Coupe du monde de football : "Ce sont celles qui ont le plus progressé"… Comment les gardiennes ont gommé une partie de leur "immense retard"
Leurs performances sont scrutées, décortiquées, et souvent critiquées. Lors de la phase de poules de cette Coupe du monde, de nombreuses gardiennes, à l'image de l'Anglaise Mary Earps ou de la Nigériane Chiamaka Nnadozie, ont permis à leur équipe d'inscrire des points décisifs pour la qualification. À l’inverse, certaines d'entre elles ont failli, comme lors de chaque grande compétition.
Dernière en date, la Panaméenne Yenith Bailey, qui a encaissé six buts face à l'équipe de France, mercredi. "Sur tous les ballons frappés de Selma Bacha, notamment sur les corners, elle était trop proche de sa ligne de but et elle n'influençait pas suffisamment la zone cible que cherchait la Lyonnaise. A mon avis, c'est encore une formation de la vieille école", estime Pierre-Henry Coulon.
Les entraîneurs spécialisés en renfort
Cette "vieille école" dont parle le coach des gardiennes pour l'En Avant Guingamp en D1 Arkema, correspond à une période pas si lointaine, où les joueuses gantées n'étaient pas suffisamment suivies en club. "Le niveau d'accompagnement et la prise en considération du poste étaient tellement faibles avant, qu'il y a eu un immense retard de développement par rapport aux joueuses de champ. Aujourd'hui, il y a toujours un petit retard, mais les gardiennes sont les joueuses dont le niveau a le plus progressé ces dernières années", estime le Breton d'adoption de 27 ans.
En Europe, le niveau global s'améliore depuis peu grâce à la nomination d'entraîneurs spécialisés. "On est plus encadrées qu’il y a dix ans où il n’y avait pas toujours de coachs dédiés pour les gardiennes. Quand tu fais des entraînements ciblés, forcément tu t’améliores", notait, en début de Mondial, Solène Durand, numéro 3 dans la hiérarchie chez les Bleues.
Un constat partagé par Laëtitia Philippe, gardienne du Havre : "Grâce à eux, on travaille à chaque instant, y compris à l’échauffement. Sans spécialiste, on va s'échauffer entre nous, mais il n'y aura pas d'intensité", résume la consultante France Télévisions. Si elle a fait partie de ces privilégiées qui ont régulièrement été supervisées par des professionnels, elle se rappelle également de phases délicates.
“Il y a cinq ans à Rodez, la personne qui nous aidait n’avait pas de diplôme, elle n’était là qu'une fois dans la semaine et partait au bout de 45 minutes.”
Laëtitia Philippe, gardienne au Havre et consultante France Télévisionsà franceinfo: sport
En France, dans la lignée des autres grands championnats, quasiment toutes les sections féminines de l'élite se sont dotées d'entraîneurs spécifiques. "L'idée, c'est que les gardiennes puissent acquérir un bagage technique plus tôt dans leur carrière afin de développer plus vite le reste, notamment au niveau tactique", détaille Bérangère Sapowicz, gardienne des Bleues de 2003 à 2011 (23 sélections), désormais responsable du poste pour le club du Havre.
Jeu au pied et communication, deux axes prioritaires
Parmi les principaux axes de progression sur lesquels l'apport des entraîneurs est primordial, le jeu au pied. "Avant, on était moins utilisées dans ce registre. Cela a changé il y a 5-6 saisons, relate Laëtitia Philippe. Depuis, on est considérées comme des joueuses de champ à part entière. Ce n'est plus la vision du 10+1. Concrètement, on nous demande de venir s'intercaler entre les deux centrales pour laisser les latérales monter un peu plus".
"Le jeu au pied, il faut qu'il soit propre, précis et efficace. C'est devenu une qualité quasiment plus importante que les caractéristiques classiques du poste de gardienne."
Bérangère Sapowicz, ex-internationale reconvertie coach des gardiennesà franceinfo: sport
Le développement de ce compartiment de jeu permet ainsi d'offrir de nouvelles options aux équipes. "En fonction des idées du coach et des adversaires, on ne prépare pas les matchs de la même manière. Contre Guingamp par exemple, l'équipe va travailler d'une manière totalement différente que face à Lyon. Avec un bloc plus haut, mon rôle est de conditionner ma gardienne à évoluer plus loin de son but et à couvrir la profondeur", explique Bérangère Sapowicz.
Mais le travail de l'entraîneur spécialisé ne s'arrête pas là. La communication avec les autres joueuses de champ est déterminante. "Parler pour quoi ? À qui ? Avec quelle intonation ?" Des questions sur lesquelles Pierre-Henry Coulon tente d'apporter des clés à ses protégées dans les Côtes-d'Armor. "Si la gardienne communique avec une voix monotone, ses coéquipières vont s'habituer à entendre un bruit blanc pendant le match. Ce ne sera plus efficace." Un aspect que ces joueuses ne pouvaient pas travailler à une période où elles s'entraînaient seules, sans quelqu'un pour les guider.
Un déficit de taille encore difficile à gommer
Malgré cette dynamique, des erreurs demeurent, comme chez les hommes. Sur le troisième but du Panama, la numéro 1 française, Pauline Peyraud-Magnin, s'est rendue coupable d'une hésitation fatale au moment de sortir boxer un ballon dans sa surface. La faute à "des appuis parasites vers l'avant avant de reculer", selon Pierre-Henry Coulon.
"Pour le jeu aérien, ça reste compliqué car on n'a pas le même gabarit que les hommes, confirme Bérangère Sapowicz, alors que la taille des cages ne varie pas. À partir de là, c'est difficile de s'imposer dans les airs. Mais c'est aussi une particularité qu'ont les femmes de ne pas aller trop se frotter là-haut et plutôt d'attendre de miser sur leurs réflexes devant la ligne".
"Pour compenser, les profils de gardiennes ciblés par les clubs sont des joueuses assez grandes pour défendre un maximum d'espace, ne serait-ce que pour tendre le bras, avoir une amplitude", reconnaît Pierre-Henry Coulon en citant pour exemple la portière chilienne de l'OL Christiane Endler (1m83). Mais cela ne signifie pas pour autant que les plus petites n'ont pas les moyens de s'illustrer.
Actuellement dans la "moyenne basse" du haut de son mètre 73, Laëtitia Philippe l'entend : "Physiologiquement, on ne peut rien y faire, nous sommes moins puissantes et on saute moins haut". L'essentiel pour elle est de miser sur sa lecture des trajectoires mais également sur l'art du placement, enseigné par le coach spécialiste.
"Par notre placement, on peut influencer les mouvements de la milieu de terrain adverse ou de celle qui fera le centre. Il faut toujours avoir un temps d'avance."
Bérangère Sapowicz, ex-internationale reconvertie coach des gardiennesà franceinfo: sport
Pierre-Henry Coulon insiste, lui, sur l'orientation des épaules. Ainsi, lorsque le ballon est au niveau du rond central, le technicien demande à ses disciples "qu'elles aient les pieds décalés pour gérer la profondeur et être en pré-action pour intervenir." Mais à ce poste, "l'impair se voit forcément plus", comme le souligne Laëtitia Philippe, dont la pire boulette remonte à un Issy-Lyon. Ce jour-là elle avait laissé échapper une tête rhôdanienne simple à gérer dans ses propres filets. "Nous, on va avoir trois ou quatre situations à négocier par match. Si on fait une bêtise, on a le temps de gamberger alors qu’une joueuse de champ aura déjà touché de nouveaux ballons en deux minutes pour oublier son erreur", rappelle Bérangère Sapowicz.
Une pression supplémentaire à prendre en compte pour les gardiennes. Raison pour laquelle, l'influence du coach spécifique s'étend généralement au mental. "Il faut que s'installe une relation de confiance. C'est la personne que l'on voit le plus. L'entraîneur doit savoir comment parler à ses gardiennes, comment elles réagissent et la meilleure façon de lire en elles afin de les aider au mieux psychologiquement", juge Laëtitia Philippe.
Passer un nouveau cap
Si le travail de supervision est un véritable plus pour le métier, des éléments demeurent perfectibles dans la panoplie des gardiennes. Bérangère Sapowicz estime ainsi que susciter l'intérêt des jeunes est nécessaire pour que le niveau ne cesse d'augmenter. "Les clubs amateurs sont toujours en pénurie à l'heure actuelle car personne ne veut aller dans les cages. C'est compréhensible : dans les buts, on ne s'amuse pas forcément tout le temps. Parfois on s'ennuie, on prend un but et les autres vont nous crier dessus..."
Laëtitia Philippe a, elle, enfilé les gants car "il manquait un joueur". Pour elle, une nouvelle évolution majeure passera avant tout par une meilleure médiatisation : "Nous ne sommes pas autant mises en avant par les clubs et les sélections sur les réseaux sociaux. Cela serait à mon sens un bon moyen de vendre le poste aux plus jeunes", préconise-t-elle, rejoignant son aînée sur le fait qu'il faille accroître le nombre de licenciés pour disposer d'un vivier plus fourni.
A partir de la saison prochaine, les clubs de D1 Arkema doivent se doter de centres de formation dans le cadre de la professionnalisation du championnat annoncée en mars dernier. De quoi imaginer un impact positif de plus dans la formation des futurs murs de la sélection.
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