Moralisation de la vie publique : la "fausse bonne idée" qui pourrait doubler le revenu des députés
Le ministre de la Justice, François Bayrou, a commencé les consultations pour son projet de loi sur la moralisation de la vie publique. Mais une mesure proposée par Emmanuel Macron heurte déjà certaines associations.
C'est le premier grand chantier du quinquennat. Après une campagne présidentielle plombée par les affaires judiciaires de François Fillon et Marine Le Pen, Emmanuel Macron a promis une loi de moralisation de la vie publique pour mettre fin aux abus. Le président de République l'a confiée au ministre de la Justice, François Bayrou. Ce dernier a consulté, lundi 22 mai, les associations de lutte contre la corruption, Anticor et Transparency International, et le député René Dosière, spécialiste de la question.
Si beaucoup se félicitent de la volonté du gouvernement d'avancer sur la transparence de la vie politique et la probité des élus, un élément du futur projet de loi, annoncé par le candidat d'En marche ! pendant la campagne, fait déjà débat : la fiscalisation de l'IRFM, l'indemnité représentative de frais de mandat. D'un montant mensuel de 5 372,80 euros net pour les députés et de 6 109,89 euros net pour les sénateurs, elle sert officiellement à payer les frais non remboursés par le Parlement, comme la location d'une permanence ou l'hébergement à Paris.
Une enveloppe polémique
En pratique, cette enveloppe, dont l'utilisation est peu encadrée, pas contrôlée et non fiscalisée, est régulièrement source de dérives : certains députés l'utilisent pour financer des voyages privés à l'étranger ou pour l'achat d'un bien immobilier. En 2012, la Commission pour la transparence financière de la vie politique – l'ancêtre de l'actuelle Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – avait constaté que cette enveloppe contribuait à enrichir chaque député d'un montant "oscillant entre 1 400 euros et 200 000 euros" sur la durée d'un mandat. Un enrichissement à nouveau pointé, avec moins de précisions par la HATVP cette année.
Sur ce sujet, Emmanuel Macron a proposé que l'IRFM soit "intégrée à l’indemnité parlementaire en tant que telle et, à ce titre, fiscalisée". "Un parlementaire doit vivre comme un cadre commercial. Il a des frais qui sont liés à son activité ? Très bien, il peut les déduire. Mais il doit donner ses justificatifs, contrôlables par le fisc", développait-il dans Le Parisien le 2 mars. En clair, un parlementaire peut tout à fait utiliser l'IRFM à des fins privées mais il sera imposé sur cette partie-là. Une manière de mettre fin à l'hypocrisie et d'acter que l'IRFM est bien un complément de revenu.
La mauvaise solution du gouvernement
Cette vision des choses fait "bondir" Hervé Lebreton, président de l'association Pour une démocratie directe, à l'origine de nombreuses révélations sur l'IRFM et la réserve parlementaire ces dernières années. "C'est une fausse bonne idée, une horreur", s'indigne-t-il, avant de développer :
Cela donnerait raison à tous ces parlementaires qui se sont enrichis avec l’argent public qui ne leur était pas destiné.
Hervé Lebretonà franceinfo
De fait, "cela veut dire qu’on double l’indemnité parlementaire [de 7 209,74 à 13 049,74 euros brut par mois pour un député], alors qu’il n’y a pas de raisons de le faire", se désole ce professeur de mathématiques du Lot-et-Garonne. Il craint qu'en voulant aller vite le gouvernement n'opte pour de mauvaises solutions. Lui réclame un remboursement des frais sur justification, comme cela se fait déjà à l'Assemblée pour les frais de taxi, ainsi que la publication de ces notes, comme cela se fait au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis.
Sans contrôle, la transparence n'est rien
Une position partagée par d'autres. Regards Citoyens dénonce "une idée totalement contreproductive" et demande aux députés sortants de rendre leur utilisation de cette enveloppe publique. "S'il y a fiscalisation mais pas de contrôle, ce n'est pas intéressant", abonde Jean-Christophe Picard, président d'Anticor. Satisfaite de la "bonne écoute" de François Bayrou et que ces sujets "soient au cœur du débat", Elsa Foucraut, chargée de plaidoyer chez Transparency International, reconnaît cependant "une petite divergence" sur ce sujet. "Nous demandons la transparence de l'IRFM, ce qui suppose une définition claire des dépenses qu'elle recoupe et un contrôle. Il ne faut pas qu'elle soit un complément de revenu, appuie-t-elle. C'est la position que nous avons défendue, elle diffère de l'idée de fiscalisation."
Favorable à une publication des notes de frais des députés comme au Royaume-Uni, Transparency International propose a minima, dans un rapport pour un "Parlement exemplaire" publié lundi (PDF), l'intervention d'un organisme de contrôle extérieur, comme cela se fait en Irlande. Contacté par franceinfo, le cabinet du ministre de la Justice ne veut pas, pour l'instant, discuter des mesures envisagées : "Nous en sommes au stade de la consultation". Le projet de loi doit être présenté en Conseil des ministres avant le premier tour des législatives, le dimanche 11 juin.
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