Cinq choses à savoir sur la médaille Fields, le "Nobel des maths"
Une Américaine d'origine iranienne est devenue, mercredi 13 août, la première femme lauréate de la plus prestigieuse récompense en mathématiques.
C'est la récompense la plus prestigieuse pour un mathématicien, le "Nobel des maths". Mercredi 13 août, le congrès de l'Union mathématique internationale (UMI), réuni à Séoul (Corée du Sud), a annoncé les noms des lauréats 2014, avec pour la première fois la victoire d'une femme, Maryam Mirzakhani. Trois autres chercheurs, dont le Français Artur Avila, ont également reçu ce "prix Nobel de mathématiques".
Francetv info vous en dit plus sur ce prix méconnu où les mathématiciens français brillent régulièrement.
1C'est le vrai-faux Nobel de maths
La légende raconte que John Fields, le mathématicien canadien à l'origine du prix, a créé cette médaille en 1936 parce qu'aucun prix Nobel n'était remis en mathématiques. Alfred Nobel aurait écarté la discipline par pure jalousie : sa femme l'aurait trompé avec le mathématicien Gosta Mittag-Leffler. La réalité est un peu plus complexe que cela : Alfred Nobel n'était pas marié, les raisons de l'exclusion des mathématiques restent inconnues et, si l'animosité entre les deux Suédois est plausible, rien ne prouve qu'ils se détestaient, rappelle le Fields Institute, basé à Toronto (en anglais).
John Fields n'a pas non plus créé ce prix uniquement pour réparer l'oubli d'Alfred Nobel. Il a certes, comme l'explique le mathématicien français Martin Andler sur le site du CNRS, voulu "combler un manque" dans sa discipline et la doter d'une "récompense comparable", indique le Fields institute (en anglais). Mais, toujours selon le Fields Institute, il a également cherché à réunir la communauté mathématique, divisée par la Première guerre mondiale, avec un prix qui ne tenait pas compte des nationalités. En 1920, lors de sa création, l'UMI avait en effet refusé d'accueillir des chercheurs des pays des Empires centraux (Allemagne, Autriche-Hongrie, Turquie, Bulgarie).
La référence au "prix Nobel de mathématiques" serait en fait plus récente. En 1966, le mathématicien américain Stephen Smale s'envole pour Moscou au moment même où il est inquiété par la justice pour son activisme contre la guerre du Vietnam, raconte le New York Times (en anglais). Un journal californien rapporte que le chercheur a fait défection. Il est en fait parti recevoir sa médaille Fields. Pour calmer le jeu, ses collègues insistent sur l'importance de la distinction, la qualifiant de "récompense mathématique la plus proche d'un prix Nobel".
2Il faut avoir moins de 40 ans pour y prétendre
Les conditions d'attribution de la médaille Fields sont en outre bien différentes de celles d'un prix Nobel. Elle n'est remise que tous les quatre ans, à quatre lauréats maximum. Conséquence, 52 médailles ont été attribuées depuis 1936. "C'est beaucoup moins que le nombre de prix Nobel d’une discipline donnée, remis tous les ans, lui, parfois à trois lauréats en même temps", observe Martin Andler sur le site du CNRS.
Surtout, il faut avoir moins de 40 ans pour prétendre à cette prestigieuse récompense. Le congrès en a décidé ainsi en 1960, bien après la mort de John Fields. Cette décision est fondée sur l'une des volontés du Canadien : son prix devait non seulement récompenser de grandes découvertes, mais aussi encourager de nouveaux efforts et travaux. "Ce qui est très différent du prix Nobel, donné la plupart du temps à des scientifiques dont l’essentiel de l’œuvre est derrière eux", observe Martin Andler.
Autre différence notable avec les prix suédois, la récompense. Alimentée par un don de John Fields, elle ne dépasse pas 10 000 euros par lauréat, contre 800 000 euros par prix pour le Nobel.
3Les lauréats savent déjà qu'ils ont gagné
L'annonce des résultats obéit à un rituel un peu curieux. Au printemps, l'UMI téléphone aux heureux vainqueurs pour leur annoncer la bonne nouvelle. Mais ces derniers ne doivent rien dire à personne, à l'exception de quelques proches. Ils doivent se taire jusqu'à l'officialisation des résultats, quatre mois plus tard lors du congrès.
Un secret que Jean-Christophe Yoccoz, lauréat en 1994, a eu un peu de mal à porter. "Quand des amis mathématiciens me demandaient si j’avais des nouvelles à propos de la médaille, je ne savais pas trop quoi leur répondre et mon silence devait en dire long… raconte-t-il sur le site du CNRS. Le jour de la cérémonie de remise des médailles, après quatre mois passés à garder ce secret tant bien que mal, ce fut un énorme soulagement. Enfin, je pouvais librement exprimer ma joie."
4La France est le deuxième pays au palmarès
Jean-Christophe Yoccoz n'est pas le seul Français à avoir décroché la médaille Fields. La France fait même partie des pays les plus récompensés : avec 11 médailles, elle n'est devancée que par les Etats-Unis (12 breloques). Ce total prend en compte la médaille d'Alexander Grothendieck, un réfugié allemand arrivé en France à l'âge de 10 ans en 1938. Apatride au moment de la récompense, en 1966, le mathématicien a opté plus tard pour la nationalité du pays où il travaillait.
Voici le classement complet (les médailles du Franco-Vietnamien Ngô Bảo Châu et du Franco-brésilien Artur Avila comptent pour les deux pays. Celle du Russe Grigori Perelman est également comptabilisée, même s'il a refusé le prix).
Pourquoi une telle réussite ? Le mathématicien Jean-Marc Schlenker évoque sur le site de La Tribune les liens étroits entre recherche et enseignement, ainsi qu'un système de recrutement et d'évaluation vertueux dans les départements de mathématiques des universités. Martin Andler rappelle, lui, que "les mécanismes de sélection des élites dans notre pays accordent aux mathématiques une place privilégiée".
Cette année encore, six Français figuraient parmi les prétendants à une médaille : Nalini Anantharaman, Artur Avila (qui a été récompensé ce mercredi), Sophie Morel, Emmanuel Breuillard, Laure Saint-Raymond et Sylvia Serfaty.
5Pour la première fois une femme a été récompensée
Avec sa victoire, Maryam Mirzakhani est une pionnière. Avant cette année, aucune femme n'avait en effet été récompensée. Sur le site du CNRS, la mathématicienne Aline Bonami observait ainsi que, de fait, "toutes les grandes figures passées des mathématiques sont masculines" et expliquait cette situation par le poids des stéréotypes et des contextes historiques et sociaux.
Mais elle remarque également que les choses évoluent : la Française Claire Voisin a reçu un Clay Research Award en 2008 et ses compatriotes Nalini Anantharaman et Sylvia Serfaty ont été les premières femmes à recevoir le prix Henri-Poincaré en 2012.
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