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Au Brésil, qui veut pourrir la Coupe du monde rêvée de Michel Platini ?

Classes moyennes, sans-abris, opposants ou anarchistes, ils entendent perturber la tenue de cet évènement planétaire. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Un manifestant porte une pancarte "Fifa, rentre chez toi" dans une manifestation, à Sao Paulo, au Brésil, jeudi 22 mai 2014.  (AMAURI NEHN / BRAZIL PHOTO PRESS / AFP)

"Fifa Go Home !" "Copa Para Quem ?" "Não vai ter copa !" Depuis un an, des millions de Brésiliens envahissent régulièrement la rue. "Fifa, rentre chez toi", "Pour qui est cette Coupe du monde ?", "La Coupe du monde n'aura pas lieu", scandent-ils, alors que le coup d'envoi de la grand-messe footballistique mondiale est attendu le 12 juin. 

"Le Brésil, faites un effort pendant un mois, calmez-vous !", a demandé fin avril le président de l'UEFA , Michel Platini. Pas sûr que les Brésiliens en colère répondent favorablement à cette (très) maladroite requête. Alors que de nouvelles manifestations sont prévues samedi, précédées d'occupations de lieux publics, rapportent des journalistes sur place, vendredi 23 mai, francetv info tente d'identifier les "anti-Mondial" et leurs revendications. 

Une partie de la classe moyenne

Face aux images d'émeutes parties de Sao Paulo en juin 2013, le téléspectateur occidental incrimine à tort les favelas pauvres, décrites comme des coupe-gorges, "pacifiées" de force à coups d'interventions militaires."On pense classe dangereuse, minoritaire, mais en fait, c'est la classe moyenne éduquée qui n'a pas de travail, qui n'a pas de transports [et réclament des hôpitaux], qui manifestent", explique l'essayiste Sébastien Lapaque, invité à la mi-mai de l'émission "Ce soir où jamais", sur France 2. Système de santé défaillant, manque de moyens dans l'éducation, et transports sous-performants alimentent la colère, alors que la croissance ralentit, que la situation économique se dégrade, affectant le pouvoir d'achat de cette classe moyenne brésilienne.

Face à un Etat capable de dépenser des milliards pour construire 11 stades (12 avec la restauration du Maracana) tout en augmentant le prix du ticket de métro et de bus (de 3 à 3,20 réaux, soit 1,05 à 1,12 euro), le Mouvement passage libre (MPL), pour la gratuité des transports, à la base étudiant, s'étend et cristallise les frustrations sur le Mondial.

"Moins de ballon, plus d'école", peut-on lire sur un maillot de l'équipe brésilienne tenu par un manifestant, le 20 juin 2013, à Recife (Brésil).  (RICARDO MORAES / REUTERS)
 

Ses revendications multiples ont été résumées en une image. La fresque murale, signée du street artist brésilien Paulo Ito, est devenue le symbole de la contestation : un enfant attablé pleure. Devant lui, une assiette dans laquelle est posé un ballon de foot. 

La fresque du "street artist" Paulo Ito, dans une rue de Sao Paulo, au Brésil, le 22 mai 2014.  (NACHO DOCE / REUTERS)

Mais aussi les plus modestes

"Je ne veux pas d'une Coupe du monde au Brésil, je veux un toit." C'est l'un des slogans du Mouvement des travailleurs sans toit (MTST). Rien qu'à Sao Paulo, où il a encore manifesté vendredi, il représente 4 000 familles vivant dans un vaste campement de tentes rebaptisé "Coupe du peuple". Toutes disent avoir été contraintes de quitter leur quartier en raison de la hausse des loyers provoquée par la construction du nouveau stade de la ville. 

Une famille pose dans le camp du Mouvement des travailleurs sans toit (MTST), à Sao Paulo (Brésil), le 15 mai 2014. (NACHO DOCE / REUTERS )
 

Au total, 250 000 personnes ont dû quitter leur logement à travers le pays. Parmi eux, Jérôme Sebastião de Oliveira , 72 ans, résident de Camaragibe , la région métropolitaine de Recife. A la BBC (en brésilien), il explique que sa maison a été rasée pour permettre la construction de nouvelles routes d'accès au stade. Il a été indemnisé, mais assure "ne pas avoir reçu la moitié de la valeur [du bien]. Maintenant, il est impossible de se reloger". Pour expliquer ces couacs, le gouvernement de la province se défend en pointant la situation parfois irrégulière ou confuse de ces ex-propriétaires.

Même Batman

Dans la vie de tous les jours, Eron Morais de Melo, 32 ans, est prothésiste dentaire. Mais depuis que le Brésil vit au rythme des manifestations, il a enfilé la tenue du justicier de Gotham City : Batman. "Il y a d'autres priorités [que le football]", explique-t-il au JDD. "On est dans une dictature travestie en démocratie. La vraie Seleção [l'équipe nationale], c'est celle qui est dans la rue, pas celle qui se bat pour une coupe en or." Hostile au gouvernement, il est apparu à l'été 2013. 

Des enfants de la favela de Metrô-Mangueira, à Rio de Janeiro (Brésil), posent avec Eron Morais de Melo, un militant déguisé en Batman, qui proteste contre la destruction de maisons dans le cadre des travaux de la Coupe du monde de football, le 9 janvier 2014.  (YASUYOSHI CHIBA / AFP)

Mais depuis quelques mois, Batman ne fréquente plus les manifestations, explique  l'AFP (en anglais). Face à la montée de la contestation, les autorités ont instauré une loi verbalisant les personnes portant un masque pendant les manifestations. Une mesure parmi tant d'autres, s'indigne l'universitaire Marc Perelman, auteur du Sport barbare, dans une tribune. Invité de l'émission "Ce soir ou jamais", il dénonce une Coupe du monde qui se fait "contre les Brésiliens", fustigeant de nouvelles lois liberticides, ainsi que la création d'un "tribunal d'exception" pendant la durée de l'événement, pour juger "des manifestants qui seront considérés comme des terroristes". 

Ainsi que les "vrais" policiers 

Eux sont face aux manifestants, mais ne sont pas moins mécontents à l'approche du Mondial. Les policiers ont fait grève mercredi pour dénoncer leurs conditions de travail, et réclamer une augmentation de salaire, explique la BBC (en anglais). Ils craignent notamment de ne pouvoir assurer la sécurité des grandes villes qui accueillent les matchs, faute de moyens. La semaine précédente, les forces responsables du maintien de l'ordre s'étaient en partie arrêtées de travailler dans l'Etat de Pernambouc, poussant les officiels à rappeler des effectifs mobilisables en cas de grève pendant la Coupe du monde. 

 

Le 28 avril 2014, à Manaus, capitale de l'État de l'Amazonas, des policiers grévistes ont déployé une banderole : "Fifa, où sont les 15 000 policiers pour assurer la sécurité pendant la Coupe du monde".  (REUTERS )

Et des ONG internationales 

Rio de Paz, Amnesty International, Human Rights Watch, etc. De nombreuses ONG dénoncent les dérives engendrées par la tenue du Mondial en terre de football. Parmi les organisations qui appellent à manifester figurent notamment les Comités populaires de la Coupe, qui s'opposent aux entraves aux droits de l'homme dans l'organisation du Mondial.

Pour Human Rights Watch (en anglais), les libertés d'expression et de rassemblement sont menacées par les lois "draconiennes" présentées au Parlement afin d'encadrer les manifestations. Elle dénonce les violences policières, ainsi que les expulsions forcées et les conditions de travail des employés du bâtiment engagés pour terminer à la hâte les infrastructures. En avril, Courrier International rapportait la mort de 8 ouvriers, dont 4 lors de la construction du stade de Sao Paulo.

Tout aussi alarmant, Slate.fr rapportait fin avril que le Centre national de défense des droits de l’homme s'inquiétait "d'un possible 'nettoyage social' en vue du mondial à Rio de Janeiro, alors que 195 assassinats de sans-abris ont été répertoriés dans les 15 derniers mois. La majorité [des victimes] a été brûlée par des personnes anonymes", écrivait le site. 

Des opposants politiques de Dilma Rousseff

Les ratés de l'organisation galvanisent les opposants au Parti des travailleurs, celui de la présidente Dilma Rousseff. "Certains d'entre eux ont l'air de vouloir l'échec de la Coupe du monde, comme s'ils avaient besoin de cela pour avoir leur chance lors du [prochain] scrutin"note son prédécesseur, l'ancien président Lula, les accusant de colporter, via une puissante presse d'opposition, de fausses informations. 

Dès le début de la mobilisation, l'universitaire brésilienne Teresa Cristina Schneider Marques notait que, parmi les "anti", un mouvement né à gauche, figuraient notamment "des personnes qui se concentrent sur une opposition à Dilma". 

Sans oublier les anarchistes et les "black blocs"

"Pour commencer, nous avons fait un appel anonyme sur le vol JJ8011 de la TAM Airlines en partance de Buenos Aires à destination de Sao Paulo, avertissant [de la présence] d’un engin explosif dans le but de saboter le flux normal des touristes qui arrivent dans la région dominée par le gouvernement brésilien" : dans cet appel à l'action relayé entre autres par un blog de Mediapart, la Cellule de solidarité internationale prône sabotages et autres "attaques contre (...) cette coupe du monde de merde."

Au Brésil, AM, qui se présente comme un "black bloc" (des militants, pour la plupart anarchistes, vêtus de noir et qualifiés de "casseurs" pour leurs méthodes consistant à engager le combat avec les forces de l'ordre), prédit sur le site Globalpost (en anglais)"Il y aura un mur policier et il y aura des affrontements." Et d'ajouter : "Les personnes dans le stade seront en état de siège". Largement de quoi gâcher cette "fête du football" promise par le gouvernement brésilien et la Fifa.

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