Affaire Marina : comment la maltraitance est-elle dépistée en France ?
FRANCE - Les parents d’une petite fille de 8 ans sont actuellement jugés au Mans pour avoir infligé des sévices mortels à leur enfant. Les associations comptent sur ce procès pour mettre en lumière les lacunes de la protection de l’enfance en France.
Pourquoi une petite fille dénutrie, déscolarisée, blessée à plusieurs reprises et même hospitalisée pendant un mois n’a-t-elle jamais été retirée à sa famille ? C’est l’une des questions soulevées par le procès de l’affaire Marina, qui s’est ouvert le 11 juin au Mans (Sarthe). Cette enfant de 8 ans est morte en août 2009 des suites des sévices que lui ont infligés ses deux parents pendant des années.
Quatre associations, dont La Voix de l’enfant, se sont constituées partie civile pour faire de ce procès celui de la maltraitance et pointer du doigt les dysfonctionnements de la protection de l’enfance en France. FTVi liste, avec la directrice de la Voix de l’enfant, Martine Brousse, les points forts et les lacunes du système.
• Une loi, qui a réformé la protection de l’enfance en 2007
Le + Une loi votée en 2007 met l’accent sur la prévention et a créé dans chaque département une cellule chargée de traiter "les informations préoccupantes" concernant un mineur de moins de 15 ans ainsi qu’un observatoire de la protection de l'enfance. "La France a la meilleure législation en matière de protection de l’enfance", reconnaît Martine Brousse.
Le - Bémol de la directrice de La Voix de l’enfant : la mise en œuvre de cette loi pâtit, selon elle, "d’un manque de moyens humains et financiers". Et de citer en exemple les observatoires de la protection de l’enfance : "Sur 41 en France, seuls 11 fonctionnent." En outre, les départements ne sont pas équipés d’un logiciel commun en la matière, ce qui permet aux familles, comme celle de Marina, d’échapper à la vigilance des services sociaux en déménageant plusieurs fois.
• Un numéro, le 119
Le + Mis en place en 1990, le 119 permet à n’importe quel citoyen de signaler un cas de maltraitance sur un enfant. Ce numéro d'urgence gratuit fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Sur les 500 000 appels reçus chaque année, 90 % le sont par des adultes et seuls 2% font l’objet d’un signalement aux services sociaux.
Le - Il a beau exister depuis plus de vingt ans, le 119 reste peu connu du grand public. "J’ai fait un test il y a quelques jours au Mans, lors du procès de l’affaire Marina et ça ne disait rien à personne", souligne Martine Brousse. La Voix de l’enfant devrait relancer une campagne sur ce numéro. Pour signaler un enfant en danger, il est également possible de saisir la défenseure des enfants, qui a désormais accès aux procédures judiciaires en cours.
• Un responsable, le conseil général
Le + La loi de 2007 a réaffirmé le rôle central du département dans la protection de l’enfance. Objectif : soulager la justice et éviter les signalements abusifs au juge des enfants. C'est au service de l'Aide sociale à l'enfance puis au président du Conseil général de déterminer si la situation de l’enfant doit faire l’objet d’une enquête judiciaire ou d’une simple enquête administrative.
Le - Tout comme le 119, le rôle du conseil général dans les affaires de maltraitance est méconnu. Le réflexe est d'appeler directement la police ou les parents suspectés, "ce qui n'est pas la meilleure idée", relève Martine Brousse. Dans ce type d'affaires, les policiers peuvent difficilement agir sans l’aval du procureur. D’autres fois, c’est le conseil général qui ne signale pas au procureur une affaire qui mériterait de l’être. "Un manque de volonté politique" dénoncé par La Voix de l’enfant, qui estime que "la protection de l’enfance n’aurait pas dû être confiée à des élus".
• Des relais, les enseignants et les travailleurs sociaux
Le + Les enseignants jouent souvent un rôle important dans le signalement des maltraitances. Dans l'affaire Marina, ce sont eux qui ont alerté à plusieurs reprises leur hiérarchie ou les services sociaux. Les travailleurs sociaux, eux, connaissent les familles en difficulté et sont les plus à même de faire remonter les "informations préoccupantes" à leur hiérarchie.
Le - Dans les deux cas, "la hiérarchie" en question n'agit pas toujours et les informations remontées du terrain restent sans suite. En outre, La Voix de l'enfant évoque les conditions de travail peu adaptées des travailleurs sociaux. "Si leurs horaires dépassaient 9h et 17h30 et qu'ils ne prévenaient pas à l’avance de leur visite, ils ne trouveraient peut-être pas porte close", déplore Martine Brousse. Faute d’éléments probants, les affaires sont ainsi classées sans suite par le parquet, comme cela a été le cas pour Marina en 2008. "La maltraitance ne se limite pas aux heures ouvrables, au contraire, elle intervient le soir, les week-end et en vacances, quand personne n’est là pour signaler un problème", prévient Martine Brousse. La petite Marina est morte au mois d’août.
• Des lieux d’écoute, les unités médico-judiciaires
Le + Les UAMJ (Unités d’accueil médico-judiciaire), installées dans les hôpitaux, permettent de prendre en charge un enfant dans un contexte plus rassurant qu’un commissariat et d’assurer sa protection pendant le déroulement de l’enquête judiciaire. L’audition de l’enfant est filmée et enregistrée afin de lui éviter d’être réentendu. L’équipe est pluridisciplinaire, avec des médecins, des psychologues, des policiers, des travailleurs sociaux… Elles sont financées par La Voix de l’enfant.
Le - Il n’en existe qu’en cinquantaine en France. L’hôpital du Mans n’avait pas encore d’UAJM au moment de l’affaire Marina. "Si cette petite fille avait vécu en Anjou, qui disposait d’une telle structure, elle aurait été sauvée", regrette Martine Brousse. La fillette a en effet été entendue une fois par les enquêteurs en 2008 mais en présence de son père et non dans ce type de structure adaptée.
La Voix de l’enfant appelle à la multiplication des UAMJ qui décloisonne la prise en charge de la maltraitance et qui permettraient de faire valoir le principe de précaution pour l’enfant. "On hospitalise un enfant pour une suspicion de méningite, pourquoi pas pour une suspicion de maltraitance", s’interroge Martine Brousse, rappelant qu’il faut toujours soustraire le plus tôt possible un enfant à la violence.
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