Bac 2023 : à quoi servent encore la philosophie et le grand oral, dernières épreuves programmées en juin ?
"Faut-il réviser assidûment une matière difficile si sa note n'a que peu d'importance ?" Non, ce n'est pas le sujet de l'épreuve de philosophie du baccalauréat sur lequel vont plancher les élèves de terminale générale ou technologique, mercredi 14 juin. Mais c'est la question qui taraude nécessairement une partie des lycéens avant cette échéance et celle du grand oral, seule autre épreuve du bac programmée au cours du mois (entre le 19 et le 30). Pour la première fois, cette année, ils ont passé dès mars les deux épreuves de spécialité, dont les résultats ont été mis en ligne en avril. Si on y ajoute le contrôle continu, 82% des points comptant pour l'examen ont déjà été attribués. Pour de nombreux candidats, le bac est déjà en poche. Et dans certaines salles de classe, cela s'est vu dès le mois de mars.
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"Il est beaucoup plus compliqué de motiver les élèves en vue des épreuves de juin", observait dès avril Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, le premier syndicat des enseignants du secondaire. "On fait parfois cours à des moitiés de classe", assurait cette professeure de sciences économiques et sociales (SES), une des spécialités évaluées à l'écrit en mars, mais dans laquelle les bacheliers peuvent puiser leur sujet de grand oral. "Les élèves qui sont en cours ne sont plus aussi impliqués", constatait également Jérôme Fournier, secrétaire national SE-Unsa, un autre syndicat.
"Mon avenir est déjà tracé"
Depuis l'annonce des premiers résultats, "ils viennent en touristes, s'alarme Marie Perret. Ils ont envie de débats, mais ne sont plus dans la disposition d'esprit de travailler." Cette professeure de philosophie a interrogé ses élèves sur les raisons de ce relâchement : "L'un d'eux m'a dit : 'Madame, c'est comme si j'avais couru un marathon et qu'on me demandait, une fois la ligne franchie, de courir encore."
"On ressent une grosse baisse de motivation", "j'y mets le moins d'efforts possible", "ça fait du bien de relâcher la pression", reconnaissent sans difficulté des dizaines de lycéens qui ont répondu à l'appel à témoignages de franceinfo. Un sentiment d'autant plus fort que, simultanément aux épreuves de spécialités comptant pour un tiers du bac, ils ont bouclé début mars leurs dossiers de candidature aux formations du supérieur sur Parcoursup, auxquels les résultats de spécialités ont été ajoutés. "Mon avenir est déjà tracé", résume Sheïna, l'une de ces bachelières.
"Les parents ont l'impression que, pour leurs enfants, il n'y a plus que Parcoursup, et ne savent plus comment les motiver à aller en cours."
Ghislaine Morvan Dubois, trésorière de la fédération de parents FCPEà franceinfo
Aucune statistique ne permet d'estimer la part d'élèves assurés d'avoir leur bac avant juin. Mais "une majorité d'entre eux sait où elle en est", assure Jérôme Fournier. "J'ai fait des calculs et travailler d'arrache-pied ne me ferait même pas gagner un point de plus. A quoi ça sert ?", s'interroge ainsi Jason.
Pour d'autres, les dernières épreuves seront décisives, mais les notes de spécialité leur ont donné un coup sur la tête. "S'ils ont eu 3/20, certains se disent désormais que l'école n'est plus faite pour eux", raconte David Weimar, professeur d'anglais. Il s'inquiète des conséquences psychologiques, pour les plus fragiles, de connaître une partie de leurs notes dès avril.
La philosophie moins "rentable" que le grand oral
Issu de la dernière réforme du bac, le grand oral est toujours contesté par une partie du corps enseignant, qui le considère comme "une épreuve privilégiant la forme sur le fond", résume Sophie Vénétitay. Alors qu'il est organisé pour la troisième année, certains restent hésitants sur la bonne manière de noter les élèves, malgré l'existence d'une grille d'évaluation. Les lycéens doivent préparer deux sujets, issus de leurs deux spécialités. De fait, le travail sur le grand oral ne débute souvent qu'après les écrits de mars, sur un temps réduit.
"Le problème, c'est que les programmes de ces matières ne sont pas terminés", souligne Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées et des collèges (Snalc). "En chimie, par exemple, certains points très utiles pour les futurs étudiants en médecine ne sont pas traités avant le troisième trimestre." Pour le syndicaliste, cette situation force certains enseignants à choisir entre achever le programme et préparer le grand oral.
Peu populaire chez les enseignants, cet exercice semble cependant motiver au moins une partie des lycéens qui ont répondu à franceinfo. Lié au choix de spécialités, il est "en lien direct avec mon orientation scolaire et des matières que j'aime", explique ainsi Titouan. D'autres ont une vision plus cynique de la question : "Au grand oral, il est impossible d'avoir en dessous de la moyenne", pense Jessy. Thomas estime, lui, que c'est là qu'il "peut aller chercher le plus de points".
Pour ces élèves, c'est la philosophie, totem du baccalauréat, qui fait figure de repoussoir. Parfois, par manque d'intérêt pour la matière. Parfois, en raison de son coefficient réduit (8% de la note du bac général, 4% de celle du bac technologique) et d'une notation perçue comme sévère et aléatoire. "Ils considèrent, plus ou moins consciemment, que le travail demandé par la philo n'en vaut pas vraiment la chandelle", observe Marie Perret. Présidente de l'Association des professeurs de philosophie de l'enseignement public, elle ne s'étonne pas des conséquences du nouveau calendrier sur sa matière :
"On savait dès le début qu'on serait les dindons de la farce, qu'il n'y aurait pas réellement de troisième trimestre, et que notre épreuve serait isolée et vidée de son enjeu."
Marie Perret, présidente de l'Association des professeurs de philosophie de l'enseignement publicà franceinfo
En 2018, présentant la réforme, l'ex-ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, revendiquait de faire de la philosophie "la matière commune par excellence", la seule partagée par tous les élèves. Cinq ans plus tard, Marie Perret évoque une "réelle inquiétude" sur l'avenir de sa discipline.
"Montrer quelque chose d'intéressant de sa pensée"
Sans être aussi candides que le personnage de Voltaire, certains se montrent plus optimistes. Professeur de philo, Hervé Bonnet a bien constaté la démotivation de ses élèves au printemps. Mais il tente de faire passer l'idée "que l'objectif n'est pas d'avoir le bac" : si on consacre tant d'heures de cours à chercher le sens de la liberté, de la justice ou du bonheur, "c'est pour développer son esprit critique" en vue de sa vie future.
De même, bien que perfectible, le grand oral a ses avocats. David Weimar, professeur d'anglais qui le prépare avec ses élèves de la spécialité Langues, littératures et cultures étrangères, y voit une rare occasion de demander à l'élève de "montrer quelque chose d'intéressant de sa pensée", via l'interprétation d'une œuvre artistique anglophone.
Un point de vue en accord avec la vision défendue par le directeur général de l'enseignement scolaire, Edouard Geffray. A ses yeux, avec cette réforme, les derniers mois du lycée sont aussi "des mois de projection vers le supérieur". Par l'approfondissement des spécialités, censées correspondre au projet d'orientation de l'élève. Par l'apprentissage de l'oral, compétence clé par la suite. Et par l'étude de la philosophie, "une préparation à la vie". Il veut croire que les élèves n'ont pas besoin du "bâton" de la notation pour comprendre l'intérêt de ces dernières semaines de scolarité.
Reste que de nombreux syndicats plaident toujours pour un retour à un calendrier du bac plus classique, où toutes les épreuves auraient lieu en juin. Quitte à renoncer à la prise en compte des notes de spécialités dans Parcoursup : "On a très bien vécu sans pendant des années", estime Sophie Vénétitay. Si Edouard Geffray assure que le ministère observera attentivement les résultats et réagira en cas de "bouleversement majeur" des notes de philosophie, par exemple, la porte à un retour en arrière semble fermée. Interrogé par Le Figaro (article payant) mi-avril, le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, n'envisageait pas de revirement.
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