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Alsace : un référendum ? Quel référendum ?

Les Alsaciens sont appelés à se prononcer dimanche sur la création d'une collectivité territoriale d'Alsace, fusion des deux conseils généraux et du conseil régional. La clé du scrutin réside dans le taux d'abstention. 

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un passant, mercredi 4 avril, devant des panneaux électoraux installés à Schiltigheim (Bas-Rhin), avant le référendum sur la collectivité territoriale unique d'Alsace. (FABIEN MAGNENOU / FRANCETV INFO)

"Ce qui est incroyable, c'est qu'on n'est pas du tout informé de ce que c'est." A l'heure du déjeuner, au S'Wacke Hiesel de Strasbourg (Bas-Rhin), la question du référendum est évoquée juste avant le dessert, bien après l'affaire Cahuzac. Les Alsaciens doivent décider de fusionner ou non les conseils généraux du Bas et du Haut-Rhin, ainsi que le conseil régional dans une seule structure, la collectivité territoriale d'Alsace. 

Alors que le vote a lieu dimanche 7 avril, beaucoup d'électeurs peinent encore à résumer les enjeux du scrutin, quand ils n'en ignorent pas l'existence. Le taux d'abstention est pourtant la clé de la consultation. Pour être validée, la réforme doit obtenir l'accord de 25% des électeurs inscrits, dans chacun des deux départements concernés. C'est loin d'être gagné, notamment dans le Haut-Rhin.

Les défenseurs du projet prônent la simplification administrative et espèrent doper leur économie en s'inspirant du modèle des voisins, comme le Land allemand du Bade-Wurtemberg ou le canton de Bâle-Ville. Ses opposants critiquent un nouveau casse-tête administratif et une entorse à la République une et indivisible. Le texte est notamment porté par l'UMP, l'UDI, le MoDem et EE-LV, alors qu'il est dénoncé par le PCF, le Parti de gauche, le FN et Debout la République. Le Parti socialiste est divisé sur la question. 

"Personne ne peut dire ce qui va se passer dimanche"

Le président UMP du conseil régional, Philippe Richert, est l'acteur inévitable de la campagne. Ce référendum, c'est un peu son enfant. D'aucuns évoquent avec ironie "le projet de sa vie" et rient de "sa prétention à vouloir écrire l'histoire". Ce jeudi 4 avril au soir, il assiste à sa 122e réunion publique, dans la salle des fêtes de Saint-Louis, à quatre kilomètres de Bâle (Suisse). Face à lui, près de 200 personnes. A ses côtés, de nombreux élus, dont le président UMP du conseil général du Haut-Rhin, Charles Buttner, ou Jean-Marie Bockel, ancien maire UDI de Mulhouse et ex-ministre.

Philippe Richert, président UMP du conseil régional d'Alsace, jeudi 4 avril à Saint-Louis (Haut-Rhin).  (FABIEN MAGNENOU / FRANCETV INFO)

Une énième fois, il détaille un projet aux contours encore flous. Une collectivité unique, qui reprend les compétences des conseils généraux du Haut et du Bas-Rhin et celles du conseil régional, parée des vertus de "la simplification". Assis au dernier rang, un couple de retraités est venu par curiosité et "pour s'informer un peu". "C'est toujours pareil, on lance un truc et on réfléchit après. Vu le 'climat', je penche plutôt pour le non. Ce qui m'intéresse, c'est qu'il y ait moins d'élus, je ne leur fais plus confiance."

L'actualité judiciaire est dans tous les esprits. "Ce qui s'est passé avec Jérôme Cahuzac n'est pas une bonne affaire pour nous", concède Philippe Richert. "Quand je suis invité sur les plateaux télé, c'est avant moi Cahuzac, après moi Cahuzac." Jean-Marie Bockel tente de retourner la situation pour vanter le "oui". "Le moral est à zéro, il y a les affaires et le rejet de la politique, parfois à raison (...). Imaginez le rayon de soleil que ça serait ! Nous sommes fiers d'être Alsaciens !"  

Un peu plus tard, un homme prend la parole. "Beaucoup d'amis me disent qu'ils voteront 'non' pour montrer qu'ils en ont marre de ceux qui nous gouvernent." Brouhaha dans la salle. A la fin de la réunion, Charles Buttner prend encore le temps de discuter, une dernière fois avant le vote. "Je crois qu'on a réussi à faire un projet qui a touché les gens. Personne ne peut dire ce qui va se passer dimanche."

Le "microcosme politique" s'empare du sujet, et encore...

"Le référendum passionne surtout le microcosme politique", assure le maire PS de Strasbourg, Roland Ries. Et encore... "Ce n'est pas l'affaire du siècle, c'est une réforme institutionnelle." L'élu ne cache pas son manque d'enthousiasme. "Je ne ferai pas le choix de voter 'non', mais je n'ai pas la possibilité de voter 'oui'". Anne-Pernelle Richardot, conseillère régionale PS, a elle choisi de s'opposer au projet, qu'elle juge secondaire dans le contexte actuel. "Vous savez, les Alsaciens ont les mêmes préoccupations que le reste des Français : comment boucler la fin du mois !"

"Si seulement le projet était venu de la base...", soupire le conseiller régional du FN, Patrick Binder. Avec seulement 5 000 euros engagés dans la campagne, son parti milite pour le "non", mais a minima. D'abord favorable au projet, il a dû changer son fusil d'épaule après avoir été recadré par Marine Le Pen, à la mi-février. Nicolas Chevalier-Roch, animateur de Debout la République dans le Haut-Rhin, explique le désintérêt des électeurs par l'absence de "consultation publique dans l'élaboration du projet". Sa page Facebook, créée pour l'occasion, peine à rassembler 350 personnes.

La veille au soir, Jean-Luc Mélenchon (PdG) et Pierre Laurent (PCF) ont fait le déplacement à Mulhouse, dans un meeting d'opposition à la collectivité territoriale d'Alsace. "Tout le monde a l'air de s'en foutre, là vous aurez vu deux responsables politiques nationaux", lance le premier à l'assistance. Avant lui, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan se sont rendus dans la région. Mais aucun représentant national du PS ou de l'UMP n'a pointé le bout du nez.

Jean-Luc Mélenchon, lors du meeting d'opposition au projet de collectivité territoriale d'Alsace, mercredi 3 avril à Mulhouse (Haut-Rhin). (FABIEN MAGNENOU / FRANCETV INFO)
Les Alsaciens sont mal informés des enjeux du scrutin

Le référendum ne déchaîne pas les foules. Tous les ingrédients d'une grande élection sont pourtant réunis. Les panneaux électoraux ont été installés devant les écoles, les bulletins de vote ont été adressés par la poste, quelques autocollants parcourent les murs... Rien n'y fait. David, consultant en entreprise de 36 ans, pique un roupillon dans le TER entre Strasbourg et Mulhouse. "On doit voter 'oui' ou 'non' pour l'union des deux conseils généraux, c'est ça ? A priori, c'est intéressant, mais ça veut dire quoi ? Que [les Alsaciens] n'avaient pas assez de poids avant ?" Il a beau relire le mail signé du conseil régional, reçu le matin sur son portable, cette simplification-là semble bien compliquée. "Aujourd'hui, je n'ai pas le sentiment d'avoir toutes les billes. Mais il reste encore jusqu'à dimanche."

Dans la vie comme dans ce dossier, René n'entend pas grand-chose. "Vous savez de quoi on parle en ce moment ? De ça." L'octogénaire désigne le journal posé sur la table d'un bistro de Schiltigheim. L'affaire Cahuzac barre la une des Dernières Nouvelles d'Alsace, comme partout en France. Les défenseurs du projet "n'arrivent pas à faire mousser le 'oui', on reste sur notre faim, ce n'est pas assez précis", résume-t-il. Et puis ils ont, selon lui, "la folie des grandeurs". "Je n'irai pas voter, pas pour ça", entend-on à Mulhouse. "Je ne sais même pas ce que ça veut dire."

Anne-Pernelle Richardot pointe un déficit d'information. "Lors du traité constitutionnel européen, tous les foyers avaient reçu le texte intégral par courrier, d'ailleurs cela avait coûté très cher." Cette fois, les Alsaciens doivent se contenter d'un document-type succinct, car les contours exacts de la future collectivité restent encore à définir, selon elle. "Pour le moment, le projet est une coquille vide."

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