Cet article date de plus de cinq ans.

Kiki, Bibiche, Elvis… Ici reposent des "bêtes à chagrin" : on s'est baladé dans l'un des plus grands cimetières pour animaux du monde

Article rédigé par Simon Gourmellet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Plus de 100 000 chiens, chats et autres tortues sont enterrés dans ce cimetière de 2 hectares à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine). (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

A l'occasion de la sortie du film "Simetierre", adapté du livre de Stephen King, nous nous sommes baladés dans les allées du cimetière des animaux d'Asnières-sur-Seine, le plus vieux et sans doute l'un des plus grands au monde.

"Bonjour les petits, maman va arranger ça." Les bras chargés de fleurs, Maurillia est désolée. Les coups de vent du week-end ont mis à terre la dizaine de thuyas encadrant la tombe d'Elvis. Elle ne foule pas les graviers des allées du cimetière de Graceland aux Etats-Unis, dernière demeure du King, mais ceux du cimetière des chiens d'Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine) pour fleurir la tombe de son petit yorkshire, mort en 2010, et du labrador de sa fille, enterré juste à côté.

Le portail d'entrée du cimetière date de sa création en 1899. (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

Coincé entre le pont de Clichy, les voies sur berges et la Seine, ce petit coin de verdure est considéré comme le premier cimetière d'animaux créé au monde, selon la plaquette touristique distribuée à l'entrée. Kiki, Minouchette, Toby, Gribouille, Fantomas… Près de 100 000 chiens, chats, poneys et même singe goûtent ici un repos éternel. Des compagnons fidèles dont la mémoire est précieusement entretenue par des maîtres toujours éplorés. Un lieu bien éloigné de celui décrit dans le film Simetierre, inspiré du roman d'épouvante de Stephen King, en salle mercredi 10 avril, où des animaux reviennent mystérieusement d'entre les morts. Intrigués par ce cimetière des chiens, nous sommes allés y déambuler.

Chien errant ou héros de guerre

C'est Barry qui monte la garde. Une fois les grilles de l'imposante entrée franchies, ce saint-bernard trône sur un piédestal avec un enfant sur le dos. L'histoire dit qu'il "sauva la vie à 40 personnes et mourut pour la 41e". "Une légende", tempère Didier Chatin, guide touristique devenu spécialiste des allées de cette nécropole datant de 1899. "A cette époque, les animaux morts étaient le plus souvent jetés aux ordures, dans la Seine ou dans les fossés des fortifications", explique-t-il en farfouillant dans ses fiches. Un couple, Georges Harmois et la journaliste féministe Marguerite Durand, rachète une partie de ce qui est alors l'île des Ravageurs pour y fonder le cimetière des chiens, désormais propriété de la ville d'Asnières-sur-Seine. A côté de Barry, Didier Chatin s'arrête devant une simple stèle posée sur le sol. C'est là que repose un chien errant anonyme, venu mourir en mai 1958 aux portes du cimetière. Coup de chance dans son malheur, il est alors le 40 000e animal à faire ce voyage sans retour sur les lieux et y gagne ainsi sa dernière demeure.

La tombe du singe Kiki, avec cette épitaphe : "Dors ma chérie. Tu fus la joie de ma vie." (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

Il suffit de passer la main sur la mousse qui recouvre certaines inscriptions pour plonger dans les coulisses de l'histoire. Exemple juste à côté de Barry. Une pierre usée par les intempéries présente Drac, "fidèle compagnon des heures tragiques et ami précieux dans l'exil". Mort en 1953, ce chien eut comme généreuse maîtresse la princesse de Roumanie et reine des Hellènes, Elisabeth de Roumanie. Surnommée "la tante rouge" pour ses liens étroits avec le Parti communiste roumain, elle fut pourtant chassée de son pays avec son compagnon d'infortune à quatre pattes au moment de la proclamation de la République populaire, le 30 décembre 1947.

L'une des nombreuses épitaphes qui font aussi l'intérêt de l'endroit.  (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

De l'autre côté de l'allée s'élève une stèle plus récente, mais pour un chien beaucoup plus vieux : Moustache, héros de la Grande Armée napoléonienne. Rien de moins. En 1799, ce barbet errant s'incruste dans la caserne des grenadiers en garnison à Caen. Il ne les quittera plus. Lors de la campagne d'Italie, l'animal débusque un Autrichien venu espionner les Français la veille de la bataille de Marengo. "Et à Austerlitz, l'histoire veut qu'il porta secours au porte-étendard du régiment. A défaut de le sauver, il est parvenu à récupérer le drapeau", raconte avec amusement Didier Chatin. Un fait d'armes qui lui coûta une patte, certes, mais lui fit gagner une petite médaille avec écrit d'un côté "Perdit une jambe à la bataille d’Austerlitz, et sauva le drapeau de son régiment" et de l'autre "Moustache, chien français : qu’il soit partout respecté et chéri comme un brave". Devenu célèbre, il fut même présenté à l'Empereur.

"Ton waouh waouh nous manquera toujours"

Mais si certains ont eu leur heure de gloire ou leur vie chroniquée dans des livres d'histoire, d'autres (la grande majorité à dire vrai) ne sont les héros que de leur maître. Sur les marbres s'égrènent des épitaphes qui peuvent prêter à sourire. "Ton waouh waouh nous manquera toujours", "Nous n'irons plus au bois où tu courais joyeux. Je te dépose là mon ami merveilleux", ou encore, pour une tortue, "tu as été Ezequielle, un formidable cadeau de la vie et nos 13 années de bonheur resteront à jamais gravées dans nos cœurs". Certains sont tout de même plus célèbres que d'autres grâce à leur maître. C'est le cas de Clément, le corgi de Michel Houellebecq. Là où on pourrait s'attendre à un texte profond, sorti de l'esprit fécond de l'auteur de Sérotonine, on y lit simplement la détresse d'un homme face à l'absence : "Le 25 mars au milieu de la nuit ton cœur s'est arrêté de battre, et le monde est devenu plus terne. Dors mon petit bonhomme. Que de belles escapades. Que d'amour. Merci petit Clément."

Une tombe du cimetière des chiens d'Asnières-sur-Seine. (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

C'est au détour d'un monument à l'effigie d'un gros chat que l'on retrouve Maurillia dans "[s]on allée", sans conteste la mieux entretenue du cimetière. Après tout, c'est elle qui a fait mettre du gravier blanc et a entièrement fleuri la zone. Échaudée par les questions de journalistes qu'elle a déjà croisés, elle est sur la défensive, préférant ne pas étaler son chagrin. Par pudeur, et surtout de peur de ne pas être comprise. La soixantaine passée, elle vient "deux jours par semaine en hiver et quatre en été". Elle bine, gratte, plante, désherbe, décore mais, surtout, elle parle à feu son chien Elvis, "son petit fils à quatre pattes". "Il m'a donné tellement d'amour de son vivant, sans hypocrisie, sans réfléchir. Je lui dois bien ça."

La tombe d'Elvis, particulièrement bien entretenue par Maurillia. Elle y vient jusqu'à quatre fois par semaine l'été.  (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

Alors elle dépense sans compter, commandant à Noël des sapins, de couleur différente chaque année. On devine aux guirlandes et petits oiseaux en plastique encore accrochés dans les branches des sapins que la mode de l'an dernier était aux tons bleus et blancs. "On ne rigole pas avec ça", dit-elle. Même démonstration d'amour à chaque anniversaire de décès ou de naissance, où elle fait fleurir la tombe d'Elvis. "C'est soit tout, soit rien, comme disait mon père", rit-elle. Et quand on aime, on ne compte pas.

J'y consacre l'argent que j'aurais dépensé en frais de vétérinaire ou en croquettes.

Maurillia, maîtresse de feu Elvis

Pour une concession de trois ans, il faut compter entre 300 et 700 euros. Pour 20 ans, c'est entre 1 800 et 3 700 euros. Sans compter l'enterrement, dont la facture peut grimper à 1 600 euros "sans la stèle", précise Maurillia. D'autres dépensent bien plus, au risque de se faire trop remarquer. Comme ce fut le cas en 2012, lorsque la tombe de Tipsy, le caniche d'une riche Américaine, a été profanée. L'animal reposait en paix, ou presque, avec un collier de diamants estimé à 9 000 euros.

Ici repose Ezequielle la tortue avec cette inscription sur une plaque : "Tu as été un formidable cadeau de la vie, et nos 13 années de bonheur resteront à jamais dans nos cœurs". (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

Une localisation physique de l'utopie

A une poignée de tombes de là, Patricia et Colette flânent, s'arrêtant à chaque stèle pour y lire les épitaphes. Ces deux amies sont venues de Cergy-Pontoise par curiosité. Elles sont à la recherche de l'une des stars de ce Père-Lachaise des animaux : Rin Tin Tin, "la vedette de cinéma", et non celle de la célèbre série des années 1950. L'animal, recueilli par un soldat américain à la fin de la guerre de 1914-1918, fut repéré par un producteur d'Hollywood qui le fit tourner dans plus de trente westerns de la Warner Bros. A sa mort, en 1932, son maître lui a fait retraverser l'Atlantique pour l'enterrer en France. Une belle histoire dont les deux femmes ignoraient les détails. Mais au-delà des anecdotes, le lieu les intrigue. Elles aussi ont des animaux, des yorks et des chats. Pourquoi ne pas les enterrer ici ? s'interrogent-elles. "C'est chouette, et émouvant de voir comment des maîtres remercient la fidélité que leur ont témoignée leurs animaux."

Patricia et Colette sont venues de Cergy-Pontoise (Val-d'Oise) pour se balader dans les allées de ce cimetière pas comme les autres.  (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

Ces deux hectares parsemés de tombes, de mots doux, de photos et même de vieux jouets forment ce que le philosophe Michel Foucault a baptisé un "contre-espace", dans sa définition du concept d'hétérotopie. Une localisation physique de l'utopie, "un lieu qu’on peut situer sur une carte, un de ces lieux réels hors de tous les lieux". Ici, on parle, avec des mots gravés dans le marbre ou prononcés en nettoyant une tombe, à des animaux morts, portés au rang d'êtres humains.

Lors de ses visites, Didier Chatin reconnaît que tout le monde n'est pas sensible à cette affection, à ces hymnes à l'amour immortalisés dans la pierre, à ces mausolées disproportionnés. "Certains comprennent, d'autres trouvent ça complètement exagéré." Un lieu à part donc."Les gens ne comprennent pas cet attachement que j'ai avec mon chien, alors qu'ici, entre maîtres, on se comprend", souffle Maurillia avant de reprendre son nettoyage. Et pourquoi ne pas reprendre un chien ? Pas question. "Ce sont des bêtes à chagrin vous savez."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.