Ukraine : "Poutine se conduit en maître du jeu"
Vladimir Fedorovski, ancien diplomate russe, analyse pour francetv info la manière dont le président russe a pris la main sur le dossier ukrainien.
A quoi joue Vladimir Poutine ? Après avoir obtenu l'aval du Parlement russe pour intervenir en Ukraine, il semble désormais temporiser, tandis que la communauté internationale hausse le ton.
"Poutine fait preuve d'un vrai savoir-faire", estime l'ancien diplomate russe Vladimir Fedorovski, promoteur de la Perestroïka menée par Mikhaïl Gorbatchev. Très critique envers Poutine, il connaît particulièrement bien l'Ukraine. Son père en était originaire. Son dernier livre intitulé Le roman des espionnes (éditions du Rocher) parle longuement du KGB qui a formé l'actuel patron du Kremlin. Pour Francetv info, il décrit la manière dont Poutine a su manœuvrer pour prendre la main sur le dossier ukrainien.
Francetv info : Comment analysez-vous le comportement de Vladimir Poutine sur le dossier ukrainien ?
Vladimir Fedorovski : Dans cette crise, Poutine a fait preuve d'un vrai savoir-faire. A mes yeux, l'affaire ukrainienne s'est nouée en trois étapes. Et à chaque fois, soit il a remporté une vraie victoire, soit il a subi une fausse défaite. En trois actes, il a su montrer qu'il sait diriger le cours des évènements. Il se conduit en maître du jeu. L'homme n'a pas été formé au KGB pour rien.
Francetv info : En quoi a-t-il remporté la première manche de cette confrontation ?
D'abord à cause d'une faute grave des Occidentaux. Quand ils ont proposé aux Ukrainiens un contrat d'association, les Européens n'ont pas voulu parler avec Poutine. C'était nier la réalité la plus élémentaire : 30% de l'industrie ukrainienne sont tournés vers la Russie, 60% des travailleurs produisent directement ou indirectement pour le grand voisin... Autre réalité : 40% du gaz livré en Allemagne provient de Russie.
On s'en souvient, Poutine a dégainé son carnet de chèques en proposant 15 milliards d'euros d'aide à l'Ukraine face aux quelques dizaines de millions des Européens. Des Européens qui n'ont jamais offert à l'Ukraine la transformation de leur économie d'État en une économie de marché. Des Européens qui sont divisés quand ils regardent vers l'est : les Allemands privilégient le dialogue alors que l'Europe centrale vomit les Russes et souhaite établir un véritable cordon sanitaire. Au milieu de tout ça, la France ne joue pas le rôle qui devrait être le sien : soutenir une voie intermédiaire, singulière comme le général de Gaulle l'a fait en son temps.
Poutine a alors misé sur un individu qu'il n'apprécie pas vraiment. Ianoukovitch [l'ancien président ukrainien aujourd'hui déchu] n'est pas très subtil, il a été deux fois pénalement condamné, mais dans un premier temps il faisait l'affaire. Cette première étape se solde donc pour Poutine par une victoire à la Pyrrhus.
Ensuite, le sang a coulé à Kiev. La réprobation a été mondiale. Ça n'est pas une victoire pour Poutine...
Certes, mais c'est une vraie fausse victoire des Occidentaux. Poutine s'est appuyé sur un faux leader dont il a sous-estimé la faiblesse. Faire tirer sur la foule est un crime et une tragique bêtise politique. Au final, il a trouvé lamentablement refuge en Russie. Les gens de l'opposition sont arrivés en force et dans une grande incohérence. Ioulia Timochenko a été libérée. J'avais moi-même, pour une fois, signé une pétition pour cela.
Mais deux redoutables préalables restaient en suspens : éviter la partition de l'Ukraine et surtout la guerre civile. Les foyers de tension potentiels sont nombreux. Il y a des problèmes religieux dont on ne parle jamais, des disparités d'usage de langue. Or, les nouvelles autorités ont pris des décrets dont l'un par exemple interdit la langue russe pourtant indispensable dans le pays. Cette étape, Poutine a immédiatement vu le bénéfice qu'il pouvait en tirer.
C'est la période que nous vivons. La stratégie de la tension mise en place par Poutine est-elle soutenue par les Russes eux-mêmes ?
Ne vous trompez pas ! Poutine ne cesse de renforcer ses positions, tous les sondages le montrent. A l'intérieur de la Russie, les gens s'attendent à la guerre. Ils suivent leur chef, celui qui dit : "après les insignes faiblesses de Gorbatchev et Eltsine, moi je ne reculerai pas, je fais face aux complots qui s'organisent contre nous." Quitte à jouer un remake de la guerre froide.
Et au niveau mondial, qui pourrait accompagner le leader russe sur une voie aussi dangereuse ?
La Chine examine avec attention les évènements. Poutine pourrait trouver en elle un certain soutien. D'autant qu'actuellement les relations entre Pékin et Washington ne sont pas au beau fixe. Encore une fois, en bon espion, Poutine joue sur tous les tableaux, le chaud et le froid. Mais là, la menace de confrontation est à prendre au sérieux.
Et l'Europe ? Poutine dirige-t-il aussi la manœuvre à son égard ?
L'Europe a enfin pris conscience qu'il fallait parler à Poutine et c'est ce à quoi l'on assiste depuis quelques jours avec des conversations téléphoniques au plus haut niveau. L'Europe qui sait bien que s'il devait y avoir une confrontation, les réfugiés déferleraient en Russie mais aussi au moins en Pologne. Déjà les Ukrainiens ont fait savoir qu'ils voulaient une suppression des visas. Autant dire que des travailleurs venus de là-bas pourraient arriver dans l'UE, ce qui n'est pas sans poser problème. Toutes ces réalités, Poutine les connaît. Et il en joue.
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