Droit d'auteur : la justice donne raison à l'artiste Maurizio Cattelan face au sculpteur Daniel Druet
Si le sculpteur français Daniel Druet a réalisé les sculptures en cire saisissantes de réalisme qu'il lui avait commandées, c'est l'artiste conceptuel italien Maurizio Cattelan qui les a imaginées et mises en scène. La justice a débouté le premier, qui revendiquait la paternité exclusive des oeuvres, dans un procès qui a mis le milieu de l'art contemporain en émoi.
Le milieu de l'art contemporain français a dû pousser un "ouf" de soulagement : le tribunal judiciaire de Paris a finalement tranché vendredi en faveur de l'artiste Maurizio Cattelan, dans le procès qui l'opposait au sculpteur Daniel Druet, qui avait réalisé des sculptures pour lui et s'estimait le véritable auteur des oeuvres.
Depuis quatre ans, le sculpteur français Daniel Druet, 80 ans, connu pour son travail pour le musée Grévin, bataillait contre l'artiste conceptuel italien Maurizio Cattelan, 61 ans. Entre 1999 et 2006, le premier a réalisé pour le second neuf personnages en cire saisissants de réalisme, dont plusieurs sont devenus emblématiques de l'oeuvre du provocateur Cattelan, en particulier le pape écrasé par une météorite (La Nona Ora, 1999) et un Adolf Hitler enfant, agenouillé en pénitence (Him, 2001).
Le procès interrogeait la notion même de création
Daniel Druet, qui avait été rémunéré correctement pour ses sculptures (mais sans commune mesure avec les sommes stratosphériques que valent aujourd'hui les oeuvres en question), avait demandé à plusieurs reprises à ce que son nom soit au moins cité dans les expositions de Cattelan. Exaspéré que cela ne soit pas le cas, y compris lors de l'exposition Not Afraid Of Love de Maurizio Cattelan à la Monnaie de Paris en 2016, au vernissage de laquelle il n'avait pas même été convié, le sculpteur avait décidé de prendre sa revanche en réclamant en justice la paternité exclusive des oeuvres.
En avril 2018, le Français assignait donc la galerie Perrotin devant le tribunal judiciaire de Paris pour violation de droit d’auteur et contrefaçon, ainsi que La Monnaie de Paris pour avoir exposé quatre de ses oeuvres sans mentionner son nom. Il entendait à cette occasion dénoncer "tous les artistes qui se servent du travail des autres pour se faire valoir". Ce procès a affolé pendant plusieurs semaines le milieu de l'art contemporain. Il interrogeait en effet la notion même de création. Qui est l'auteur ? Celui qui conceptualise l'oeuvre ou celui qui la réalise ? Le donneur d'ordre ou l'exécutant ?
Les plaidoiries de part et d'autre
"Quand on regarde le travail de ces oeuvres, il est incontestable qu'on a une expression artistique", alors que "M. Cattelan, de son propre aveu, est incapable de sculpter, est incapable de peindre, est incapable de dessiner", avait plaidé l'avocat du plaignant, Me Jean-Baptiste Bourgeois, lors de l'audience du 13 mai 2022.
"La réalisation matérielle de l'oeuvre passe au second plan par rapport à sa conception", avait défendu pour sa part l'avocat de M.Cattelan, Me Eric Andrieu. "M. Druet a un savoir-faire (...) mais ce savoir-faire ne donne aucun choix créatif parce que tout ce qu'il va faire c'est de suivre des instructions", et "des instructions d'une précision mathématique", avait-il ajouté. Ce que contestait Daniel Druet selon lequel les commandes passées étaient "vagues".
Le tribunal lui reproche de ne pas avoir assigné Cattelan
Le tribunal judiciaire de Paris ne l'a pas suivi. Les magistrats ont jugé vendredi qu’"il n’est (…) pas contesté que les directives précises de mise en scène des effigies de cire dans une configuration spécifique (...) n’ont émané que de [Maurizio Cattelan] seul, Daniel Druet n’étant nullement en mesure − ni du reste ne cherchant à le faire − de s’arroger la moindre participation aux choix relatifs au dispositif scénique de mise en situation desdites effigies (...) ou au contenu du message éventuel à véhiculer à travers cette mise en scène".
Le tribunal lui a surtout reproché de ne pas avoir intenté la procédure à l'origine contre l'artiste italien controversé, mais contre son représentant, la galerie Perrotin, et une institution ayant monté une exposition de ces oeuvres, la Monnaie de Paris. "Faute d'avoir assigné en personne Maurizio Cattelan, auteur présumé, (...) Daniel Druet doit être déclaré irrecevable en toutes ses demandes en contrefaçon de droits d'auteur", a estimé le tribunal.
L'avocat du plaignant envisage de faire appel
La défense a estimé que ce jugement ferait école. "Cette décision constitue une véritable jurisprudence en ce que, pour la première fois, les magistrats consacrent l'art conceptuel par une décision de principe", ont écrit dans un communiqué les avocats de la galerie Perrotin, Pierre-Yves Gautier et Pierre-Olivier Sur.
L'avocat du plaignant, Jean-Baptiste Bourgeois, a contesté cette interprétation. Dans ce jugement, "il n'y a pas une ligne sur le fond du dossier. C'est une fin de non-recevoir, pour une question de forme", a-t-il déclaré à l'AFP. "Forcément je regrette de ne pas avoir assigné Maurizio Cattelan au départ, mais je trouve la décision totalement infondée (...) Le même tribunal, la même chambre, en février 2020, certes dans une autre composition, avait reconnu recevables nos demandes", a-t-il rappelé.
Le tribunal judiciaire a condamné en outre Daniel Druet, qui réclamait 3 millions d'euros à la galerie Perrotin et 300 000 euros à la Monnaie de Paris, à rembourser 10 000 euros à la galerie Perrotin, et la même somme à la Monnaie de Paris. L'avocat de Daniel Druet envisage de faire appel ou de repartir de zéro en assignant Maurizio Cattelan directement. Ce dernier, qui vit à New York et n'était pas présent à l'audience du 13 mai, ne s'est jamais exprimé sur cette affaire.
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