Mali. "Ce n'est pas la France qui a l'initiative, mais les jihadistes"
Spécialiste de l'islam contemporain et du fondamentalisme jihadiste, Jean-Pierre Filiu confie à francetv info son inquiétude face aux événements africains.
Jean-Pierre Filiu est un spécialiste de l'islam contemporain et du fondamentalisme jihadiste, auteur des Neuf vies d'Al-Qaïda, chez Fayard, en 2009. Il confie à francetv info son inquiétude face aux événements africains.
Francetv info : Du Mali à la Somalie, et à présent en Algérie, le champ d'action jihadiste apparaît extrêmement large. Des milliers de kilomètres séparent tous ces points. Y a-t-il une coordination islamiste en Afrique ?
Jean-Pierre Filiu : Certes, les distances importantes qui séparent toutes les zones concernées sont plus que remarquables. Mais cela n'implique pas qu'il y ait une structure de commandement islamiste qui s'exercerait par-delà les frontières. Je dirais même, au contraire.
Je pense que nous ne sommes qu'au début d'une nouvelle phase. Contrairement à ce que l'on dit, ce n'est pas nous qui avons l'initiative, mais les jihadistes. Ce sont eux qui choisissent le lieu et le moment. L'armée française a pu mettre un coup d'arrêt à la descente des combattants islamistes vers Bamako. Mais ces derniers ont montré qu'ils pouvaient s'en prendre à d'autres localités, y faire régner la terreur et se fondre dans la nature.
Les groupes jihadistes qui sont sur le terrain n'agissent pas dans la cohérence mais dans la concurrence. C'est à mes yeux ce qui constitue le plus grand danger. Il existe une course effrénée entre Abou Zeid, le maître à penser d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et Mokhtar Belmokhtar, qui en a été écarté il y a quelques semaines. L'un et l'autre tentent de multiplier les coups spectaculaires, entre les multiples tueries, le rallye Dakar qu'il a fallu délocaliser, ou encore actuellement l'action stupéfiante, parce qu'inédite, contre le site gazier du Sud algérien. Cette mécanique de surenchère, avec la vengeance pour moteur, est plus que redoutable.
On s'est aussi beaucoup interrogé sur l'enchaînement des événements depuis le début de l'action française. Tout est-il lié ?
Sur le premier acte, qui a vu se croiser des actions en Somalie et au Mali, je ne pense pas qu'il y ait un rapport de cause à effet. Il n'y a pas de connexion entre ces deux temps-là de notre histoire africaine récente.
A présent, l'épisode algérien éclaire d'une lumière très cruelle ce à quoi nous devons faire face. On peut dire que nous avons mangé notre pain blanc, passez-moi l'expression. C'est au sol que se déroule maintenant le combat. Un terrain où peut se pratiquer à tous moments la prise d'otages, un terrain où le jihadiste est chez lui. Je dirais même qu'il nous attend. Ses caches, ses embuscades sont prêtes, dans le cadre de ce que l'on appelle une guerre asymétrique. Ces combattants jihadistes ont massacré l'armée malienne en 2009 et, pour mener cette guerre, il va falloir être au moins dix fois plus nombreux que nos adversaires. De plus, la saison des pluies ne va pas tarder....
Assiste-t-on quand même à une prise de conscience des Etats qu'un sursaut est nécessaire ? En particulier du côté africain ?
Oui. Ils vont d'ailleurs être jugés sur pièces. De fait, quand on passe en revue les composantes jihadistes auxquelles nous faisons face, on constate qu'elles sont essentiellement blanches. Les combattants noirs, du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao), sont avant toute chose un groupe de narcotrafiquants. On pourrait au moins agir sur cette criminalité.
Quant à la lutte face aux jihadistes shebab, nous voyons que la confrontation militaire peut porter ses fruits. Mais là encore, je suis très réservé, car en militarisant la confrontation, nous offrons un statut à ces hommes qui ne sont en réalité que des criminels, des trafiquants. Et bien sûr, des terroristes ! Mais l'armée française ou même les armées associées à nos côtés auront du mal à les réduire car l'approche militaire a bien du mal à saisir la spécificité du mode d'action terroriste.
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