Hollande, De Gaulle, Frank Underwood... quel politique se cache derrière Michel Platini ?
"Politicien comme les autres", le président de l'UEFA se sent investi d'une mission, il croit en son destin, il calcule pour arriver à ses fins. Et il déçoit, aussi.
"Platini a été un grand joueur, c'est un grand monsieur du football, mais, aujourd'hui, c'est un politicien comme les autres", a déclaré Eric Cantona, mardi 20 mai, dans Le Parisien (article payant). Entre la déception du fair-play financier, l'attribution du Mondial 2022 au Qatar, la petite phrase méprisante sur les Brésiliens pour leur demander de mettre leurs luttes sociales en veilleuse pendant la Coupe du monde et les intrigues de palais pour déloger Sepp Blatter de son trône à la Fifa, Michel Platini ressemble en effet de plus en plus à un homme politique. Oui, mais auquel ?
Comme le général de Gaulle, il se sent investi d'une mission
Quand il arrête sa carrière et quitte la Juventus de Turin, en mai 1987, Michel Platini ne sait pas quelle orientation donner à sa carrière. Il y a bien un projet d'émission télé sur TF1, où il aurait interviewé des célébrités, façon Bernard Tapie dans "Ambitions". Un concours de circonstances et un fort lobbying de ses amis journalistes va l'amener à la tête de l'équipe de France, en 1988. "Michel Platini a toujours eu en lui l'appel du drapeau", explique Jean-Philippe Leclaire, auteur du livre Platini, le roman d'un joueur, contacté par francetv info. "C'est quelqu'un d'assez cocardier, et il s'est senti rattrapé par le fait qu'il s'appelle Michel Platini. Il a le sentiment d'avoir un destin. C'est pour cela qu'il s'est lancé à la tête de la sélection, puis à la coprésidence du comité d'organisation de France 98, avant de briguer la tête de l'UEFA."
Aux amoureux du ballon rond, il n'a pas déclaré "je vous ai compris" lors de sa campagne pour devenir président du football européen, mais "le football aux footballeurs". Avec la même méfiance pour le grand capital que le général de Gaulle, comme dans cette interview au Guardian (en anglais) : "Notre rôle, c'est celui de gardien du football européen, pour le protéger contre le business." Et Platini de faire preuve du même sens du bien commun que l'ex-chef d'Etat français : "Toutes les décisions que je prends, c'est pour le bien du football", dit-il.
Faux modeste, Michel Platini nie farouchement être dévoré d'ambition. Dans une récente interview aux Inrocks, il plaide même le concours de circonstances : "Grâce à la Coupe du monde, j’ai rencontré Sepp Blatter qui m’a demandé de l’aider à devenir président de la Fifa. Je suis devenu membre du comité exécutif de l’UEFA, puis de la Fifa. Ça m’est un peu tombé dessus, mais j’ai fini par le souhaiter. C’est mon destin."
Comme Frank Underwood, il a un coup d'avance
Le héros de la série House Of Cards déploie toutes les manipulations possibles et imaginables pour arriver à ses fins : devenir président des Etats-Unis. Michel Platini n'en est pas là, mais quelques anecdotes révèlent son appétit pour le pouvoir. Son intronisation à la coprésidence du comité d'organisation de la Coupe du monde 1998 n'allait pas de soi. "Au départ, on lui proposait un rôle d'ambassadeur. En gros, de couper des rubans, se souvient Jean-Philippe Leclaire. Il n'en a pas voulu. Pour lui, c'était coprésident ou rien, mais le président de la Fédération française de football de l'époque, Fernand Sastre, n'avait pas envie de partager le pouvoir." Et le journaliste sportif de continuer : "C'est finalement Mitterrand qui a débloqué la situation. Alors que Platini et Sastre déjeunaient au restaurant Le Dôme, à Paris, Mitterrand débarque à l'improviste et lâche : 'Vous deux, vous allez bien vous entendre.' Sastre a alors compris qu'il n'avait pas vraiment le choix."
Une fois la Coupe du monde organisée, Michel Platini décide de ne pas en rester là. Alors qu'il joue au golf à Singapour, avec des hommes d'affaires et des pontes du football, il confie à Sepp Blatter, alors numéro deux de la Fifa, son ambition de se porter candidat à la présidence de l'institution, raconte le livre Président Platini (éditions Grasset). Le Suisse, dont les dents rayent le parquet depuis longtemps, le recadre : "Je veux devenir président de la Fifa et je veux que tu sois ma conscience footballistique." Platini, sagement, se range dans l'ombre de Blatter. Une décision qu'il n'aura pas à regretter, à en croire un connaisseur des rouages de la Fifa, interrogé dans Président Platini : "Il a compris les mécanismes. (...) Il a compris de quelle manière il pouvait être aidé dans ses manœuvres." Comme Frank Underwood.
Bonus pour les fans de House Of Cards : dans la série, le héros côtoie et flirte dangereusement avec le mystérieux Remy Danton, un représentant du lobby énergétique. Un homme d'affaires tout aussi méconnu grenouille dans l'entourage de Michel Platini, relevait Der Spiegel en 2012 : il s'agit de Marios Lefkaritis. Lequel est d'ailleurs entré au comité directeur de l'UEFA après l'élection du Français à sa présidence.
Comme François Hollande, il n'y a que lui qui y croyait
Un candidat à qui personne ne donne aucune chance quelques mois avant l'élection et qui finit par décrocher le Graal, ça ne vous rappelle rien ? Michel Platini a été dans la même position que François Hollande. A quelques mois de l'élection pour la tête de l'UEFA, en 2007, personne ne lui donne une chance face au candidat de l'establishment, le Suédois Lennart Johansson.
Le Français multiplie les déplacements, y compris au fin fond de la Transnistrie, une république autonome en Moldavie. Jean-Philippe Leclaire le suit lors d'un déplacement en Europe de l'Est. "Je lui demande : 'Vous vous présentez, mais en fait, c'est pour être prêt le coup d'après ?' Il me répond : 'Ah non, c'est pour cette fois.' A l'époque, il n'y avait que lui qui y croyait."
La ressemblance avec François Hollande ne s'arrête pas là. "Il a conservé son côté bonhomme, blagueur, 'je te tape dans le dos', et il est à toi à moi avec les journalistes", relève Olivier Cimelière, le patron de l'agence de communication Heuristik, contacté par francetv info. "Platini, c'est quelqu'un de décontracté, et qui a su garder son sens de la pirouette."
Comme Barack Obama, il a déçu après un fol espoir
"Pour moi, Michel Platini, c'est le Barack Obama du foot. Il a généré un immense espoir. C'était quelqu'un de différent par son parcours, son style", estime Jean-Philippe Leclaire. Dans une presse française particulièrement bienveillante, il est dépeint comme le chevalier blanc du foot, qui s'attaque aux coteries et aux lobbies. "En terme d'image, il a joué de son côté vertueux, renchérit Olivier Cimelière. Mais il a perdu en fraîcheur, en ouverture d'esprit en devenant un homme d'appareil. C'est le syndrome de ceux qui rentrent dans une institution, et adoptent les codes qu'ils dénonçaient."
Michel Platini n'est pas le seul. Prenez Guy Drut, champion olympique d'athlétisme sur 110 m haies, qui a raccroché les pointes en déclarant "j'abandonne le sport, il est pourri" en une de Paris Match et qui finit, quelques années plus tard, dans les arcanes du Comité international olympique.
Prochaine étape, la candidature à la tête de la Fifa ? Sepp Blatter, 78 ans, n'a pas encore fait connaître sa décision de se représenter ou pas à l'élection qui devrait avoir lieu en 2015. Les observateurs le donnent favori, face à un Platini qui joue lui aussi la montre. "Mais rappelez-vous, en 2007, on disait déjà qu'il n'avait aucune chance, s'amuse Jean-Philippe Leclaire. C'est quelqu'un qui prend beaucoup de temps pour réfléchir. Le Michel Platini politique, c'est le contraire du Platini joueur, qui prenait une décision en une fraction de seconde."
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