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Affaire Karachi : Takieddine suspecté de blanchiment aggravé

L'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine a été mis en examen mardi 24 avril pour blanchiment d'argent. Les juges le soupçonnent d'être au cœur d'un système de rétrocommissions illicites.

Article rédigé par Myriam Lemétayer
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine avant son audition par les juges chargés du volet financier de l'affaire Karachi, le 24 avril 2012, à Paris. (BERTRAND GUAY / AFP)

Ziad Takieddine sait manier l'ironie. L'homme d'affaires franco-libanais a appelé mardi 24 avril à "éradiquer" un "système de corruption en place depuis 1995", visant, sans le nommer, Nicolas Sarkozy. Il est pourtant accusé d'être au cœur de ce système et a été mis en examen le même jour pour "blanchiment aggravé". Il est déjà poursuivi pour "complicité et recel d'abus de biens sociaux", ainsi que pour "faux témoignage".

Les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire le soupçonnent entre autres d'avoir participé au détournement de plusieurs millions d'euros. Cet argent pourrait provenir de commissions versées à Takieddine pour son rôle dans la signature de deux contrats d'armement en 1995. Une partie de cette somme aurait en retour servi à financer la campagne présidentielle d'Edouard Balladur, ce sont les fameuses "rétrocommissions". Retour sur les derniers rebondissements.

Qu'ont découvert les juges ?

Les magistrats ont lancé plusieurs commissions rogatoires, qui permettent aux autorités de demander des investigations hors de leur juridiction : trois en France et six à l'étranger, dont l'Espagne, la Suisse et Luxembourg.

En Suisse, celle-ci a mis au jour des transferts d'argent jugés suspects, en particulier des versements du compte bancaire du Libanais Abdul Rahman Al-Assir (également intermédiaire des contrats de 1995) à celui d'un dignitaire koweïtien. Le premier virement s'élèverait à 10 millions de francs (1,52 millions d'euros), selon l'AFP.

Ces fonds "ont ensuite été retirés en cash en Suisse", a fait savoir l'avocate de Ziad Takieddine, Samia Maktouf, qui évoque également des "retours en espèces en France". Elle insiste toutefois auprès de FTVi : "Mon client n'est pas impliqué dans le circuit. Le juge n'a pas opposé à monsieur Takieddine des élements qui apportent la preuve de son implication, ni directement, ni indirectement. Les relevés de compte appartiennent à monsieur Al-Assir. Or, mon client n'a jamais été associé avec lui." 

Quel rapport avec Takieddine ?

Les juges ne partagent visiblement pas le point de vue de l'avocate. "Mardi matin [le 24 avril], le juge Van Ruymbeke a interrogé Ziad Takieddine sur ses fréquents allers-retours à Genève. Le magistrat instructeur semble convaincu que ces visites sont liées à des retraits en espèces dans une banque suisse", rapporte Le Point.

Les journalistes Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme sont convaincus qu'Al-Assir et Takieddine travaillaient ensemble. Ils parlent ainsi de "réseau K" : "Que ce soit pour le Pakistan ou pour l'Arabie saoudite, Abdul Rahman El-Assir est associé à un autre intermédiaire libanais, un ami né la même année que lui : Ziad Takieddine", écrivent-ils dans Le contrat. Karachi : l'affaire que Sarkozy veut oublier (Stock, 2010). Selon eux, le "duo El-Assir/Takieddine s'immisce avec l'appui (voire à la demande) du pouvoir balladurien dans les négociations". Ils réclameraient des commissions en échange de leur entregent, pour un montant estimé à plusieurs centaines de millions de francs. 

Tout cet argent aurait pu avoir besoin d'une cure de respectabilité. "Il existe contre monsieur Takieddine et tous autres des indices graves et concordants d'avoir commis des faits de recel d'abus de biens sociaux, aggravé par l'habitude, et de blanchiment aggravé par l'habitude, de 1993 à ce jour", ont écrit les juges en mars 2012. Selon les informations dont dispose Olivier Morice, avocat des familles des victimes de l'attentat de Karachi, "la mise en examen signifie qu’on a pu démontrer que monsieur Takieddine a utilisé différentes structures opaques offshore pour blanchir de l’argent dans des conditions irrégulières et sur une période très longue", explique-t-il à FTVi.

Se rapproche-t-on de la piste du financement électoral illicite ?

Selon une "source proche de l'enquête" citée par Le Point, les juges suspectent Takieddine d'avoir utilisé cet argent pour acquérir différentes propriétés, en France, en Grande-Bretagne et au Liban. Selon leur hypothèse de travail, il en aurait aussi réacheminé une partie vers Paris pour le financement de la campagne d'Edouard Balladur. D'importants retraits en espèces en Suisse ont été effectués dans une période proche du versement, toujours en espèces, de 10 millions de francs aux comptes de la campagne de l'ancien Premier ministre, en avril 1995. Les sommes correspondent "au franc près", d'après Le Point.

Au total, plus de 20 millions de francs en espèces ont été versés aux comptes de Balladur. Les juges doutent de sa version, selon laquelle ces sommes correspondent à des ventes de T-shirts et de gadgets de campagne. Nicolas Sarkozy était alors porte-parole du candidat. Le directeur de campagne d'Edouard Balladur, Nicolas Bazire, et Thierry Gaubert, ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy, ont été mis en examen dans cette affaire.

Nicolas Sarkozy entendu comme témoin ?

Olivier Morice évoque une "avancée spectaculaire pour les familles des victimes, qui montre que la justice n’entend pas patienter dans la mise en œuvre des investigations".

L'avocat poursuit : "C'est un signal fort contre monsieur Takieddine et les hommes politiques qui ont pu profiter de son rôle d’intermédiaire. Je pense à Edouard Balladur, au ministre de la Défense François Léotard, et au ministre du Budget qui a validé le système Nicolas Sarkozy." Le président de la République nie quant à lui tout rôle dans cette affaire. Il pourrait toutefois être entendu comme témoin en cas de défaite au second tour de la présidentielle.

Contacté par FTVi mardi, le parquet de Paris n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet.

 

> Pour plus de détails, lire notre article - L'affaire Karachi, c'est quoi ?

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