le Front national, les seuls incidents signalés depuis la rentrée ont été l'œuvre d'opposants au projet, avec deux convocations judiciaires à la clé.

Dans le village, un comité citoyen a été créé, avec 150 bénévoles et plusieurs groupes de travail fournissant des vêtements et proposant des activités aux nouveaux venus. "Même des gens qui étaient contre et qui ont été virulents viennent aider, parce qu'ils se rendent compte qu'il y avait une part de peur irrationnelle", indique le maire, René Valorge, à France 3 Rhône-Alpes.

Ailleurs, les migrants ont eu le droit à des accueils tout aussi chaleureux. Dans le Puy-de-Dôme, avec l'aide de bénévoles, les Afghans ont pu construire des cerfs-volants, une activité phare dans leur pays d'origine. Dans le Vaucluse, à Grambois, le maire, Alain Feretti, annonce à franceinfo "le lancement d'une collecte de cadeaux en vue du Noël orthodoxe, le 7 janvier, qui sera fêté dans le centre" avec les jeunes Erythréens.

L'un des rares incidents commis par un migrant a été signalé à Arzon (Morbihan), le 10 novembre. Un Soudanais de 16 ans est suspecté d'avoir touché le sein d'une sexagénaire et d'avoir mimé une masturbation devant elle. Il sera convoqué devant la justice en mars et a été transféré dans un autre centre. "Depuis, tout se passe très bien", affirme Bruno Rathouit, en charge du centre, où les jeunes "jouent notamment au football avec le club local".

Des fugueurs reprennnent la route de Calais

Dans quelques semaines, les premiers CAO fermeront leurs portes. Sur tout le territoire, les responsables des centres redoutent de voir des jeunes sortir des radars pour tenter de rejoindre le Royaume-Uni. Des fugues ont déjà eu lieu. Selon les chiffres communiqués à franceinfo par le ministère de l'Intérieur, 170 cas ont été recensés en moins de deux mois. "A Luchon, ce lundi, nous avons eu deux départs de jeunes qui veulent se rapprocher de Calais", indique la direction du CAO.

"Je suis persuadée que ceux qui ont de la famille au Royaume-Uni ou qui parlent anglais vont retourner à Calais, se désole la responsable du centre d'Ardes-sur-Couze. Ici, en Auvergne, ils se sentent inutiles. Ils ne peuvent même pas essayer de passer. Ils ont l'impression de ne pas pouvoir prendre leur vie en main." En 2016 comme en 2017, Calais n'a pas fini d'attirer les migrants.

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.