A Homs, "on veut juste vivre comme des semi-humains"
Alors que les troupes de Bachar Al-Assad continuent de pilonner la ville syrienne, les habitants bravent leur peur et le régime pour abreuver le monde de témoignages durs mais précieux. FTVi a compilé leurs récits.
Chaque jour, Homs pleure ses morts. Des centaines de personnes ont péri, depuis le 4 février. Le tout sous le regard des grandes puissances mondiales, incapables de s'accorder sur une éventuelle intervention militaire. Vendredi 24 février, plus de 60 pays se sont réunis en Tunisie pour décider d'un plan d'aide humanitaire. Mais derrière les décomptes et les blocages diplomatiques, la réalité affleure.
Alors que le régime de Bachar Al-Assad pilonne sans relâche ce bastion de la contestation, les témoignages continuent d'affluer. Médecins, combattants, journalistes : tous dépeignent le quotidien des habitants de la ville. FTVi compile leurs récits.
Homs, ville asphyxiée
Les témoins ne sont pas les bienvenus en Syrie. Pour atteindre Homs, il faut désormais passer "d'une maison à une autre, d'un véhicule à un autre, d'une main à une autre", raconte l'écrivain Jonathan Littell dans Le Monde. Il a été dépêché sur place clandestinement avec le photoreporter Mani, entre le 17 janvier et le 2 février.
Depuis vingt jours, la ville entière est bouleversée par la répression, écrit Jean-Pierre Perrin, envoyé spécial à Homs pour Libération. "On dirait qu’elle ne respire plus. Les rues sont livrées à l’ordure et aux décombres. Pas un passant, à l’exception de quelques combattants ou d’un médecin (...) Quelques très rares lumières (...)". "La peur est tout ce qui subsiste", livre l'activiste Omar Shakir, dans le New York Times (lien en anglais).
Et pour cause. Les bombes n'en finissent pas de tomber. Sur le blog Dans l'enfer de Homs de Libération.fr, Abdel-Basset Sarout, joueur de football de l'équipe de Homs, exprime sa colère dans une vidéo, après des bombardements "arbitraires" menés sur des maisons du quartier Al-Bayadah.
Pas d'eau, pas de nourriture, pas d'échappatoire
Une seule alternative : se terrer chez soi. C'est le cas d'Hamida et de six enfants, rapporte Jean-Pierre Perrin. "Elle-même, à cause de la peur, n’a plus de lait maternel à donner à Farane, son bébé de 16 mois", décrit-il. La jeune femme ajoute : "Je ne sais quoi faire pour occuper les autres enfants. Ils pleurent, ils crient. Ils sont terrifiés."
Dans les nombreux témoignages parvenus ces derniers jours, une impression domine : celle d'habitants pris au piège de leur propre ville. "Il n'y a pas de nourriture. Pas d'eau potable", résume jeudi Abo Bakr (nom d'emprunt) à la radio américaine NPR (lien en anglais). "Hier et avant-hier, je n'ai pas mangé. Le jour d'avant, j'ai juste avalé des oignons et de l'ail." Et selon le chirurgien Jacques Bérès, interrogé mercredi par le Nouvel Obs.com, "il semble qu'il n'y ait plus de possibilité de sortie".
"Voir les gens mourir, c'est la pire chose pour un médecin"
L'enfer des rues s'exporte dans les cliniques improvisées, où les morts et les blessés affluent. Impossible, parfois, de les soigner. "Les blessures sont dues à la fois aux bombardements, explosions, shrapnel [obus rempli de balles]", explique le médecin Jacques Bérès.
Dans ses Carnets d'une guerre clandestine (accès abonné), Jonathan Littell rapporte aussi son séjour dans un hôpital de fortune. "Le personnel entoure un jeune homme dont le bas du crâne a été traversé par une balle." Quelques minutes plus tard, "on amène deux nouveaux blessés, un homme d'âge mûr touché dans le haut de la poitrine et une femme voilée qui roule des yeux épouvantés, la mâchoire éclatée par une balle. C'est le même sniper que pour le premier gars, à chaque fois il vise le cou." Hommes, femmes, enfants, il se fait même "la main sur les chats".
Désemparés, le découragement gagne peu à peu les médecins, à l'instar d'Abu Hamzehest. "Son centre ne dispose ni d'anesthésiques, ni de drains, ni d'appareil de radiographie, il ne peut opérer personne, tout juste poser des pansements et des perfusions", explique Jonathan Littell. "Voir les gens mourir sans rien pouvoir faire alors qu’on pourrait les sauver, c’est la pire chose pour un médecin. Il y a quelques temps, un homme a mis deux jours à mourir à cause d’un éclat dans la tête", déplore le Dr Mohammed Mohammed dans Libération. Souvent, les blessés sont battus, électrocutés, achevés sur leur lit d'hôpital par les services de sécurité de l'armée.
Bientôt le silence ?
La situation semble chaque jour pire que la veille. Le 8 février, Danny Abdul Dayem, journaliste improvisé connu comme "la voix de Homs", en appelait déjà à l'Occident et aux Nations Unies dans une vidéo en anglais.
"Le sang syrien ne représente rien", regrette Abo Bakr sur la NPR. "Vous marchez là, dans Baba Amr, et les odeurs putrides flottent partout à cause des morceaux de corps éparpillés ça et là. Il y en a plein sous les décombres et on ne peut pas les sortir. (...) On demande des couloirs humanitaires (...) On veut juste vivre comme des semi-hommes, même plus comme des êtres humains à part entière".
La répression réduit peu à peu au silence les habitants de Homs. Selon les Observateurs de France 24, "personne n’est sorti filmer" jeudi parmi leurs informateurs. C'était la première fois. "La situation est plus dangereuse que jamais. C’est devenu impossible", explique l'activiste Omar Shakir (pseudonyme). La journaliste américaine Marie Colvin, tuée mercredi avec le photoreporter français Rémi Ochlik, a envoyé un dernier message, mardi, à la BBC (lien en anglais). "Aujourd'hui, j'ai vu un bébé de deux ans mourir. (...) Il s'est fait tirer dessus", raconte-t-elle, avant d'ajouter : "Ici, personne ne comprend pourquoi la communauté internationale ne fait rien."
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