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"Je n'étais pas un garçon, pas non plus une fille" : des intersexes racontent leur combat pour s'affranchir du genre

Article rédigé par franceinfo - Raphaël Godet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Un signe neutre a été installé à l'entrée des toilettes du "21C Museum Hotel" de Durham en Caroline du Nord (Etats-Unis), le 10 mai 2016. (SARA D. DAVIS / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

La Cour de cassation examine, mardi, la plainte d'une personne qui demande à être reconnu comme étant de sexe neutre à l'état civil. Une première en France. Avant l'audience, d'autres personnes nées ni homme ni femme ont accepté de se confier à franceinfo.

Quand un enfant vient au monde, c'est la première chose que l'on s'empresse de demander. "Alors, c'est une fille ou un garçon ?" Pour certains, c'est un peu plus compliqué. "Quand je suis né en 1965, ma mère a d'abord croisé le regard des médecins, raconte Vincent Guillot à franceinfo. Ils avaient l'air, disons... surpris de voir comment j'étais fait." Aux parents de Vincent, les chirurgiens lancent : "Bon, c'est bizarre." Garçon ou fille ? Ni l'un, ni l'autre. Ou alors un peu des deux, "étant donné les organes génitaux que je présentais : un micropénis, pas de testicules et un vagin". 

Mes parents ont compris qu'ils avaient hérité d'un monstre.

Vincent Guillot

à franceinfo

Comme environ 2% des naissances annuelles en France, selon le secrétariat d'Etat à la Famille (mais ces chiffres sont contestés), Vincent Guillot est une personne intersexe. C'est-à-dire qu'il est né avec une ambiguïté sexuelle visible, si bien qu'il est impossible de le classer comme "homme" ou "femme", selon les standards habituels. Leur sort est régulièrement questionné devant les tribunaux de France. Mais jusque-là, il n'était jamais arrivé sur la table de la Cour de cassation. La plus haute juridiction du pays examine, mardi 21 mars, le cas de Gaëtan (un prénom d'emprunt), âgé de 66 ans. Né ni homme ni femme, il demande à être reconnu comme étant de sexe neutre à l'état civil. 

Des opérations "inhumaines", "atroces"

Dans le cas de Vincent Guillot, "par défaut", les chirurgiens le déclarent garçon à la naissance, "en attendant les opérations que mes parents ont acceptées que je subisse". Il est âgé de 7 ans pour la première. Il y en aura dix en tout. Toutes très douloureuses, "inhumaines", "atroces" : "Tout ça pour retirer tout ce que j'avais de fille en moi."

Je comprendrai plus tard que, aux yeux des médecins et de ses parents, j'étais comme un garçon cassé qu'il fallait réparer.

Vincent Guillot

franceinfo

A l'époque, le mot "intersexe" n'existe pas. Et surtout, on ne connaît pas grand-chose sur cette question. Rejeté par ses parents, Vincent Guillot est envoyé chez sa grand-mère, "aux côtés d'un oncle schizophrène". Pendant des années, il se cherche : "Je savais que je n'étais pas un garçon, pas non plus une fille. Mon corps dit autre chose." Homme à l'état civil, il ne se conforme pas pour autant aux stéréotypes assignés au genre masculin, que ce soit par exemple dans ses vêtements ou sa coupe de cheveux. "Les gens se retournaient derrière moi. J'étais celui que l'on rejetait quasi-systématiquement, que l'on préférait cacher."

Aujourd'hui âgé de 52 ans, Vincent Guillot vit de petits boulots, "des travaux agricoles surtout". Il a aussi suivi des études de sociologie. "Je voulais comprendre en profondeur ce qui se cache derrière cette question. Si ça peut faire avancer notre cause, nous qui n'avons pas de véritable statut légal, ni social."

"M" comme masculin : "Ce n'est pas moi, c'est une fiction"

Mathieu aussi a un prénom et l'apparence d'un homme. A la case "sexe" sur son passeport, c'est d'ailleurs écrit "M" comme "masculin". Mais "ce n'est pas moi, c'est un choix par défaut, c'est une fiction, raconte-t-il. On a fait que me rentrer dans une catégorie socialement construite." Dans la vie de tous les jours, on lui dit "monsieur", mais "je ne suis ni monsieur, ni madame". "Après, je ne vais pas passer mon temps à me battre avec la boulangère ou le facteur du quartier" au sujet de ce qualificatif, confie-t-il.

Il y a des choses plus importantes. Comme Gaëtan, qui a porté son cas devant la Cour de cassation, il souhaite que l'Etat retire les mentions de genre à l'état civil. "Ça n'a plus d'utilité à mes yeux. Pour autant, je ne veux pas non plus d'une troisième option qui serait 'autre' ou 'intersexe'. Autant ne rien mettre." Lui propose de faire inscrire les enfants nés intersexes dans un genre, "tout en leur donnant la possibilité de changer quand il le souhaite". Pour mener cette bataille juridique, il a même monté le Groupement d'information et de soutien sur les questions sexuées et sexuelles (Giss) il y a un an, au sein duquel se retrouvent régulièrement intersexes, juristes et avocats.

Un premier pas de François Hollande

C'est aussi le combat de Vincent Guillot, cofondateur de l'Organisation internationale des intersexes (OII). "On ne demande pas la lune, explique le militant. Notre objectif, c'est de sortir des cases dans lesquelles on nous fait rentrer de force. C'est insupportable de se dire que les gens différents sont moins bien considérés en France, voire pas considérés du tout. On veut que la justice reconnaisse qu'on peut être ni homme ni femme"

Année après année, leur travail commence à payer. Jusqu'au sommet de l'Etat. Lors d'une rencontre avec des associations de lutte pour les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et trans (LGBT) à l'Elysée, vendredi 17 mars, François Hollande a fait un grand pas en avant en déclarant souhaiter l'interdiction "des opérations chirurgicales subies aujourd’hui par des enfants intersexes qui sont de plus en plus largement considérées comme des mutilations". Des propos qui ont été accompagnés d'applaudissements. 

Le Sénat aussi s'est penché sur la question. Un rapport, rendu public au début du mois de mars, a mis sur la table plusieurs recommandations. Il préconise "une meilleure prise en charge médicale et psychologique". Il souhaite également que des efforts soient faits "pour lutter contre les tabous" et pour préserver "de l’exclusion et de la stigmatisation" les personnes concernées.

Il était grand temps d'agir. L'an dernier, le Comité contre la torture de l'ONU s'en était mêlé. Il avait exhorté la France de "prendre des mesures législatives, administratives ou autres pour garantir le respect de l’intégrité physique des personnes intersexuées". Car le combat est loin d'être terminé pour les intersexes dans l'Hexagone. L'audience de la Cour de cassation, à laquelle Vincent Guillot sera présent mardi 21 mars n'est qu'une première étape. "On peut entrer dans quelque chose de nouveau dans la prise en considération de notre existence", confie-t-il. Quelle que soit l'issue, il faudra, selon lui, être patient "pour arriver à faire changer les mentalités des gens".

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