Affaire Cahuzac : comment faire parler UBS ?
Le ministre du Budget, accusé par Mediapart d'avoir détenu un compte en Suisse jusqu'en 2010, a demandé à la banque de démentir cette information. Mais le procédé est complexe.
UBS s'apprête-t-elle à livrer ses secrets ? La banque suisse qui, selon Mediapart, aurait accueilli le présumé compte de Jérôme Cahuzac, est appelée jeudi 20 décembre à faire la lumière sur ses activités. Elle qui pourrait blanchir définitivement le ministre délégué au Budget, ou au contraire l'incriminer, brandit le secret bancaire. Mais ce dernier, même en Suisse, connaît des limites.
Francetv info revient sur les différentes stratégies possibles pour faire parler l'une des plus puissantes banques d'Europe.
1Une demande "anonyme" de Jérôme Cahuzac ?
Sur son blog, le ministre a demandé mercredi à UBS de certifier qu'il n'a pas eu de compte dans cet établissement. Le ministre a expliqué dans ce billet que son avocat s'était renseigné de façon anonyme, par courrier, auprès de la banque, sur sa politique en matière de confirmation de l'existence d'une relation bancaire entre une personne et la banque. Dans sa réponse, également mise en ligne par le ministre, UBS a répondu que, "par principe", elle n'accède pas à ce type de requête, ces données étant protégées par le fameux "secret bancaire."
Or, Jérôme Cahuzac peut bel et bien demander à UBS une levée du secret bancaire, a indiqué jeudi, le secrétariat d'Etat suisse aux questions financières internationales (SFI), interrogée par l'Agence de presse économique et financière AWP. En revanche, la banque n'est pas autorisée à communiquer d'information à des autorités étrangères, mais seulement à une personne privée, a précisé un porte-parole du SFI.
Mediapart s'est donc interrogé mercredi sur la pertinence de cette demande "anonyme", par principe vouée à l'échec : "Le ministre peut ainsi faire passer un joli message : 'calomnié' par Mediapart, le voilà en plus contraint de batailler avec UBS pour prouver son innocence", en ont déduit les deux journalistes signataires de l'article, François Bonnet et Dan Israël.
2Une demande nominative de Jérôme Cahuzac ?
"N'importe quel particulier peut demander à une banque de confirmer positivement les relations d'affaires qu'il a avec elle, a expliqué au Monde.fr un spécialiste genevois du droit bancaire et de la protection des données. Dans ce cas, la banque, déliée du secret professionnel, peut s'exprimer", poursuit-il. Ainsi, il suffirait à Jérôme Cahuzac de reformuler sa question pour obtenir une réponse de la banque, écrit le site du quotidien. Pour permettre la levée du secret bancaire, il faudrait écrire : "Est-ce que vous pouvez me confirmer que je suis bien détenteur d'un compte dans votre établissement ?", et non pas "Pouvez-vous me confirmer que je ne suis pas détenteur d'un compte ?"
Interrogée jeudi par l'AWP, une source proche du dossier explique la nuance, sous couvert d'anonymat. "Dans le cas où [Jérôme] Cahuzac détient un compte à UBS et demande la levée du secret bancaire, la banque est obligée de renseigner des personnes privées." Mais à l'inverse, "s'il demande la levée du secret bancaire sans détenir de compte à UBS, cette dernière n'est pas dans l'obligation de communiquer des renseignements."
"Jérôme Cahuzac doit demander s'il a été l'ayant droit économique d'un compte chez UBS. Toute autre requête est de la mauvaise communication", a poursuivi le journaliste de Mediapart qui a enquêté sur l'affaire, Fabrice Arfi, sur Twitter.
3 Une demande de la justice ?
Pour contraindre l'établissement à lever le secret bancaire, Mediapart milite en faveur d'une intervention de la justice, dans cet article (article payant), publié mercredi. En effet "depuis avril, un juge d’instruction, Guillaume Daïeff, a été désigné pour enquêter sur les pratiques d’évasion fiscale de la banque en France (...), écrit le site d'investigation. La logique voudrait que le parquet demande au juge de se saisir des informations révélées par Mediapart puisque l’enquête qui vise UBS porte justement sur les méthodes de démarchage et d’évasion fiscale pratiquées à grande échelle par la banque en France durant des années."
Mais les journalistes pointent un élément de taille : dans cette affaire, le parquet avait été saisi par le ministre du Budget précédent, François Baroin. Son successeur se trouve donc partie civile. Un successeur qui n'est autre que Jérôme Cahuzac. "Un conflit d'intérêt", relève donc Mediapart, pour qui "la seule garantie d’une enquête indépendante et impartiale" serait que le juge Daïeff se saisisse lui-même de ces informations "en demandant un supplétif, c’est-à-dire l’autorisation d’inclure la situation de M. Cahuzac dans le champ de ses investigations".
4Une demande de Bercy ?
Et si le ministère de l'Economie et des Finances s'en mêlait ? Le Monde.fr note en effet que "dans son mail à la banque UBS, l'avocat suisse Edmond Tavernier [contacté par l'avocat de Cahuzac] se renseigne sur la possibilité 'd'obtenir une pareille confirmation dans l'hypothèse où les autorités fiscales d'un pays étranger demandent à la personne concernée de l'obtenir ou en d'autres circonstances similaires'". Question à laquelle la banque n'a pas répondu.
Toutefois, le site du quotidien note que cette démarche serait longue et risquerait de fragiliser le gouvernement.
5Et si UBS n'en savait rien ?
C'est une hypothèse soulevée par le Huffington Post.fr. Selon un gestionnaire de fortune contacté par le site d'information, il est possible que la banque elle-même ne soit pas capable d'identifier chacun de ses clients : "Un 'compte société' ouvert 'il y a plus de 10, voire 5 ans' est parfaitement anonyme aux yeux d'UBS, puisque le nom du dirigeant n'y apparaissait pas à cette époque", indique le site. Impossible alors de connaître le véritable détenteur du compte.
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