Pourquoi recevoir un jeu vidéo à Noël risque de vous coûter cher
Vendus au prix fort, de nombreux jeux à gros budget contiennent des systèmes de paiement intégrés. Et incitent parfois le joueur à mettre la main à la poche.
Fifa 19, Battlefied V, Assassin's Creed Odyssey, Read Dead Redemption 2... Tous ces jeux vidéo, vendus autour de 60 euros, ont une forte chance de se retrouver au pied des sapins de Noël. Autre point commun : ils proposent aux joueurs des contenus supplémentaires payants, vendus séparément, qui peuvent faire gonfler l'addition.
Un procédé de plus en plus répandu qui a provoqué l'an dernier une polémique lors de la sortie de Star Wars : Battlefront 2. Franceinfo se penche sur ces pratiques des éditeurs de jeux qui incitent lourdement à passer une nouvelle fois à la caisse pour continuer à jouer dans de bonnes conditions.
Des extensions payantes à gogo
Parmi les contenus payants les plus répandus : les aventures supplémentaires à télécharger pour prolonger la durée de vie du jeu. On parle de DLC, pour "downloadable contents" (contenus téléchargeables), parfois vendus avant même leur disponibilité avec le jeu original dans des éditions dites "deluxe" ou "gold". Le joueur peut également choisir d'acquérir ces DLC de manière groupée, après avoir acheté le jeu de base, en acquérant un season pass.
Ainsi, si vous décidez d'offrir à votre nièce l'édition standard du jeu de tir spatial Destiny 2 (vendue 55 euros à la Fnac) pour sa PlayStation 4, elle devra ensuite débourser 20 euros si elle souhaite acheter La Malédiction d'Osiris, aventure supplémentaire qui sort le 5 décembre, ou 35 euros pour le season pass qui regroupe La Malédiction d'Osiris et le DLC suivant prévu pour le printemps. Et cela sans compter l'abonnement au service PlayStation Plus (8 euros pour un mois ou 60 euros pour un an), requis pour profiter de toutes les possibilités multijoueurs du titre.
Proposer du contenu supplémentaire payant pour un jeu vidéo n'a pas grand-chose de neuf. Sorti en 1995, le célèbre jeu de stratégie Warcraft II avait, par exemple, eu droit à une extension (on parlait alors d'add-on) baptisée Beyond The Dark Portal, disponible un an plus tard. Les Sims, sortis en 2000, ont même eu droit à sept extensions payantes rajoutant des objets ou des animaux à l'aventure.
Personne n'y trouvait alors quoi que ce soit à redire. "A l'époque, les add-ons étaient distribués en boutique. Ils n'étaient pas du tout obligatoires pour le joueur et apportaient la plupart du temps de vraies améliorations", se souvient Ivan Gaudé, rédacteur en chef du site de la publication spécialisée Canard PC. Mais le progrès technologique et la démocratisation de l'ADSL puis de la fibre ont popularisé les contenus payants directement téléchargeables par le joueur. "Avec la distribution numérique, les éditeurs ont multiplié les DLC, quitte à proposer moins de contenu à chaque fois", relève ce spécialiste.
Aujourd'hui, vous pouvez payer 5 euros un DLC qui vous propose trois fois rien, contre 15 euros pour une histoire entière à l'époque.
Ivan Gaudé, de "Canard PC"à franceinfo
Certains éditeurs poussent même le vice jusqu'à proposer des DLC dès la sortie du jeu. Des scénarios additionnels à Resident Evil 7, sorti le 24 janvier, ont ainsi été mis en vente sept jours plus tard (10 euros), tandis que Mortal Kombat X proposait des personnages supplémentaires à acheter dès sa sortie le 14 avril 2015 (10 euros). De quoi provoquer un certain courroux chez les gamers, qui y voyaient une manière de masquer le prix réel du jeu complet.
Géant mondial du secteur, le Français Ubisoft propose régulièrement plusieurs éditions pour ses jeux phares. Assassin's Creed Origins est ainsi disponible en six versions différentes sur le site officiel de l'entreprise. Outre le fameux season pass, présent dans la moitié d'entre elles, certaines incluent des gadgets aux couleurs de la série. Contacté par franceinfo, un responsable explique cette multiplication des offres par la volonté de proposer "un plus grand choix pour les joueurs. Cependant, nous devons nous assurer qu'ils ne seront pas désavantagés face aux autres joueurs s'ils décident de ne pas acheter les contenus supplémentaires."
Des pochettes-surprises aux gains aléatoires
Ce responsable d'Ubisoft fait allusion à une polémique récente liée à un autre mécanisme : les loot boxes ("caisses de butin"). Depuis quelques années, de plus en plus de jeux proposent ces pochettes-surprises, que le joueur peut le plus souvent acquérir contre de la monnaie virtuelle, glanée pendant ses parties, ou quelques euros bien réels.
Le mécanisme ? Contre une petite somme, vous recevez une poignée d'objets dont la valeur est aléatoire. Il peut s'agir de simples éléments cosmétiques (c'est par exemple le cas dans le jeu de tir Overwatch) ou de bonus pouvant faciliter votre progression ou faire basculer le cours d'une partie en votre faveur. Ainsi, Fifa 18 propose dans le mode Ultimate Team d'acheter des "packs" de joueurs pour composer son équipe personnalisée. Du coup, si vous trouvez Cristiano Ronaldo à l'intérieur d'une de ces loot boxes, vos matchs seront plus faciles qu'avec un attaquant du FC Metz.
La polémique a été encore plus vive concernant Star Wars : Battlefront 2. Lorsque les acheteurs qui avaient précommandé ce titre inspiré de la célèbre saga ont pu le tester en avant-première, ils se sont rendu compte qu'il proposait dans ses loot boxes des récompenses certes aléatoires, mais qui avantageaient clairement les joueurs qui s'en procuraient beaucoup. Il favorisait donc ceux qui étaient prêts à mettre la main à la poche. Devant la bronca, l'éditeur Electronic Arts a choisi de désactiver "temporairement" les loot boxes du jeu.
"Vous êtes sûr de gagner quelque chose, mais vous ne savez pas quoi ! Et si ce que vous obtenez ne vous satisfait pas, vous êtes incité à remettre de l'argent dans le mécanisme", décrypte Antoine Autier, responsable adjoint des études de l'UFC-Que Choisir.
Les 'loot boxes' se rapprochent du mécanisme des jeux de hasard qui sont régulés en France : il s'agit d'argent réel contre un gain éventuel.
Antoine Autier, responsable adjoint des études de l'UFC-Que Choisirà franceinfo
L'association de consommateurs, qui a interpellé l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) à ce sujet, estime que les éditeurs devraient afficher de manière transparente les probabilités de gains dans les loot boxes, et appelle de ses vœux la mise en place d'une "signalisation très claire" sur la présence d'achats intégrés dans les jeux concernés. Une manière, selon elle, d'aider les consommateurs à "accepter ou non, en conscience, ces règles du jeu".
La recette miracle pour faire gonfler les marges
Qu'il s'agisse de DLC ou de pochettes-surprises virtuelles, ce changement de philosophie dans la manière de financer la production d'un jeu vidéo porte un nom qui fait désormais rêver tous les mastodontes du secteur : le GaaS, pour Games as a service ("jeux vidéo en tant que service"). "Cela consiste à rentabiliser les efforts financiers énormes faits par les éditeurs pour créer et faire connaître une marque en prolongeant la durée de vie d'un jeu de manière payante", résume Ivan Gaudé.
"Certains blockbusters coûtent aujourd'hui jusqu'à 60 millions d'euros à leurs éditeurs. Il faut y ajouter le marketing, qui coûte parfois autant", continue le journaliste. Ces investissements augmenteraient plus vite que le nombre de ventes, et incitent les géants du secteur à fidéliser leur clientèle en lui proposant des DLC payants le plus longtemps possible, tout en l'incitant à dépenser quelques euros pour du contenu virtuel aléatoire lui permettant de rester à la page. Avec, parfois, des mécanismes entre le jeu et la technique de vente qui laissent songeur : le jeu de guerre Call of Duty : WW2 comporte une mission dont le seul objectif est d'observer trois autres joueurs ouvrir une loot box.
Ces procédés relèvent d'autant plus de la recette miracle que, de par leur nature dématérialisée, ils permettent aux éditeurs de réaliser des marges plus que confortables. "La marge sur un jeu sorti dans des conditions classiques dans des magasins tourne, dans le meilleur des cas, autour de 30%, mais sur un contenu additionnel numérique multipliable quasi à l'infini, elle atteint plutôt les 70-80% !" relève Ivan Gaudé. Les derniers résultats financiers publiés par Ubisoft vont d'ailleurs dans ce sens : entre mai et septembre 2017, l'entreprise a annoncé avoir récolté 174,5 millions d'euros grâce aux seuls "investissements récurrents des joueurs", qui comprennent notamment les achats intégrés aux jeux et les DLC. Une somme en augmentation de 83% en un an.
Une tendance irréversible ?
Avec ses forts revenus et ses marges confortables, le GaaS est-il là pour durer ? Pas forcément, estime Ivan Gaudé. "Le temps et le porte-monnaie des joueurs ne sont pas extensibles. Si, demain, un jeu type GaaS pensé pour durer fait un triomphe, il peut vampiriser le succès des autres titres qui jouent sur le même créneau, un peu comme World of Warcraft avait écrasé la concurrence des jeux de rôle massivement multijoueurs au milieu des années 2000", prophétise ce spécialiste.
Une grogne d'ampleur des joueurs, à l'image de celle qui a touché Star Wars : Battlefront 2, pourrait aussi inciter les géants du secteur à se montrer plus prudents. Certains ont, en tout cas, profité de cette situation pour en faire un argument marketing. Les Polonais de CD Projekt Red, créateurs de The Witcher 3, dont la qualité des DLC a été saluée par la critique, ont déjà promis que leur prochain jeu ne serait pas pensé comme un GaaS. "Pas d'arnaque, vous aurez ce que vous avez payé. Pas de conneries (...) nous laissons la cupidité aux autres", ont-ils tweeté mi-novembre.
.@PrettyBadTweets Worry not. When thinking CP2077, think nothing less than TW3 — huge single player, open world, story-driven RPG. No hidden catch, you get what you pay for — no bullshit, just honest gaming like with Wild Hunt. We leave greed to others.
— CD PROJEKT RED (@CDPROJEKTRED) 19 novembre 2017
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