Aéroport Notre-Dame-des-Landes : cinq questions pour comprendre le blocage
Une grande manifestation contre le projet est prévue aujourd'hui à Rennes. Francetv info revient sur ce projet qui cristallise les tensions.
POLITIQUE - Le projet de déplacement et d’agrandissement de l’aéroport de Nantes (Loire-Atlantique), en l’implantant à Notre-Dame-des-Landes, à 30km au nord de la métropole, a mis 40 ans à se préciser. Le chantier doit commencer en 2014, mais l'affaire n'est pas terminée. Et le dossier s’impose peu à peu comme l’un des plus épineux à gérer pour Matignon. Alors qu’une grande manifestation contre l’aéroport de Nantes-Notre-Dame-des-Landes est prévue à Rennes (Ille-et-Vilaine) samedi 10 novembre, francetv info revient sur ce dossier qui fâche.
Pourquoi le projet a-t-il été lancé ?
La première mention du projet date de 1963, quand l’Etat souhaitait développer des "métropoles d’équilibre" pour mettre fin à l’hyperdomination parisienne sur le territoire. L’idée de déplacer l’aéroport de Nantes, construit dans une zone où il ne peut être agrandi, revient dans les plans d’urbanisme en 1974.
En 2007, il survit de justesse au Grenelle de l’Environnement – qui gelait tout projet de nouvel aéroport dans l’Hexagone, rappelle L’Express – et est reconnu d’utilité publique en 2008. Le nouveau complexe aéroportuaire est censé occuper 1 220 hectares non urbanisés depuis leur constitution en zone d’aménagement différé (ZAD) dès 1974, et doit pouvoir accueillir ses premiers vols fin 2017.
Quels sont les arguments de ses partisans ?
"Rarement opération d'aménagement du territoire aura suscité une telle unanimité politique. Depuis 2000, date à laquelle le projet Notre-Dame-des-Landes est sorti du placard, presque tous les ténors nantais l'ont soutenu. Qu'ils soient élus de droite ou de gauche, qu'ils viennent de la ville ou de la région, de la communauté d'agglomération ou du département", souligne L’Express.
Un coup de pouce économique. Selon l'Acipran (Association citoyenne pour la réalisation d'un aéroport international à Notre-Dame-des-Landes), qui revendique un millier d’adhérents, il pourrait générer 4,5 millions d'heures de travail et profiter à l'économie locale.
Eviter l’engorgement de l’aéroport existant. Selon le syndicat mixte d’études de l’aéroport de Nantes Atlantique, la moitié des 10 000 atterrissages annuels survolent la ville à moins de 500 mètres d'altitude, et 11 000 personnes, dont cinq écoles et deux établissements de santé, subiraient les nuisances sonores. Le syndicat souligne en outre que le trafic passagers a bondi de 14% en 2010. "La capacité de Nantes Atlantique est limitée à 3,5 millions de passagers et la saturation nous guette", alerte Jean-François Gendron, président de la Chambre de Commerce et d'Industrie Nantes-St-Nazaire, gestionnaire de l'équipement, qui vise les 4 millions dès l’ouverture de la nouvelle structure.
"Ce n'est pas un nouvel aéroport, mais l'aéroport de Nantes Atlantique qu'on va déménager à Notre-Dame-des-Landes : on ne crée par un aéroport ex-nihilo", explique Alain Mustière, président de l'Acipran et du Conseil économique, social et environnemental régional des Pays de la Loire, cité par Le Parisien. "Tel que nous sommes positionnés, à l'extrême ouest de l'Europe, seul un équipement de grande envergure peut permettre de nous désenclaver", explique le socialiste Patrick Mareschal, président du conseil général, interrogé par 20minutes.fr.
Pourquoi les opposants n’en veulent pas ?
Voisins, écologistes, anticapitalistes ; la mobilisation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes cristallise différentes revendications. En tête de la contestation, la Coordination des associations et mouvements opposés au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes regroupe une quarantaine d’associations et partis politiques qui multiplient les recours. Ils reçoivent régulièrement le soutien médiatique de personnalités de la galaxie écolo, de Nicolas Hulot à José Bové.
Un aéroport cher et inutile. "L’aéroport Nantes Atlantique est loin d’être en saturation,(…) de plus, le Maine-et-Loire possède déjà, avec Angers-Marcé, un aéroport quasiment inutilisé et qui pourrait l’être plus", note le site régional d’Europe Ecologie-Les Verts. Le parti, qui juge ce projet "passé et dépassé", le chiffre à plus de 2,1 milliards d’euros. Selon le syndicat mixte d’études de l’aéroport, il coûterait 556 millions.
"On a bien d’autres choses à faire avec l’argent public. Vinci a promis 12% de rentabilité à ses actionnaires et si l’aéroport est déficitaire, ce sont les contribuables qui paieront la facture", dénonce Christian Grisollet, coprésident de l’Acipa (Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes), interviewé par Rue89.
Un enjeu écologique. Sur les 1 600 hectares concernés par le projet, 1 200 hectares de terres agricoles sont occupées par leurs exploitants. Les écolos voudraient y développer une "agriculture biologique et paysanne", apte à répondre à une partie des besoins de la métropole voisine.
"La raréfaction de l’énergie va obliger les gens à s'autosuffire dans la deuxième couronne nantaise. (…) Et n’allez pas me dire que les entreprises de BTP créeront des emplois. Elles embaucheront en sous-traitance des précaires venus d'Europe de l'Est", explique à Rue89 un détracteur du projet.
Pourquoi ça chauffe sur le terrain ?
Avec l’arrivée de Jean-Marc Ayrault (jusque-là maire de Nantes et fervent promoteur du projet) à Matignon, la contestation a pris une dimension nationale et s’est intensifiée. Quartier général, roulements : l’organisation sur place des anti est plus que rodée et la situation a viré à la guérilla bocagère, comme le rapporte Le Monde.
Les opposants locaux ont été rejoints par des activistes en tous genres, qui ont saisi l'occasion pour militer contre le capitalisme et le système en général. La zone d’aménagement différée est devenue "zone d’aménagement à défendre" et les "zadistes", comme ils se surnomment, ont mis sur pied barrages et barricades pour défendre leur territoire. "Neuf des douze maisons squattées sur la zone ont été vidées de leurs occupants et démolies sur-le-champ par un dispositif policier exceptionnel. Restent trois maisons qui s’organisent en camp retranché, des dizaines de cabanes perchées dans les arbres", rapporte Rue89.
D’arrestations musclées en échauffourées entre militants et forces de l'ordre, le bras de fer est de plus en plus spectaculaire. Et la situation inquiète au plus haut niveau. Patrick Warin, énarque issu de la même promotion que François Hollande, a même mis en garde le président de la République dans une lettre ouverte : "La manière dont le pouvoir que vous incarnez gère le projet Notre-Dame-des-Landes va totalement bouleverser les positions politiques chèrement acquises (…). La technostructure du PS et des grand élus régionaux est en train de s'isoler", prévient-il. Et de lancer cet avertissement : "Vous êtes face à un nouveau Larzac !", en référence aux dix ans de lutte non-violente dans les années 70-80 contre l'extension d'un camp militaire dans cette zone du sud du Massif central.
Pourquoi ça coince entre le PS et les Verts ?
Le sujet était déjà brûlant lors de la signature, avant la campagne présidentielle, de l’accord entre Europe Ecologie-Les Verts (EELV) et le Parti socialiste. Incapables de trouver un compromis, ils avaient fini par ne pas mentionner le projet dans le document. Et malgré les tentatives de déminage opérées par le PS avant la nomination d’Ayrault à Matignon, le dossier continue d’empoisonner le Premier ministre.
Isabelle Loirat, opposante centriste au projet interrogée par francetv info en mai, estime que son principal argument est tombé à l'eau avec sa nomination à Matignon. "Il dit toujours : 'C'est pas moi, c'est l'Etat, c'est un projet porté par l'Etat.' Or, l'Etat aujourd'hui, c'est François Hollande et Jean-Marc Ayrault."
Matignon peine aussi à discipliner ses ministres. A commencer par Cécile Duflot, ex-patronne d’EELV devenue ministre du Logement. Le 31 octobre, elle a estimé sur RTL que la "répression et le manque de dialogue" n’étaient "pas la bonne méthode". "Un peu plus tard, avant le Conseil, (…) Cécile Duflot a même eu droit aux félicitations de quelques collègues", relate Le Figaro. De son côté, Noël Mamère estime lui que "le gouvernement a dépassé les limites (…) et utilise la force comme ses prédécesseurs". Avec Jean-Vincent Placé, il s'interroge sur la pertinence de la présence des écolos dans le gouvernement, déclenchant un véritable psychodrame politique au sein de la majorité.
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