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Mondial : la colère des Brésiliens expliquée en trois graphiques

A la veille du coup d'envoi de la Coupe du monde, francetv info revient sur les raisons des mouvements sociaux qui secouent le pays depuis plusieurs mois.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un manifestant à Rio de Janeiro (Brésil), le 17 juin 2013. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

N'en déplaise à Michel Platini, le Brésil n'a pas vraiment le sourire. A la veille du coup d'envoi de la Coupe du monde, le pays organisateur est secoué depuis plus d'un an par des mouvements sociaux à répétition dont la grève du métro de Sao Paulo, suspendue mardi 10 juin, n'est que le dernier avatar.

Explosion des prix, hausse des loyers, morts sur les chantiers... Francetv info revient en chiffres et en graphiques sur les raisons de la colère des Brésiliens.

Une flambée des prix

Le constat est implacable. Depuis 2005, selon les chiffres de l'Institut brésilien de géographie et de statistiques, les prix ont augmenté de 55% au Brésil, particulièrement ceux des transports publics et du logement. C'est d'ailleurs la hausse du ticket de bus à Sao Paulo qui a déclenché les premières manifestations en juin 2013, autour du mouvement Passage libre, partisan de la gratuité des transports. Ces dernières semaines, le Mouvement des travailleurs sans toits (MTST) a pris le relais, organisant un campement sauvage à Sao Paulo, baptisé "la coupe du peuple".

Pourquoi une telle inflation ? Au Brésil, "le salaire minimum est indexé sur la croissance et l'inflation", rappelle Juan-Carlos Rodado, économiste chez Natixis, contacté par francetv info. C'est un cercle vicieux : lorsque ces deux données augmentent, le salaire minimum suit, ce qui a pour effet de faire grimper les coûts de production, et donc les prix. Autre facteur de hausse, l'augmentation de la dépense publique, dopée par l'organisation du Mondial et des Jeux olympiques 2016, mais également par "la politique de subvention de l'industrie du nouveau gouvernement", observe Cristina Terra, économiste brésilienne à l'université de Cergy-Pontoise (Val-d'Oise), contactée par francetv info.

Or, pour les millions de Brésiliens qui ont profité de la croissance durant la présidence de Lula, entre 2003 et 2011, pour sortir de la pauvreté, l'augmentation des prix est dure à digérer. "Ils ont peur pour l'avenir, ils ne veulent pas revenir en arrière", constate Cristina Terra. Une inquiétude d'autant plus forte que le Brésil est dans une situation économique délicate, après des années de forte croissance. "L'inflation est le reflet de la fragilité du Brésil", estime Juan-Carlos Rodado. Selon lui, le pays souffre d'un manque de compétitivité, avec des coûts salariaux importants, de faibles infrastructures, une monnaie qui s'est appréciée et un budget déficitaire.

Et la Coupe du monde ne devrait pas sortir le pays de l'ornière. "Normalement, un Mondial entraîne une augmentation de l'investissement et un surplus de consommation, rappelle Juan-Carlos Rodado. Mais l'économie brésilienne est tellement faible qu'elle devrait afficher une croissance négative au deuxième trimestre 2014, malgré cette compétition internationale."

Une Coupe du monde trop coûteuse

Autre motif de colère pour les Brésiliens, le coût pharaonique de l'événement comparé aux précédentes éditions. Selon une estimation de l'agence AP (en anglais), la Coupe du monde brésilienne va coûter, au total, 10,3 milliards d'euros, soit presque trois fois plus que l'édition allemande en 2006 (en anglais) et près de quatre fois plus que le Mondial sud-africain de 2010 (en anglais).

Principale accusée : la corruption. "C'est un des facteurs qui explique cette envolée des coûts, comme pour les Jeux olympiques de Sotchi [Russie], observe Juan-Carlos Rodado. Il y a des commissions à tous les niveaux : choix des projets, fournisseurs..."

Pour ne rien arranger, cette débauche de moyens tranche avec l'état déplorable du pays. "Tous les services publics sont de mauvaise qualité", observe Cristina Tella. Une situation que les Brésiliens, de plus en plus éduqués, acceptent de moins en moins. "D'un côté, ils payent des impôts et souhaitent quelque chose de mieux en retour. De l'autre, ils voient que le gouvernement dépense des sommes énormes pour le Mondial", poursuit l'économiste. 

Et la plupart des Brésiliens ne pourront même pas se consoler en allant au stade durant la compétition. Car, si la Fifa a consenti à mettre en vente des places à tarif réduit pour les supporters locaux, le pack proposé pour suivre la sélection auriverde jusqu'en finale coûte deux fois le salaire mensuel moyen brésilien.

Un bilan humain important

Les manifestants brésiliens dénoncent également le coût humain de la préparation du tournoi. Selon le Jornal do Brasil, cité par Courrier International, neuf ouvriers sont morts pendant la rénovation et la construction des stades. Et près de 250 000 personnes ont été déplacées pour construire les infrastructures nécessaires à la compétition.

Enfin, l'instauration de mesures spéciales pour limiter les protestations pendant le tournoi passe mal. La liberté de s'exprimer "est menacée par une série de lois contre le droit de manifester et par la recrudescence de forces policières", expliquent des manifestants au Jornal do Brasil.

A quelques mois de l'élection présidentielle, qui doit se dérouler en octobre, "l'enjeu de la Coupe du monde est crucial, rappelle Juan-Carlos Rodado. Si le Brésil est rapidement éliminé ou si l'organisation est chaotique, cela peut exacerber un mécontentement social déjà très fort. C'est un environnement très explosif".

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