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Clientélisme, projets pharaoniques : les régions espagnoles et italiennes coulées par la crise

Après Valence, la Catalogne pourrait demander l'aide de l'Etat espagnol. Même chose en Italie pour la Sicile. Comment l'Espagne et l'Italie font-elles face à la menace de faillite de leurs collectivités locales ? Tour d'horizon.

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
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Le musée des sciences de la Cité des arts et des sciences de Valence (Espagne) qui a coûté plus d'un milliard d’euros. (GUILLAUME JIOUX / HEMIS.FR / AFP)

Après Valence, c'est la Catalogne qui pourrait à son tour réclamer l'aide financière du gouvernement. "La situation des régions, qui paraissait sous contrôle en début d'année, s'est donc détériorée" et "sur les dix-sept régions espagnoles, près de six demanderaient l'aide de l'Etat", a estimé mardi 24 juillet Cyril Regnat, analyste chez Natixis. En Italie, c'est la Sicile qui est au bord de la faillite. 

Pour Rome et Madrid, qui font déjà face à de grosses difficultés, il y a un nouveau problème à gérer : certaines régions sont financièrement asphyxiées. Comment font l'Espagne et l'Italie face à la menace de banqueroute de leurs localités autonomes, souvent accusées de clientélisme et de gaspillage ? Tour d'horizon.

• En Espagne, moins d'autonomie contre un soutien financier 

Ce qui pose problème. Les deux points noirs qui fragilisent l'Espagne sont ses banques et ses régions. Ces dernières avaient largement profité de la bulle immobilière jusqu'en 2008. Avec son explosion, les recettes des communautés autonomes espagnoles ont baissé. Résultat : elles sont endettées à hauteur de 145 milliards d'euros, soit 20% de la dette publique espagnole. 

Avant 2008, pendant les "années champagne", les régions ont été ultra dépensières, raconte Libération. Dépenses inutiles, corruption et folie des grandeurs, durant cette période d'intense spéculation immobilière, les régions ont développé des "délires pharaoniques", dénonce Rue89, raillant les nombreuses cités qui ont vu le jour : "De la justice, de la culture, des sciences et des arts, etc.". L'exemple le plus emblématique de ces projets reste l'aéroport de Castellon, dans la région de Valence. Flambant neuf, inauguré en mai 2011, il n'a jamais accueilli un seul avion.

Les conséquences. Les communautés ont essayé de faire appel à l'épargne de leurs habitants, via des bons patriotiques, en vain. De nouveaux impôts ont été créés mais rien n'y a fait. Un fonds de liquidité régional a donc été mis en place par le gouvernement, doté de 18 milliards d'euros. Selon Les Echos, qui citent des chiffres des économistes espagnols, les besoins de financement des 17 régions espagnoles se chiffrent à 37 milliards d'euros pour l'ensemble de l'année. Après Valence et la Catalogne, on redoute un effet domino. La région de Murcie a prévenu qu'elle ferait bientôt appel au fonds de liquidité régional, l’Andalousie, l’Estrémadure et Castille-La Manche sont aussi intéressées, comme le rapporte Libération

Et pour avoir accès à ce fonds d'urgence, les régions vont céder un peu de leur indépendance. Car les dirigeants des communautés autonomes espagnoles gèrent de lourds budgets dans des domaines majeurs (éducation, santé, fiscalité...) et ils bénéficient d'une large autonomie qu'ils protègent jalousement. Le plan prévoit un contrôle étroit des budgets par l'Etat et une "transparence absolue" vis-à-vis de Madrid. De sévères coupes dans l'éducation et la santé sont aussi exigées pour atteindre un déficit public de 0,7% d'ici la fin 2013. Les Baléares, les Canaries et le Pays basque, qui souhaitent conserver leur autonomie, ont déjà fait savoir que le plan d'aide ne les intéressait pas.

Autre problème : les doublons. "Les communautés auto­nomes ont créé des administrations clones, explique au Figaro Josep Maria Gay de Liébana, professeur d'économie. Elles devraient revoir leur développement. Mais le pouvoir central devrait lui aussi réfléchir. Pourquoi conserve-t-on, par exemple, un ministère de la Culture, alors que l'État a cédé la gestion de ce domaine aux régions ?" Reste que chaque communauté cultive son particularisme régional et l'attachement aux régions en Espagne est très fort. 

• En Italie, Monti fait tomber la tête du gouverneur de Sicile

Ce qui pose problème. Avec une dette colossale (1 900 milliards d'euros, soit environ 120% de son PIB), l'Italie a énormément de mal à emprunter à des taux raisonnables, tout comme l'Espagne. Mario Monti, économiste et président du Conseil italien depuis novembre 2011, conduit une politique de rigueur et vient de faire plier le gouverneur de Sicile. L'île est l'une des cinq régions à statut spécial d'Italie qui bénéficie d'une plus grande autonomie financière. La Sicile attirait tous les regards : les rumeurs de faillites se sont multipliées alors que l'île est confrontée à de gros problèmes de liquidités et un déficit de 5,3 milliards d'euros. "Il n'y a aucun risque de défaut, bien qu'il y ait une situation économique très sérieuse sur l'île, comme dans d'autres régions", a précisé lundi 23 juillet la ministre de l'Intérieur. Le même jour, l'agence de notation Standard & Poor's a suspendu sa notation de la Sicile en raison d'un "manque d'informations suffisantes (...) pour évaluer la solvabilité de la Sicile".

Raffaele Lombardo, le gouverneur de la Sicile est régulièrement accusé de clientélisme et de collusion avec la mafia. L'île est souvent pointée du doigt pour ses passe-droits, ses gaspillages et l'opacité de ses finances. "La Sicile est la Grèce de l'Italie", a déclaré le maire de Palerme, comme le rapporte Le Monde. Sur l'île, les salaires des fonctionnaires ont augmenté de 38% entre 2004 et 2008, selon Le Figaro. Des fonctionnaires dont le nombre a été largement augmenté par Raffaele Lombardo lors de son mandat, portant leur nombre à 17 995, contre 3 200 par exemple dans le Piémont, explique Le Monde.

Les conséquences. Le 24 juillet, Mario Monti a finalement obtenu la tête de Raffaele Lombardo qui s'est engagé à démissionner pour le 31 juillet. De nouvelles élections seront organisées. Et le président du Conseil italien va quasiment placer sous tutelle l'île, auparavant très autonome. Le gouvernement débloque 400 millions d'euros en urgence pour la Sicile en échange d'un plan de rigueur drastique avec un calendrier d'objectifs concernant notamment la réduction du nombre de fonctionnaires.

Au-delà du cas sicilien, il s'agissait de montrer l'exemple car le gouvernement de Mario Monti craint une contagion. "Hormis la Lombardie et de la Toscane, riches et bien gérées, toutes les autres régions italiennes présentent des motifs d'inquiétudes", explique Le Figaro. Des villes comme Naples ou Palerme pourraient aussi pâtir d'une gestion douteuse, selon le quotidien économique italien Il Sole 24 Ore. 

Et le dernier plan d'austérité adopté début juillet prévoit aussi d'importantes coupes dans les subventions aux collectivités. Des chevauchements dans l'administration locale sont supprimés. Education, santé, justice, tous les secteurs sont touchés. Les provinces (équivalent de nos départements) seront confrontées à des coupes budgétaires de 500 millions d'euros cette année et d'un milliard d'euros en 2013. Rome prévoit également de faire disparaître 50 provinces sur les 110 que compte le pays. Mais déjà l'association des provinces italiennes a prévenu, lundi 23 juillet : les écoles pourraient ne pas être en mesure de rouvrir leurs portes après les vacances d'été si les dernières coupes budgétaires du gouvernement sont mises en œuvre...

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